La ville aéroportuaire et ses contradictions : l’exemple de Schiphol Airport à Amsterdam

Stéphanie Leheis, 2012

A partir de l’exemple de Schiphol Airport à Amsterdam, cette fiche expose la nécessité de considérer aujourd’hui les lieux de transport, non pas comme des non-lieux mais comme des lieux de vie. S’ensuit une présentation du développement des villes aéroportuaires.

Nous assistons aujourd’hui à une tendance globale qui consiste à penser et organiser les lieux de transport comme des lieux de vie. Nous l’avons vu dans le cas des gares (Voir La gare : du bâtiment voyageur au pole d’échanges et nouveau lieu de vie), et c’est également le cas des aéroports. Ils deviennent un foyer du développement urbain, par l’attractivité économique qu’ils génèrent et leur rôle majeur dans le fonctionnement métropolitain. Pour certains, les aéroports devraient jouer au XXIe siècle le même rôle que les gares au XIXe siècle ou les échangeurs autoroutiers au XXe siècle, en réorganisant le développement économique et urbain.

Cette évolution s’explique en grande partie par l’essor considérable du transport aérien. Il constitue, avec le trafic maritime (grâce aux porte-conteneurs), l’un des grands gagnants de la mondialisation des échanges, et ce malgré les craintes liées à la hausse du prix du pétrole. La dérégulation du trafic aérien dans les années 1990 et l’explosion du nombre de passagers, en font aujourd’hui un mode de transport de masse pour les longues et moyennes distances. L’aéroport est devenu le grand équipement métropolitain par excellence, qui permet un branchement direct sur la mondialisation.

Pendant longtemps les aéroports sont restés éloignés le plus possible des villes. Considérés comme des sources de nuisances importantes, ils étaient construits en marge des zones urbaines, entourés de zones d’entrepôts laissant la place à des espaces délaissés ou à des bidonvilles. L’aéroport était alors considéré comme un simple équipement, qu’il convenait de placer certes à proximité des villes capitales, mais sans pour autant en subir les nuisances. C’est une tout autre tendance qui se dessine aujourd’hui. Les aéroports sont désormais conçus comme des projets urbains associant ville et infrastructure. Cette nouvelle relation de l’aéroport au territoire (et en particulier à la métropole) tient plus globalement à l’évolution du rôle des aéroports, qui sont devenus des plates-formes du commerce mondial. L’essor du trafic de voyageurs avait déjà conduit à une première évolution avec le développement d’offres commerciales à l’intérieur des aéroports, dès les années 1980, puis au développement d’offres de services à proximité immédiate de l’aéroport, dans les années 1990. Ainsi, les hôtels, bureaux, commerces, centres d’affaires et de congrès, etc. sont venus compléter, densifier et élargir un espace autrefois exclusivement destiné aux activités de logistiques. Aujourd’hui le développement des zones d’activités, de commerces et même des zones résidentielles, est fréquent autour des aéroports et en particulier le long de l’axe principal qui le relie au centre métropolitain. C’est ainsi que se structurent de véritables corridors aéroportuaires, comme celui qui relie l’aéroport Schiphol au centre d’Amsterdam.

L’aéroport international d’Amsterdam, Schiphol, fait aujourd’hui l’objet d’un développement urbain considérable, porté par la devise du « creating airport cities ». C’est l’un des premiers aéroports en Europe à se développer autour de ce concept. A la fin des années 1980, l’aéroport a connu une impulsion majeure portée par la politique du gouvernement néerlandais, dont l’ambition était de faire de cet aéroport et du port de Rotterdam les deux piliers d’une politique de développement économique international et d’inscription dans la mondialisation. Sous cette impulsion, les différents échelons institutionnels (la province du nord Hollande, la ville d’Amsterdam et les collectivités locales environnantes) se sont associés à l’aéroport pour créer une nouvelle instance de gouvernance : le Bestuursforum Schiphol, et son agence de développement opérationnel, la SADC Schipol Area Development Company. Grâce à la participation de la banque nationale d’investissement, les espaces environnant l’aéroport ont été progressivement construits, dans le cadre de financements associant la plupart du temps public et privé. La stratégie mise en place par les acteurs locaux a consisté à tourner le critère de proximité au centre-ville d’Amsterdam en un avantage et non plus un inconvénient (du fait des nuisances). Ainsi un vaste centre d’affaires a vu le jour au sud de la ville et en direction de l’aéroport, le long de la ring road et de la ring railway et à seulement 6 km de l’aéroport, à Zuidas. Dans cette zone ont été implantés des équipements publics, tel que le palais de justice, un World Trade Center, mais aussi des sièges sociaux de compagnies… Au total c’est un développement conjoint de l’aéroport et du quartier d’affaires qui a pris corps.

L’aéroport d’Amsterdam est aujourd’hui l’un des grands hubs européens, notamment avec Paris CDG pour les compagnies aériennes de l’alliance Skyteam (AirFrance/KLM en autre). Mais il est aussi un nœud de transport à différentes échelles : à l’échelle nationale et régionale, avec le TGV, les trains régionaux, et les autoroutes qui le desservent ; et enfin à l’échelle métropolitaine, avec la desserte du corridor métropolitain de la Randstad, depuis le port de Rotterdam jusqu’à l’aéroport. Il se compose aujourd’hui d’un centre multimodal, qui correspond au noyau dur de l’aéroport, avec son architecture forte et clairement identifiable ; d’une première couronne vouée aux activités de logistique et de maintenance (pour tout ce qui est lié directement au trafic aérien) ; puis d’un espace de développement économique correspondant à ce corridor urbain et d’affaires (Schiphol-Zuidas-centre d’Amsterdam) qui bénéficie d’une excellente desserte et attire à la fois des bureaux et des résidences (s’y développent par exemple les projets d’éco-quartiers).

L’exemple néerlandais est aussi révélateur des enjeux et difficultés qui entourent aujourd’hui cette tendance à faire des aéroports de véritables morceaux de villes (on parle souvent de ville aéroportuaire, airport cities, aérovilles, ou encore aérotropolis). L’enjeu majeur qui explique cette tendance réside sans doute dans la compétition économique. Pour les gestionnaires de plate-forme aéroportuaires, la concurrence est rude pour attirer les compagnies aériennes, maintenir leur flux de passagers et se positionner comme un hub incontournable. En ce sens, le développement économique et urbain, et leur rattachement au territoire, leur servent à la fois à diversifier leurs revenus (pour être moins dépendants du seul trafic aérien), et à créer de la valeur ajoutée en améliorant leur qualité de services pour les usagers, leur accessibilité, etc. Pour autant, une telle politique implique deux difficultés majeures.