Apports et limites des e-outils pour l’advocacy planning

Synthèse du dossier « Le renouveau de l’advocacy planning. Planifier et plaidoyer pour les habitants dans la ville compétitive »

Agnès Deboulet, Khedidja Mamou, marzo 2018

Les cinq articles rassemblés dans ce dossier sont issus d’une journée d’études coordonnées avec Claudette Lafaye et qui s’est déroulée à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord le 1er avril 2016 sous le titre « Produire un urbanisme alternatif. Advocacy planning et pratique collaborative ».  Le dossier propose d’actualiser la connaissance de l’advocacy planning à travers une sélection de formes d’urbanisme collaboratif à travers, en France et à l’international. Il interroge trois dimensions entrecroisées : initiatives citoyennes et interpellation ; pratique du plaidoyer en pratiques ; e-outils au service des habitants.

Pourquoi revenir sur une pratique et une philosophie d’action au service des habitants désormais cinquantenaire ? Car la mondialisation du fait urbain et du phénomène d’habitat précaire (voir le dossier Populaire/précaire, retour sur un habitat majoritaire) a amené une nouvelle génération de professionnels et d’universitaires, urbanistes, architectes mais aussi chercheurs ou praticiens issus des sciences sociales à inventer des formes d’implication aux côtés des habitants des quartiers précaires souvent menacés d’éviction ou aux prises avec des revendications de justice. Nous assistons là à une réinvention de l’advocacy planning par des actions et des systèmes de pensée venus notamment d’Amérique latine, d’Asie, mais aussi, dans le cas présenté ici, d’Égypte (1). Il s’agit en particulier du travail à grande échelle sur le quartier central et historique de Maspero, menacé par un renouvellement urbain spéculatif et présenté par Ahmed Zaazaa pour le collectif 10 tooba. Travail communautaire qui a amené les habitants et les jeunes professionnels militants à négocier un relogement in situ qui même discutable, n’en constitue pas moins une preuve que des lignes de fond peuvent être amenées à bouger. On convoque également le travail très varié de Takween développé ici par Kareem Ibrahim, autre bureau d’études cairote qui a choisi de s’impliquer sur des formes de solidarité active et de co-production avec les habitants en tirant des enseignements à la fois pour les quartiers précaires et le bâti patrimonial en centre ancien et en développant une activité de production de données alternatives sur la justice spatiale et les inégalités urbaines. Dans un exercice réflexif sur la pratique de cette agence hors norme, il s’interroge sur la façon dont les questions de responsabilité (dans la sphère éthique) interfèrent avec celles de légitimité.

Les revendications de justice ne sont pas moins présentes sur le « tiers foncier » occupé par des bidonvilles et des populations Roms marginalisées dans le cas Marseillais abordé par Marion Serre. Le travail de cartographie numérique constitue un moyen de mobiliser, faire prendre conscience de la nécessité d’une médiation pour rendre le marché foncier plus ouvert aux occupations temporaires de populations pauvres. Comme toute forme de production de données alternative, cette cartographie est mise au service de la pluralité d’acteurs associatifs et organismes caritatifs qui tentent d’intervenir au-delà du traitement d’urgence. C’est aussi autour de la cartographie en ligne que le groupe Altercarto s’engage. A travers des cartographies qui localisent des données statistiques, il s’agit de donner à voir des conditions et des logiques socio spatiales, qui concernent les populations les plus pauvres. On se situe dans une démarche d’interpellation et de plaidoyer qui consiste à confronter (ou mettre en regard) un traitement institutionnel par les statistiques et un regard citoyen, plus proche des réalités vécues. En plus, la cartographie statistique dynamique (mettant en vis-à-vis différentes statistiques cartographiées que l’on a peu l’habitude de lire ensemble) soulève les paradoxes ou contradictions de certaines politiques publiques : lutter contre la pauvreté d’un côté, tout en la renforçant de l’autre par exemple. Le wiki présenté par l’association Appuii met en avant la nécessité de penser une échelle d’action plus vaste que celle exclusivement attachée aux quartiers impactés et de mettre les acteurs en réseau. Le réseau de ressources solidaires met ainsi en articulation des demandes de soutiens et d’appui (faite par des habitants ou collectifs d’habitants) à des ressources disponibles bénévolement (architectes, juristes, mais aussi habitants expérimentés, par exemple), cela à une échelle nationale, voire internationale. Ce réseau tente alors de fédérer sur une même plateforme besoins et propositions de soutien pour que se mettent en place des actions collaboratives. Dans le même temps, tout comme pour les cartes du tiers foncier ou les cartes statistiques d’Altercarto, il est question de rendre visible ces actions citoyennes et solidaires.

Les principaux apprentissages que nous pouvons retenir au sujet des e-outils montrent des perspectives en matière d’advocacy planning et de pratiques collaboratives qui peuvent alimenter un travail de mise en visibilité (des initiatives citoyennes, des réalités vécues, de logiques de traitements par le politique) et de mise en réseau. Depuis le printemps arabe, on voit plus nettement la place que prennent les outils numériques dans la capacité à réunir et à diffuser plus largement. Ces outils apparaissent aussi comme base pour repenser les collaborations : notamment pour mieux penser et montrer les problèmes publics (au sens de D. Cefaï). Si l’e-outil permet de renouveler les démarches d’advocacy planning en leur donnant la force de la toile (décupler les forces et administrer la preuve), on doit garder en tête trois limites sur lesquelles il faut poursuivre le travail de réflexion. D’abord, l’e-outil nécessite des ressources particulières qui ne sont pas toujours disponibles dans les collectifs de l’alternative urbaine (compétences informatiques et ressources financières pour administrer les plateformes ou cartographies en ligne). Ensuite, la question de la diffusion de données sur des processus collaboratifs en cours, parfois dans des contextes délicats doit être prise au sérieux pour éviter une mise en péril de l’action. Ce à quoi les témoignages d’Altercarto et d’Appuii nous invitent. Enfin, il est important de s’éloigner de la tentation (et l’illusion) de penser que l’e-outil est LA solution. S’il semble désormais utile à l’advocay planning et aux pratiques collaboratives, pour autant, il ne s’auto suffit. La mise en perspective de différentes façons de s’engager sur le terrain de l’alternative urbaine montre la nécessité de continuer à structurer des espaces d’interactions physiques pour construire du collaboratif.

1 Sur les approches des terrains concernés, voir par exemple A. Deboulet, « Le droit au logement, école de la contestation Entretien avec Manal Al-Tibi, responsable du Centre égyptien pour les droits au logement (ECHR) », Mouvements 2011/2 (n° 66) et Agnès Deboulet, K. Mamou, « L’appui aux habitants : étape vers une nouvelle compétence citoyenne ? », Echogéo, n°34, octobre 2015. Voir aussi les sites de APPUII et du centre/Réseau SUD