Chartes des responsabilités sociétales de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur

Chapitre IX du livre « Métamorphoses de la responsabilité et contrat social » Pierre Calame. ECLM, 2020

Pierre Calame, 2020

Pour gérer notre planète, il faut se mettre d’accord sur des valeurs communes. S’appuyant sur ce constat, Pierre Calame a formé un réseau constitué de militants du monde entier, afin de produire un texte couvrant l’ensemble des défis communs. La responsabilité s’impose alors comme concept fédérateur, parce qu’il est le corollaire de toute vie en communauté et à ce titre présent, sous des vocables divers, dans toutes les sociétés.

Après avoir décrit l’émergence de cette « Déclaration universelle des responsabilités humaines » et ses principes généraux, Pierre Calame s’attache aux conditions de mise en œuvre d’une telle charte, en passant en revue les trois niveaux de la responsabilité : celui des choix individuels ; celui des normes collectives des milieux sociaux et professionnels ; celui enfin des systèmes juridiques, en montrant comment l’adoption d’une telle Déclaration par l’ONU renouvellerait le droit international en frayant la voie à un «droit commun mondial».

Dans ce chapitre IX de l’ouvrage est traité le cas des contrats sociaux de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur. Ils constituent un cadre de référence pour définir les mutations nécessaires des établissements d’enseignement supérieur si l’on veut qu’ils préparent leurs étudiants à assumer plus tard leurs responsabilités sociales de professionnels.

Para descargar: charte_des_responsabilites_societales_de_la_recherche_sicentifique_et_de_l_enseignement_superieur.pdf (180 KiB)

Le livre « métamorphoses de la responsabilité et contrat social » ne concerne pas que l’enseignement et la recherche. Il développe trois thèses principales :

• nous avons besoin de valeurs communes reconnues dans les différentes aires culturelles pour parvenir à gérer nos interdépendances et les biens communs mondiaux. Or, il est une valeur qui répond à ces critères, c’est la responsabilité. Elle se résume au fait qu’il existe une communauté, petite ou grande, dès lors que chacun de ses membres reconnaît la nécessité de prendre en compte, dans son action, l’impact qu’elle a sur les autres membres de la communauté ;

• la responsabilité est une notion vieille comme le monde mais l’idée qu’on en conserve aujourd’hui, y compris dans nos systèmes juridiques, est héritée des millénaires passés et ne reflète pas les nouvelles réalités, celles où c’est l’addition des impacts de nos actions et non des actions individuelles qui peut constituer préjudice et menaces pour l’humanité et la planète. D’où l’idée de métamorphose de la responsabilité, décrite en détail dans l’ouvrage (téléchargement gratuit. D’où découle un projet de Déclaration universelle des responsabilités humaines, fruit d’un travail collectif.

• la relation entre acteurs sociaux est régie implicitement ou explicitement par un contrat social équilibrant droits et responsabilités. Face aux évolutions majeures de nos sociétés, les contrats sociaux hérités du passé sont eux aussi obsolètes et il faut les réinventer en s’adossant aux huit principes de la Déclaration universelle des responsabilités humaines.

Remarques préalables sur la nature des contrats sociaux :

• ils ne concernent pas un domaine d’activité mais des institutions et leurs acteurs ;

• ils sont en général initiés par un noyau plus engagé pour ensuite se généraliser ;

• les « institutions représentatives » d’un milieu professionnel au niveau international ont une forte composante corporatiste et de ce fait se font souvent les tenants du contrat social ancien. Néanmoins, leurs réunions internationales (les conférences mondiales sur la science et sur l’enseignement supérieur dans le cas présent) sont un bon révélateur de la crise du contrat préexistant.

Dans les deux cas de la recherche et de l’enseignement supérieur, le contrat social met en regard les bienfaits que les détenteurs de savoir apportent à la société et les soutiens ou garanties, dont la liberté d’entreprendre ou d’enseigner, que leur apporte la société en retour. Le contrat social actuel, implicite ou explicite, est que le développement et la diffusion de savoirs est le fondement du progrès et de la prospérité des sociétés qui, dès lors, doivent en retour laisser aux organismes de recherche et d’enseignement le soin de définir ce qu’ils doivent chercher ou enseigner et la manière de le faire. Ce qui se traduit, dans le champ de l’enseignement, par l’organisation en facultés dédiées chacune à une discipline, revendiquant leur autonomie par rapport aux autres et par rapport à la société. Comme le notait Edgar Morin en 2001, en introduction du cahier « l’université quel avenir ? », « c’est le contrat social qui régit, fût-ce de manière implicite, les relations entre l’université et la société qui doit être repensé, ce qui nécessite un débat engageant la communauté universitaire et tous les citoyens ». Dans cette perspective, le nouveau contrat social doit se manifester à travers un triple engagement de l’institution, des enseignants et des étudiants.

Le livre raconte l’évolution lente des universités dans cette direction à travers le changement progressif de ton entre la Conférence mondiale de 1998 et celle de 2009 qui, pour la première fois, parle de responsabilité sociale de l’enseignement supérieur, même si cela reste abstrait par rapport à la responsabilité sociétale des institutions universitaires, qui implique leur engagement personnel..

Un exercice concret a pu être mené au cours de la deuxième décennie du 21ème siècle avec l’Université catholique de Lyon pour décrire ce que pourrait être ce triple engagement qui vise à préparer des professionnels à la fois capables d’appréhender les nouveaux défis systémiques et d’assumer individuellement et collectivement leurs responsabilités : formation intellectuelle et formation éthique ne peuvent être séparés. Un autre texte présente cette esquisse concrète de charte de responsabilité sociétale.

Entracte: les contrats sociaux, des cas particuliers au cas général

Le parallèle entre les démarches de renouvellement du contrat social de la recherche scientifique d’un côté et de l’université de l’autre permet de tirer un certain nombre d’enseignements valables aussi pour les autres milieux socio-professionnels.

  • Le premier concerne les acteurs. On est passé de la science à la recherche scientifique et aux chercheurs, de l’enseignement supérieur à l’université et aux universitaires. Les Chartes sociétales ne concernent pas un domaine de l’activité humaine mais les institutions et leurs acteurs, seuls en mesure de prendre des engagements.

  • Second enseignement, une Charte sociétale implique la préexistence d’un collectif ou la construction, au sein d’un milieu socioprofessionnel, d’un groupe plus militant qui devient porteur de la Charte. C’est ce qui s’est passé pour la recherche scientifique avec le noyau de départ de l’association Sciences Citoyennes et ce qui a été tenté pour l’université avec l’Observatoire de la réforme universitaire. Mais tout le défi est ensuite d’étendre la dynamique d’un noyau fondateur à l’échelle internationale. La capacité à le faire dépend de la préexistence d’organisations collectives en phase avec l’effort de redéfinition du contrat social. La Fédération internationale des universités catholiques en est un excellent exemple.

  • Troisième enseignement, les Conférences mondiales sur la science et sur l’enseignement supérieur montrent que les institutions qui se sont créées au niveau mondial ont une forte composante corporatiste, donc un attachement à un ancien contrat social qui met l’accent sur les droits des acteurs plutôt que sur leur responsabilité. Ces conférences sont néanmoins un bon révélateur de la crise du contrat social préexistant. On peut penser que l’onde de choc d’un nouveau contrat social finira par atteindre ces institutions corporatistes et les agences onusiennes mais on ne peut en aucun cas en faire un préalable.

Para ir más allá

Télécharger le Chapitre IX du livre « Métamorphoses de la responsabilité et contrat social », (14 pages)