Fiche de lecture : Contre l’école injuste !

Questionner l’imaginaire scolaire, Discerner les pièges, Repenser les savoirs à enseigner

Jean-Pascal Derumier, agosto 2022

4° de couverture

Cet ouvrage, bref et percutant, dénonce les blocages et les imaginaires qui caractérisent la forme actuelle de l’École en France et empêchent sa démocratisation.

Philippe Champy et Roger-François Gauthier ont choisi de traiter la question sous un angle original, celui des savoirs scolaires eux-mêmes : quels savoirs l’École enseigne-t-elle ? Quels impacts réels ces savoirs ont-ils sur les élèves ? Les auteurs s’étonnent que ces sujets de fond restent éludés alors même que la critique des inégalités de toutes sortes qui caractérisent l’École est désormais admise.

Héritage souvent inconscient de traditions reconduites sans examen, l’École se construit avec des disciplines trop étanches et des savoirs scolaires fractionnés entre l’école primaire, l’enseignement secondaire et l’enseignement professionnel. Une organisation qui ne répond pas à l’apprentissage du monde complexe dans lequel les élèves d’aujourd’hui doivent apprendre à vivre.

À l’heure de la diffusion à grande échelle de fake news et de théories complotistes qui voudraient ébranler toute idée de vérité et d’humanité, mais où apprendre la culture de l’autre est devenu un outillage indispensable pour tout futur citoyen, tous les savoirs dont l’École est responsable doivent être repensés, afin d’assumer d’authentiques finalités démocratiques et d’être au clair avec les défis planétaires qui se posent à l’humanité.

Jean-Pascal Derumier en propose ici une lecture.

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1. L’impasse éducative française :

Pourquoi ?

Les blocages de l’après-guerre, ceux qui semblaient empêcher des évolutions (préconisées par le plan Langevin-Wallon) vers une école démocratique sont devenus plus résistants ! et plus invisibles tant la coutume au sens de Montaigne, a produit son opacité. (P9)

Des scénarios de « sortie de crise » répétitifs et illusoires

Echec de la démocratisation quantitative mise en œuvre à partir des années 50(P10) […] « l’explosion scolaire » a caché l’échec qualitatif. (P13)

Une série de caractéristiques systémiques : la permanence des structures ségrégatives et élitaires en fonction de l’origine sociale et résidentielle ; la création d’un « échec scolaire » massif présenté comme une sorte de phénomène indiscutable alors qu’il est directement lié à la distance croissante entre les savoirs enseignés, les méthodes d’enseignement et d’évaluation, et une grande partie de la population scolarisée ; des politiques de discrimination positive sans effet correctif d’ampleur ; un creusement de l’écart entre les élèves « faibles » et les élèves « forts » ; une forte discrimination dans l’enseignement supérieur en fonction des filières plus ou moins favorisées. (P12)

Remonter aux causes profondes du cas français

Obligation de faire face aussi bien aux besoins de l’économie qu’aux demandes de démocratisation du système scolaire. (P14)

Singularité française en matière d’organisation (collège unique, centralisation, …), d’autres pays ont fait d’autres choix

2. Un imaginaire éducatif dominant

Nous nous sommes construit, avec la démocratisation et en son nom, un imaginaire collectif français dominant en matière d’éducation. (P20)

Une nébuleuse de croyances entremêlées (P20 à 23)

Première croyance : l’école jouerait un rôle fondateur en termes de démocratie (au travers de la méritocratie républicaine).

Deuxième croyance : Il existerait en France un « système éducatif » total et protecteur (qui permettrait d’amener chaque élève à sa juste place dans la société).

Troisième croyance : L’école a cette responsabilité immense de réaliser cette répartition des personnes entre diverses fonctions et places sociales et son jugement sur la valeur de chaque élève est juste.

Quatrième croyance : les savoirs que l’école diffuse seraient incontestablement justes tels qu’ils sont définis par l’institution.

La réalité, tout de même !

Il existe une très forte corrélation entre position sociale et réussite scolaire. (P24)

L’école française apparaît comme une productrice industrielle d’élèves laissés pour compte (P25) mais aussi … un système qui excelle à sortir des élites. (P28)

Dévalorisation indiscutable des diplômes. (P26)

La croyance dominante est que l’élitisme républicain est la bonne référence, que la carte publique des formations répond aux besoins des populations et les évaluations, orientations et diplômes sont incontestables, et que la matière enseignée à l’école est insoupçonnable au service de la seule mythique émancipation. (P27)

3. Des savoirs en désordre, en guise d’entrée dans la culture

Malgré les apparences, le système français est devenu relativement indifférent aux savoirs. Il privilégie sa fonction de sélection et de classement (P28) … or ces savoirs déterminent, avec d’autres facteurs, la société de demain et d’après-demain, et ce que seront ses références, les attitudes de pensée et, en partie, les croyances des personnes qui la composeront. (P31)

Une politique des savoirs confiée à une institution sans légitimité

Aucun texte ne définit la façon dont la société décide (parmi l’immensité des savoirs existants) des savoirs qu’elle souhaite reconnus et assimilés … (P31 et 32)

Des savoirs aléatoires, joujoux des ministres

Ces programmes sont si facilement la « proie » des politiciens. (P34)

L’école de France ne proclame pas ses valeurs, au fond, ne dit pas pourquoi elle est là. Surtout, elle n’ouvre jamais la question de savoir quel individu elle forme. (P35)

Par exemple les 4 objectifs donnés à leur curriculum dans la loi, par les Écossais : Motiver les élèves qui doivent devenir des personnes solides, des acteurs engagés qui pratiquent une citoyenneté responsable. (P36)

Des enseignements héritiers d’une histoire inconsciente

Les disciplines sont valorisées très différemment selon leur poids dans l’héritage ou selon la valeur que l’opinion dominante, par conformisme, leur accorde. C’est le cas, par exemple de la dévalorisation de la technologie ou des disciplines artistiques dont les images sont associées au « travail manuel » ou au dilettantisme. (P41)

Des savoirs qui ne font pas culture pour l’élève

On fonctionne dans un cadre démocratique qui met rarement en pratique la démocratie et on utilise en dehors des cours qui portent cette étiquette. (P42)

Les savoirs issus de programmes ne présentent ni une visée encyclopédique, ni comme un ensemble de réponse aux questions posées par les élèves. (P43)

Des enseignements importants sur le plan de la société ne sont jamais abordés. (P43)

Le plaidoyer en faveur de l’interdisciplinarité est vain, car ce type de préoccupation est étranger à la conception que chaque discipline se fait d’elle-même. (P44)

La fracturation disciplinaire est un obstacle à ce que l’éducation fasse sens au sein de ce que nous appelons une « culture ». (P45)

Cet enseignement, enchâssé dans des disciplines préoccupées quasi uniquement de concepts théoriques, a tendance à se réduire à une mission d’instruction verticale, à courte vue, au lieu d’éduquer des jeunes au sens des savoirs en société et à leur importance pour s’y insérer comme acteurs responsables. (P46)

Création silencieuse d’une source d’inégalité : le travail scolaire non motivant rebute davantage les enfants qui n’appartiennent pas à des familles pour lesquelles l’enjeu du travail scolaire est clair. (P48)

4. Professionnels, décideurs, parents, élèves : tous piégés !

Aucun parent démocrate ne prétend attenter à la démocratisation à cause de son investissement dans les études de son ou ses enfants. (P49)

Il est difficile d’admettre que la compétition scolaire constitue au fond un jeu qui met très tôt les élèves (et leurs parents) en concurrence les uns avec les autres pour occuper les meilleures places dans les meilleures filières. (P50)

Peu de marges de manœuvre pour les acteurs

Tension piégeuse entre la volonté de jouer le jeu démocratique et celle de rechercher le meilleur pour ses enfants en jouant sur les marges de manœuvre du système (double contrainte insoluble).

Le piège du système de notation

Tous savent que ce système sert essentiellement à classer les élèves et n’a pas de vraie valeur en termes d’évaluation de leurs acquis réels et durables. (P54)

Chaque parent trouve commode de suivre la scolarité de sa progéniture en un seul indice chiffré, aussi simple qu’objectif en apparence.

Le piège du statut professoral

La liberté pédagogique qui leur était traditionnellement conférée n’était toutefois pas un encouragement à l’enfermement individualiste, ni au laisser-faire sans contrôle ni évaluation. (P56). Dans l’esprit des fondateurs de l’école de la république, c’était aussi explicitement un encouragement au travail collectif. (P57)

En faisant porter le chapeau aux professeurs des écoles ce thème des fondamentaux permettait aussi de ne pas interroger l’organisation de l’enseignement fraction en disciplines étanches au collège, alors qu’il provoque le décrochage de dizaines de milliers d’élèves chaque année. (P58)

Le piège du « disciplinaire »

La formation reçue, d’abord disciplinaire, donne souvent peu de place à l’apprentissage de la relation. (P61)

La culture générale ne fait pas partie de ce qui est requis, sinon de façon implicite, d’un professeur du secondaire. (P61)

5. Pour une politique des savoirs qui fasse entrer les élèves en humanité et en démocratie

Le paradoxe est que la même société qui se satisfait apparemment de cette école immobile et ségréguée, au point de ne rien y changer, réclame quotidiennement à cette même école de répondre à tous les grands problèmes contemporains. (P63)

L’enseignement de l’école doit-il répondre à un projet politique ? […] Il s’agit d’un chantier sociétal majeur, dont les enjeux touchent au développement sociétal et économique, aussi bien qu’à la démocratie, à la paix et au bonheur des personnes. (P64)

La question centrale à se poser est la suivante : quels savoirs l’école doit-elle retenir, pour dessiner quoi ? (P65)

Face à l’infinité des savoirs humains, l’école a la double tâche de sélectionner les savoirs qu’elle va décider d’enseigner mais aussi de donner statut à ceux qu’elle n’enseigne pas. (p66)

Deux contextes à prendre en compte : l’actualité et l’héritage

La question de la vérité deviendra une question centrale, qui sera la marque de fabrique de l’école, comme le lieu où le débat de ce qu’est la vérité. (P69)

Il est indispensable de passer d’une vision instrumentaliste des fondamentaux basiques (lire, écrire, compter) à la question d’un socle plus large de ce qui est jugé indispensable pour tous, qui ne se réduit pas à des acquis instrumentaux. (P71)

L’École, entre culture de l’humanité et cultures particulières

Les apprentissages des élèves doivent se situer explicitement en référence à l’aventure humaine, à la diversité humaine ainsi qu’aux valeurs de l’humanité. (P72)

Tension à assumer entre universel et distance critique

Les savoirs que diffuse l’école ne sont qu’une informe partie et ne seront, de toute façon, qu’une infirme partie de tous les savoirs circulants, ceux qui infusent de part en part les sociétés de par le monde. (P74)

C’est de la responsabilité de l’école de contribuer à outiller les élèves grâce à la métacognition notamment, pour que cet équilibre puisse se stabiliser entre posture critique et visée universelle. (P74)

Reconsidérer le périmètre de l’État éducateur

Aucun changement n’est possible pour l’école si on ne touche pas d’abord à l’État. (P75)

Il faudrait mettre ces questions sous la protection d’un bloc de constitutionnalité dans lequel les finalités de l’école pourraient être inscrites « comme dans du marbre ». (P75)

Un état éducateur moderne sera celui qui, au lieu d’imposer des programmes de façon quasi religieuse, mettra en place pour commencer une évaluation de la qualité des programmes en vigueur. (P77)

Est-on certain qu’il faille garder en tout point un curriculum national ? Il faudra donc décider dans quelle mesure toutes les décisions relatives aux programmes continueront d’être arrêtées au niveau national. (P79)

Des curriculums d’établissement inscrits dans un cadre de directives nationales fortes existent dans des pays à cultures éducatives aussi diverses que l’Italie, l’Angleterre, ou la République Tchèque. (P79)

6. Vers une politique curriculaire !

En se détournant des politiques qui se limitent à prescrire ce qui doit être enseigné et à organiser la sélection, pour s’intéresser à ce qui est enseigné réellement et effectivement acquis par les élèves réels, on adopte un parti pris d’objectivité qui change totalement la donne. (P83)

En cherchant obstinément tous les moyens d’assurer une école qui soit juste dans la distribution des savoirs et transparente à tous dans les actes et les résultats, on inscrit les préoccupations de démocratie non dans les discours de l’école, mais dans les pratiques permanentes. (P84)

L’instauration d’une politique curriculaire est un travail de longue haleine qui engage tous les acteurs en charge du système scolaire selon trois angles d’attaque :définir les finalités de l’éducation ; privilégier l’idée que l’école est là pour nous éduquer (dans un cadre éthique et civique) ; les enseignements doivent motiver les élèves et faire sens pour eux.

Penser la rupture

L’absence de partage d’une vraie culture terreau des échanges entre tous les membres de la communauté nationale, réduit encore plus la chance que la collectivité fasse société. (P86)

Ce qui allait de soi, que l’école diffusait un savoir incontesté, doit désormais être au cœur des finalités, ce qui implique une révolution dans les modes de définition collective de qui doit être enseigné par l’école au sein de l’immensité des savoirs. (P87)

Rechercher comment cette institution destinée à apporter à chacun dès son plus jeune âge les éléments nécessaires pour entrer en humanité et en démocratie pourrait être mieux définie, consacrée au plus haut niveau et faire des émules sous divers cieux. (P88)

L’enfance doit être un temps d’apprentissage serein à devenir un humain. Et à acquérir les savoirs responsables devant soi-même, la communauté, l’humanité et la planète terre. (P89)

Referencias