La démocratie participative en France : repères historiques

Des années 1960 aux années 2000

Simon WUHL, 2009

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Depuis les années 1960 aux années 2000, cette fiche retrace l’émergence de la participation des habitants. Rénovation urbaine, cadre de vie, développement social des quartiers… toutes ces problématiques ont permis et permettent de formaliser et de légitimer petit à petit la démocratie participative.

Années 1960 - 70 : Les luttes urbaines

Même si l’entre-deux guerres avait déjà connu des manifestations de participation directe des citoyens à la gestion directe des municipalités, c’est dans la France des Trente Glorieuses qu’un véritable mouvement dans ce sens a pris forme. En effet, la reconstruction à cadence forcée d’après guerre s’est accompagnée d’une prolifération de banlieues et de grands ensembles sociaux excentrés et sous-équipés en écoles, transports collectifs, services publics ou administratifs, et espaces verts. Face aux frustrations et même aux sentiments grandissants de révolte que ce délaissement suscite dans un pays en plein re-développement, la première réaction organisée prend forme sur le terrain du cadre de vie au début des années 1960 à travers la création dans les villes de banlieue de dizaines de groupes d’action municipaux (GAM). Ces derniers, animés par des militants appartenant plutôt aux catégories sociales supérieures (professeurs, ingénieurs, professions libérales), ambitionnent de peser politiquement sur le choix des municipalités. Ils sont soutenus et même formés à la gestion des affaires municipales par l’Association pour la démocratie locale et sociale (ADELS). Le point d’orgue de l’ascension des GAM est la victoire de Hubert Dubedout à Grenoble, ville emblématique de leur action, aux élections municipales de 1965.

Après les évènements quasi insurrectionnels de 1968 en France, les mobilisations et les luttes urbaines se sont développées sur une base beaucoup plus radicale. Le courant dominant dans les années 1970 s’inscrit dans une démarche conflictuelle avec les pouvoirs publics centraux ou locaux, installant pour la première fois une vision de lutte des classes hors de l’entreprise, sur le terrain des luttes contre les rénovations urbaines, de la crise du logement et des transports ou de la dégradation générale du cadre de vie. La multiplication des luttes urbaines s’accompagne d’un courant de recherche en sciences sociales dans ce domaine. Des sociologues comme Alain Touraine (1973) ou Manuel Castells (1974), à la suite du précurseur Henri Lefebvre (1970 ), vont impulser les réflexions sur les mouvements sociaux urbains. Mais, malgré leur ampleur, ces mouvements ne s’incarnent pas dans une pratique politique susceptible de transformer en profondeur la situation socio-urbaine de l’époque.

Parallèlement, la démarche plus coopérative des GAM produit quelques effets sur le plan local. Certaines municipalités mettent en place des « commissions « extra-municipales », où des habitants peuvent confronter leur point de vue avec des élus locaux, des experts et des chercheurs, sur des choix d’aménagement et de gestion locale. Dans les années 1970, le cas de Grenoble mis à part, les résultats sont peu significatifs. Mais, outre que l’état d’esprit imprimé a largement préparé les victoires municipales de la gauche en 1977 (et peut-être, de l’élection présidentielle de 1981), on assiste alors à une phase d’apprentissage culturel d’un difficile travail en commun entre des acteurs appartenant à des univers sociaux très différents, qui s’avèrera très précieux pour les étapes ultérieures de développement de la démocratie participative.

Toutefois, un exemple célèbre dans les années 1970 et 1980, celui de la mobilisation des habitants du quartier de l’Alma-gare à Roubaix, offre un aperçu d’une initiative socio-urbaine de contestation et de coopération, qui s’est inscrite dans la durée. Cette démarche participative s’est élaborée au fil des ans à travers plusieurs phases (Albert Mollet, 1981) :

Cette conception de la démocratie participative, jouant sur les registres du conflit et de la coopération compétente avec les instances publiques locales, sera par la suite une référence importante pour tous ceux –militants associatifs, élus locaux, chercheurs, habitants non engagés – qui souhaiteront imprimer des démarches de démocratie participative dans le domaine de la gouvernance urbaine.

Années 1980 : La promotion du « développement social » des quartiers

A l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, l’idéal participatif est très vivace, spécialement dans le secteur de la revitalisation des quartiers sensibles, caractérisé par un cadre bâti particulièrement dégradé et l’existence de poches importantes de pauvreté.

Pour aborder ces questions, la création d’une « Commission pour le développement social des quartiers », chargée d’expérimenter à grande échelle des démarches innovantes dans les quartiers difficiles, est le symbole de cette velléité de participation des habitants : la notion de « développement social », évoque l’idée de leur collaboration active pour traiter les questions qui les concernent ; le premier président de cette Commission, Hubert Dubedout, leader avec les Groupes d’action municipaux (GAM) d’une participation exemplaire des habitants qui l’a conduit à la conquête de la mairie de Grenoble, offre tous les gages de l’expérimentation d’une nouvelle gouvernance urbaine, incluant les usagers, premiers concernés.

Dans son rapport préalable à la constitution de la Commission, Hubert Dubedout fait d’ailleurs explicitement référence à l’initiative du mouvement social et participatif de l’Alma-gare de Roubaix, en insistant sur les vertus d’une dynamique associative formelle ou informelle, pour la réussite de la requalification urbaine et sociale des quartiers difficiles (Hubert Dubedout, 1983).

Le rapport Dubedout ne se contente pas de déclarations sur le thème participatif : il contient des innovations institutionnelles importantes qui ouvrent des possibilités nouvelles à l’intervention des associations et des habitants dans l’élaboration de projets qui les concernent :

Quelle appréciation peut-on porter sur ces initiatives d’encouragement à une intervention citoyenne plus active des habitants, des associations, et des médiateurs sociaux favorables à une démocratie plus participative ?

A première vue, le bilan peut paraître plutôt décevant. Après une certaine euphorie au départ, la société civile a été de moins en moins présente dans l’élaboration des projets et des programmes, notamment lors de la généralisation de cette politique envers les quartiers difficiles à la fin des années 1980, sous forme d’une politique dite de la ville. Surtout, le mouvement associatif formel ou informel, n’a pas pu se constituer en partenaire pérenne, crédible, porteur d’une compétence définie et reconnue, face au pouvoir des institutions.

Mais en même temps, on peut dire que la pratique du développement social des quartiers a constitué un laboratoire pour un approfondissement potentiel de la démocratie, pour deux raisons :

Depuis les années 1990 : formalisation et légitimation de l’action participative

Après une période d’intensification des mobilisations critiques à la fin des années 1980 dans les secteurs de la ville, des grands projets d’aménagement et de l’environnement, les pouvoirs publics vont s’employer à formaliser, à institutionnaliser et à promouvoir une véritable ingénierie de la participation des usagers, y compris pour des projets importants qui requièrent des compétences techniques spécialisées. Il s’agit pour les autorités de reprendre le contrôle d’un mouvement grandissant de contestation qui s’exprime dans le domaine du cadre de vie, en répondant partiellement aux revendications exprimées d’une plus grande démocratisation dans la prise de décision.

Parmi la multitude des initiatives issues de l’institution ou de la société civile dans son acception la plus large, qui se sont développées depuis les années 1990, nous retiendrons deux des évolutions les plus marquantes :

Referencias

  • Arendt H. 1995. Qu’est-ce que la politique, Seuil (trad. franç.).

  • Blondiaux L. 2008. Le nouvel esprit de la démocratie, Seuil-La république des idées.

  • Bourg D. et Boy D. 2009. « Des conférences de citoyen pour discuter des questions scientifiques et techniques », in La démocratie participative (dir. Yves Sintomer), Problèmes économiques et sociaux, La Documentation française.

  • Boutry V. 2009. Contre le chômage, a-t-on vraiment tout essayé ?, Cahiers de l’université populaire et citoyenne de Roubaix.

  • Carrel M. et al. 2009. Les intermittences de la démocratie, L’Harmattan.

  • Carrel M. 2009. « La citoyenneté plurielle. Appréhender les dispositifs participatifs dans leur environnement », in Les intermittences de la démocratie, L’Harmattan.

  • Castells M. et al. 1974. Sociologie des mouvements sociaux urbains, Copedtih.

  • Dubedout H. 1983. Ensemble, refaire la ville, La Documentation française.

  • Gaudin J-P. 2007. La démocratie participative, Armand Colin, coll. 128.

  • Habermas J. 1990. Écrits politiques, Flammarion.

  • Lefebvre H. 1970. La révolution urbaine, Gallimard.

  • Mollet A. (dir.). 1981. Quand les habitants prennent la parole, Ministère du Logement, Plan Construction.

  • Murard N. 2009. « Engagement et proximité : l’idée et le fait de la citoyenneté », in Les intermittences de la démocratie, L’Harmattan.

  • Neveu C. 2007. « Habitants, citoyens : interroger les catégories », in La décision urbaine du point de vue des gouvernés, Ministère de l’équipement-PUCA-CNRS.

  • Pichon P. 2009. « La prise en compte des compétences des usagers dans les projets urbains », in Les intermittences de la démocratie, L’Harmattan.

  • Röcke A. et Sintomer Y. 2005. « Les jurys citoyens berlinois et le tirage au sort : un nouveau modèle de démocratie participative ? » in Gestion de proximité et démocratie participative, La découverte.

  • Rosenberg S. 2009. « Participation des habitants : des luttes urbaines à l’institutionnalisation », in Les intermittences de la démocratie, L’Harmattan.

  • Sintomer Y. 2009. La démocratie participative, Problèmes économiques et sociaux, La Documentation française.

  • Touraine A. 1973. La production de la société, Le Seuil.

  • Wühl S. 2002. L’égalité. Nouveaux débats, PUF.

  • Wühl S. 2007. Discrimination positive et justice sociale, PUF.

Para ir más allá

Nous vous invitons à consulter le site personnel de Simon Wühl qui réunit des textes originaux sur la démocratie participative mais aussi sur le chômage, l’exclusion et les politiques d’insertion, sur la question de l’égalité et de la politique…