Un monde caractérisé par une rivalité intermétropolitaine ?

Cynthia Ghorra-Gobin, 2014

Monde pluriel

Issue du numéro 4 de la revue Tous urbains, cette fiche propose une analyse intéressante sur les évolutions dans la manière de pensée et d’aménager les villes globales, afin de les insérer dans la mondialisation.

La phase contemporaine de la mondialisation (intensification de flux d’échanges de biens, d’informations, de connaissances et de capitaux) se caractérise par la prédominance de l’idéologie néolibérale qui va de pair avec la métamorphose d’un capitalisme financiarisé. La globalisation de l’économie qui a priori s’inscrit dans les flux présente le paradoxe de se reterritorialiser en privilégiant certaines villes dotées d’infrastructures sociales, techniques et culturelles. L’invention de l’expression « ville globale » a permis d’identifier les villes assurant un rôle de commandement et de pilotage de cette économie globale. Les notions de hiérarchie urbaine et de systèmes de villes qui a priori étaient utilisées pour classer les villes à l’échelle nationale sont désormais utilisées à l’échelle mondiale. Certains n’hésitent pas à évoquer l’idée d’un monde caractérisé par une rivalité entre les grandes villes et leurs territoires soit les métropoles urbaines. Mais l’idée de hiérarchie urbaine ne repose plus exclusivement sur le poids démographique de la ville et de son territoire mais sur ses capacités d’attractivité. Ce qui conduit les économistes à différencier l’« avantage compétitif » relatif aux firmes de l’« avantage comparatif » concernant les territoires infranationaux.

L’économiste Michael Porter qui a d’abord travaillé sur la stratégie compétitive des firmes soucieuses de connaître un succès sur le marché global s’est progressivement intéressé aux nations et plus précisément aux territoires nationaux dans la lignée des travaux d’Adam Smith. Dans son ouvrage L’avantage concurrentiel des nations il a mis au point la théorie de l’« avantage comparatif » en identifiant les dix variables dont la recherche, l’innovation et la productivité qui permettait de classer les Etats. Mais à la fin de la décennie 1990, les spécialistes de l’espace économique ont pris distance par rapport aux experts du commerce international en soulignant combien la globalisation de l’économie se traduisait en fait par une différenciation territoriale (au sein des Etats-nations). Dans cette perspective prenant en compte les répercussions infranationales de la globalisation de l’économie, les échanges concernaient de plus en plus les villes-régions ou les métropoles se situant ainsi dans une position de rivalité et parfois aussi de complémentarité. Aussi l’« avantage comparatif » ou encore « avantage différencié » - désormais associé aux régions urbaines - a autorisé la formulation et la mise en place de politiques d’attractivité territoriale. Il s’agit de renforcer les atouts d’une métropole pour assurer son positionnement dans les flux globaux et son rayonnement à l’échelle mondiale.

Les thématiques de l’attractivité et de l’avantage comparatif furent renforcées lors de la dernière décennie avec la thèse sur le rôle de la « classe créative ». Pour Richard Florida, il existe dans nos sociétés une « classe créative » regroupant ceux qui dans l’économie contemporaine élaborent de nouvelles idées, technologies et contenus créatifs. Cette classe recouvre une grande variété de profils professionnels puisqu’il est question des métiers de la haute technologie, du divertissement, du journalisme, de la finance ou de l’artisanat d’art. A cette classe créative s’associe également une théorie du développement économique des villes qui fait de l’attraction d’individus de la classe créative une clé de la création d’activités nouvelles. La thèse de Florida est toutefois critiquée parce qu’elle va jusqu’à identifier des corrélations spatiales entre le développement des villes et des indices d’ouverture culturelle et de tolérance.

Les thèses en faveur de l’« avantage comparatif » et la « classe créative » ont eu une influence considérable dans le monde académique comme chez les acteurs locaux. La question du développement économique local ne se limita plus à des questions d’infrastructures mais engloba également la qualité de l’environnement urbain, l’originalité des modes de vie ainsi que la vitalité des activités culturelles. L’urbanisme devenant désormais un enjeu majeur de l’attractivité et de la capacité à se positionner dans la hiérarchie mondiale. Le principe d’un positionnement dans la hiérarchie urbaine mondiale a entraîné chercheurs et bureaux d’études à se lancer dans des études sur la connectivité intermétropolitaine.

Tout chercheur a repéré le site du réseau de chercheurs intitulé Globalization and World Cities (GaWC) un think tank crée par le département de géographie de l’université de Loughborough (Royaume-Uni) sous la houlette du professeur Peter J. Taylor. Son émergence en 1997 à la suite de l’ouvrage de Manuel Castells The Rise of the Network Society en 1996 se donne pour objectif d’étudier les interactions entre les villes et leur degré de connectivité. De récents travaux (2013) intitulés « Networks or hiearchical relations ? » ou encore « mapping global interactions » témoignent de cette orientation. Le GaWC reçoit des financements d’institutions aussi diverses que l’Abu Dhabi Council for Economic Development, l’American Bar Association, la Commission européenne au travers de son programme Epson, l’Université de Singapour et des universités anglo-américaines. Ce centre – outre les travaux de qualité empiriques s’appuyant sur des bases de données importantes – fait partager aux internautes le sentiment que l’on vit dans un monde fini dont la dynamique repose principalement sur les villes tout en ne se limitant pas au seul domaine économique.

Le célèbre bureau d’études McKinsey Global Institute qui mène depuis 1990 des études sur l’économie globale propose d’intéressants travaux sur les villes dont celui de 2011 intitulé Urban World : mapping the economic power of cities. Ce rapport indique que 600 villes et métropoles produisent 60 % du PNB mondial et qu’elles incluront 25 % de la population en 2025. Les analyses sont centrées outre la dimension démographique sur les notions de productivité, de compétitivité et de croissance. Elles indiquent également que les ¾ de ces villes sont dans des économies émergentes. Ces publications qui peuvent être utiles aux acteurs soucieux du développement local sont en fait principalement pensées pour les entreprises qui souhaiter implanter des unités de production ou encore de recherche à proximité des marchés de consommation que sont les villes.

Ce bref aperçu sur les travaux donnant à voir un monde dont la dynamique repose sur des métropoles rayonnantes ne peut que conduire à un argumentaire inscrivant la pertinence de la construction de l’échelon territorial métropolitain pour concilier contraintes économiques, sociales et environnementales à un niveau pertinent. L’enjeu est considérable pour toute nation soucieuse de s’inscrire dans la mondialisation.

Referencias

Pour consulter le PDF du du numéro 4 de la revue Tous Urbains

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