Utilisation des démarches de planification et de projets dans l’aménagement des agglomérations.

Synthèse des échanges de la session 2007, Liège

Roger Hagelstein, 2007

La cinquième plateforme internationale d’échanges dans le domaine des agglomérations urbaines1 visait à coproduire un questionnement introspectif, en vue d’une réflexion prospective, en confrontant des points de vue de trois types d’acteurs : des praticiens du projet d’agglomération, des chercheurs universitaires ainsi que des élus. Comme lors des éditions précédentes, la plateforme réunissait des participants issus du Canada (Québec), de France, de Suisse et de Belgique. Les échanges ont mis en relation les expériences de villes de Bâle, Besançon, Lausanne, La Louvière, Liège, Montréal, Saint-Etienne et Tournai. Des représentants d’administrations et d’organismes de niveau local ou supérieur, de cabinets ministériels, d’élus locaux et des universités partenaires du réseau ont activement contribué à la réflexion collective.

1. Introduction

Lors des travaux préparatoires2, il était apparu pertinent de confronter les expériences des uns et des autres sur la prise en compte des problématiques de la mobilité, ses enjeux, ses contraintes et ses potentialités, dans le gouvernement des agglomérations. En effet, la plateforme offrait l’opportunité de réinterroger les fondements des politiques menées dans les différentes villes, de dégager des approches innovantes de planification et de gestion, de s’interroger sur leurs effets structurants du point de vue économique, social, environnemental ou identitaire.

2. Précisions terminologiques

La signification des termes « mobilité », « déplacements », « transports » peuvent prendre des acceptions diverses selon le contexte national. Ces ambiguïtés ont été progressivement levées au cours de la plateforme. Comme l’indiquent Patrice Aubertel et Claire Gillio3, ces trois termes pourraient se présenter sous la forme de poupées gigognes qui s’emboîteraient les unes dans les autres.

Le terme « transports » est celui qui a le sens le plus étroit. Les politiques dites « de transports » se caractérisent souvent par un appui aux transports en commun visant à contrer les effets controversés de l’usage croissant de la voiture (fractionnement urbain, pollution, étalement urbain…). La Wallonie, comme la Suisse et la France, connaît les plans de transports d’entreprise, les plans de transports de marchandises ou encore les plans de transports scolaires. L’objectif de ces documents est d’optimiser le fonctionnement des transports par une démarche permettant, au sein d’une entreprise, d’une collectivité ou d’une administration, de favoriser l’usage des modes de déplacements alternatifs à la voiture individuelle (transports collectifs, vélo, marche à pied, covoiturage …). Ils visent aussi à rationaliser les déplacements liés au travail (domicile-travail, déplacements professionnels, visites, …). Les transports concernent également les politiques de stationnement en ville, ou encore au domicile et au lieu de travail, la logistique urbaine et la distribution, la localisation des entreprises et l’organisation de leur accessibilité.

Une approche strictement circonscrite aux moyens de transport conduit à ouvrir le champ des préoccupations à une approche menée en termes de « déplacements ». Une politique publique des déplacements intègre l’inscription territoriale des activités. Les réflexions menées sur ce thème ont mis en évidence qu’un des moyens les plus efficaces pour restreindre l’usage de la voiture était de limiter au maximum le nombre de places de stationnement, tant dans les quartiers que dans les entreprises. On constate que cet argumentaire est souvent développé dans les Plans de mobilité d’entreprise de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains. C’est aussi le pari qui a été fait à la Défense à Paris. Pari gagné puisque 90 % des 120.000 employés qui y travaillent utilisent les transports en commun. En Suisse deux points retiennent plus particulièrement l’attention : les politiques de déplacements lient une vocation de territoire à son accessibilité (selon la méthode A-B-C d’origine néerlandaise) ; elles prennent en compte aussi des indices de génération de trafic. On peut pointer par exemple le cas du centre-ville de Berne, dans lequel l’offre de stationnement est rare alors que 85% des usagers se déplacent en transport en commun.

Par l’intégration des dimensions comportementales des déplacements, une approche par la « mobilité » se dessine. Elle part du constat que nos modes de vie, dont la mobilité est une composante essentielle, sont collectivement déterminés par des choix individuels. L’analyse de ces choix privilégie les approches comportementalistes, mais il faut bien admettre qu’ils sont aussi déterminés par des orientations étatiques ou économiques. Ainsi la voiture, élément structurant de notre mode de vie, est souhaitée individuellement et promue collectivement. Il en va de même pour la maison individuelle.

La mobilité apparaît donc comme un facteur de différenciation économique et sociale, ce qui en fait un atout ou un handicap selon les orientations qui sont prises. Ainsi, la mobilité est au cœur des débats sur les inégalités sociales et les coûts environnementaux qu’il faut bien assumer. Rendre la ville accessible aux personnes handicapées, aux enfants, aux personnes vieillissantes, c’est faire en sorte que soit supprimé tout ce qui rend une ville mal accessible. Les dernières lois promulguées en France poursuivent ce mouvement engagé pour faire en sorte que les villes ne soient pas handicapantes.

Sur le plan spatial, la mobilité amène à reconsidérer les périmètres pertinents d’intervention pour les politiques publiques : faut-il envisager les déplacements dans l’agglomération morphologique, l’ensemble urbain-périurbain fonctionnel, le territoire déterminé par les pratiques effectives des pendulaires. La confrontation des périmètres met en évidence une distorsion forte entre territoires des habitants-usagers et territoires des institutions.

Dans une vision transversale, il semble que l’on n’ait pas suffisamment pris la mesure des politiques publiques de transports, de déplacements et de mobilité et de leurs conséquences sur la qualité de vie urbaine.

En pratique, le déroulement de la plateforme a été structuré en deux temps. Le premier jour a été consacré à la découverte de la problématique des déplacements dans l’agglomération liégeoise ainsi qu’au décryptage des débats portant sur l’hypothétique élaboration d’un plan urbain de mobilité, révélateur d’une volonté de plus forte coopération supracommunale qui semble émerger.

La deuxième journée a focalisé la réflexion sur les enjeux de la mobilité et les effets structurants qu’ils exercent sur le gouvernement des villes, sujet qui avait déjà été identifié comme une préoccupation majeure lors des plateformes précédentes tenues à La-Chaux-de-Fonds, Namur, Toulouse et Bâle. Trois ateliers ont été consacrés à des études de cas (Lausanne, Montréal et Saint-Etienne) ; ceux-ci ont permis de confronter les diverses approches pour dégager des réflexions prospectives.

Le troisième jour a été consacré à une présynthèse. On a évalué ensuite le déroulement de la plateforme. La présente restitution dégage les principaux enseignements des travaux5.

3. Liège, vers une stratégie d’agglomération pro-voiture ?

Trois présentations introductives ont permis de mettre en perspective les problèmes de déplacements dans l’agglomération de Liège, première métropole wallonne, et singulièrement les atouts et faiblesses de la région en matière d’infrastructures de transports.

La politique de mobilité a été orientée dès les années ’50-’60 par des objectifs fonctionnalistes parmi lesquels trois sont soulignés par Bernadette Mérenne-Schoumaker : mieux circuler, convertir l’économie et structurer l’agglomération. Ces objectifs se fondaient notamment sur le postulat quelque peu euphorique d’une croissance supposée sans limite, soutenue par des infrastructures lourdes et une organisation territoriale maintenant un équilibre entre le pôle de la ville-centre et les pôles secondaires périphériques. C’est l’époque des grands transferts : l’université désinvestit le centre pour s’implanter sur le plateau du Sart-Tilman, l’hôpital régional délaisse les bords de Meuse pour s’installer sur les hauteurs de la Citadelle, les zones d’activités s’implantent le long des autoroutes. La région liégeoise connaît une périurbanisation plus intense que dans ses régions urbaines voisines, facilitée par une accessibilité en voiture excellente. Il en résulte de nouvelles polarités. Dès lors comment enrayer la croissance « naturelle » du trafic automobile qui est de l’ordre de 2% annuellement depuis 2000 ?

A la suite de périodes de récession économique liées à la fermeture des charbonnages et au déclin des secteurs industriels traditionnels, Liège a perdu depuis 1961 quelques 100.000 emplois industriels mais a gagné près de 65.000 emplois dans les secteurs tertiaires. La région a entrepris son redressement autour de ses potentialités : un pôle logistique émergeant autour de l’aéroport, le secteur universitaire et hospitalier, les administrations publiques et l’enseignement, les zones d’activités industrielles et commerciales… Ce redéploiement se base sur des atouts reconnus : une situation géographique favorable au sein de l’Euregio Meuse-Rhin (partenariat transfrontalier avec les villes voisines de Maastricht, Aix-la-Chapelle et Hasselt), des réseaux et des opérateurs de transports de marchandise performants, des secteurs de recherche et d’innovation de niveau international, des structures intercommunales d’accueil efficaces, des équipements urbains et une vie urbaine dont la qualité est avérée. Les secteurs privilégiés par les politiques publiques sont principalement le transport et la logistique, la micro-technologie, l’aérospatiale, la biotechnologie, la sidérurgie, la culture.

Les mutations économiques et sociales récentes amènent les responsables politiques à devoir réagir à une dualisation croissante des espaces, entre vallées d’ancienne urbanisation et plateaux récemment occupés. Le ville-centre de Liège comptait en 1960 quelques 250 000 habitants, elle n’en dénombre plus que 187.000 en 2006, d’où une perte d’influences démographique, économique et politique. Cinq communes de la vallée de la Meuse comptent 80% du chômage de l’arrondissement administratif de Liège. Elles concentrent une proportion très importante des quartiers défavorisés de l’agglomération, de nombreuses friches industrielles et des espaces fortement dégradés.

Les exposés de Jean-Marie Halleux, Jean-Marc Lambotte et Jean-François Leblanc précisent ce diagnostic au regard des enjeux de la mobilité vue aux échelles nationales, régionales et locales. L’agglomération, qui compte actuellement 485.000 habitants, est confrontée aujourd’hui à des difficultés de gestion du territoire à l’échelle supracommunale qui se manifestent par des positions antagonistes lorsque l’on aborde les débats en matière de politique de déplacements et d’infrastructures à aménager. Des voix s’élèvent pour réclamer une structure de concertation supracommunale plus efficace6. En effet, la fusion des communes réalisée en 1977 apparaît finalement peu pertinente par rapport aux enjeux présents, et il y a urgence à adopter des politiques concertées en matière de mobilité, mais également de développement économique, d’action sociale, de grands équipements ou encore d’environnement. De nombreux acteurs de la scène d’agglomération s’expriment contre le jeu de concurrences qui se pratique entre communes centrales ou périphériques, les carences d’un positionnement régional flou, l’absence d’un grand projet fédérateur. Le schéma de développement de l’espace liégeois[[Le SDEL est un schéma de développement et d’aménagement de l’espace territorial touché par la fermeture des outils de la phase à chaud d’Arcelor, principalement axé sur la vallée de la Meuse.]], prolongé par l’action du Groupement de relance économique du pays de Liège7 (GRE-Liège) tente de pallier ces manquements mais reste essentiellement confiné aux territoires centraux de la vallée en crise et à la problématique d’une reconversion économique qui se cherche. Paradoxalement, ce projet a révélé les divergences fondamentales qui existent au sein des élites politiques liégeoises sur un devenir commun potentiel.

4. Une visite exploratoire instructive

Les participants à la plateforme ont réalisé une visite de l’agglomération qui a permis d’appréhender le contexte de la ville-centre, de la vallée de la Meuse ainsi que de deux pôles d’activités, le pôle logistique de l’aéroport de Bierset et du campus universitaire du Sart-Tilman.

Liège est marquante par son relief de vallée caractéristique, parcouru par la Meuse, l’Ourthe et sa dérivation qui animent les quartiers centraux de l’agglomération. Les nombreux vestiges d’une industrialisation en déclin témoignent d’un dynamisme économique révolu ; ils indiquent aussi les difficultés d’une reconversion toujours en devenir, malgré des réalisations récentes remarquables.

En parcourant la ville, on en découvre immédiatement les particularités (site, paysages, patrimoines), les contraintes (relief, fleuve, ponts), les facilités de déplacements principalement axées sur la mobilité-voiture. La visite exploratoire a fait découvrir les divers projets en cours de réalisation dont la cohérence d’ensemble ne semble, de prime abord, pas assurée. Les récents aménagements des quartiers urbains concourent à améliorer la fluidité du trafic automobile tout en offrant des espaces qualitatifs aux piétons.

La nouvelle gare TGV de Liège s’achève alors la municipalité peine à faire aboutir des projets visant à organiser ses abords, maîtriser ses effets sur les quartiers voisins, sur les quais de Meuse et sur l’ensemble de la ville basse.

La Région wallonne poursuit des projets de développement aéroportuaire (nouveaux pôles logistiques dans l’agglomération) et autoroutier (rocade autoroutière Cerexhe-Heuseux – Beaufays sensée achever le périphérique est) qui risquent de renforcer des tendances à l’exurbanisation.

Certaines communes de la périphérie attendent la construction de ce chaînon manquant de la rocade autoroutière pour promouvoir l’habitat, des centres commerciaux et des zones d’activités économiques d’intérêt local. D’autres communes, au contraire, veulent préserver la qualité de leur environnement en repoussant les nuisances environnementales, et singulièrement celles de la mobilité en voiture, vers les entités voisines…

Manifestement, il y a une difficulté à penser globalement les projets d’une gestion cohérente des déplacements. Enfin, si le réseau de transport en commun de bus est particulièrement bien utilisé en centre-ville8, certains usagers, relayés en cela par des élus locaux, réclament de nouvelles infrastructures de transport collectif afin de mieux desservir les hôpitaux, les sites universitaires, les centres commerciaux ou d’autres activités économiques implantées sur les plateaux périphériques.

5. Des enjeux et des finalités de la mobilité

Le parcours réalisé a mis en évidence une organisation de réseaux qui favorise notoirement la mobilité-voiture : peu ou pas de congestion du trafic se combinent avec une perte de priorité pour les usagers non motorisés et une forte pression de la voiture dans l’espace public. Liège, ville pro-voiture, pourrait être citée en modèle si l’on s’intéresse exclusivement à l’optimisation des infrastructures de la circulation automobile. Malgré ce constat, vingt-quatre communes du Grand Liège ont pris l’initiative de demander conjointement au Ministre régional des transports la mise en chantier d’un plan urbain de mobilité concerté.

En effet, malgré un consensus tacite et durable autour d’une exigence d’accessibilité-voiture sans contrainte, principalement orientée vers les communes centrales, la mobilité reste au cœur des débats sur l’avenir de l’agglomération. Les exposés et la visite ont mis en lumière quelques enjeux essentiels :

Autrement dit, les territoires fonctionnels liés à l’usage de la ville par les acteurs ne coïncident plus avec les territoires institutionnels qui règlent les compétences et les processus de décision. Quel est le lieu du débat autour des enjeux économiques, sociaux, environnementaux et culturels ? Quelle attitude les différents acteurs concernés adoptent-ils en l’absence d’une institution supracommunale en charge de ces matières ? Les réponses apportées par les Liégeois présents ont révélé un certain désarroi face à l’ampleur des enjeux et un manque de prise sur les sphères décisionnelles qui semblent échapper aux mandataires communaux. Il en résulte un certain fatalisme des mandataires locaux. On peut aussi noter l’absence d’un leader incontesté qui rallierait l’assentiment d’une majorité d’élus ou de citoyens. Mais qui donc assume le gouvernement de l’agglomération ? Pourquoi n’existe-t-il pas une démarche de participation citoyenne autour des débats de la mobilité, en vue d’un projet concerté ?

Au terme de la visite, les éléments de diagnostic qui frappent le visiteur ont été confirmés par les Liégeois présent dans la discussion. Les aménagements réalisés dans certains quartiers centraux indiquent une certaine « rugosité » de l’espace piéton favorable à un mixage avec la circulation automobile. Néanmoins, on est frappé par une juxtaposition d’aménagements conçus par « modes » et non pas par « usages », ces dernières étant souvent davantage porteur d’une vision d’agglomération. Il manque souvent une hiérarchisation des lieux stratégiques à aménager par priorité, ce qui sous-entendrait une vision d’agglomération. Certains suggèrent que la stratégie des grands projets que l’on observe à Liège cache un manque de projets locaux d’appropriation de proximité. Plusieurs intervenants s’interrogent aussi sur les stratégies de stationnement et les stratégies foncières corrélées à la mobilité.

Plusieurs présupposés ont été énoncés et sont mis en question :

Un certain nombre de questions portent sur l’image qui caractérise positivement ou négativement certains modes de transport, ainsi que sur les modes de vie culturellement admis ou dénigrés. Ainsi, l’image négative de la ville-centre, réceptacle de tous les maux, est perçue comme un repoussoir par certaines populations qui autojustifient de la sorte le modèle de l’habitat pavillonnaire (la villa « quatre façades ») caractéristique de la périurbanisation.

Il semble enfin que l’on n’ait pas encore pris la mesure des changements fondamentaux qui s’amorcent en matière de mobilité, singulièrement quant à l’usage de la voiture individuelle. Ne faudrait-il pas développer une capacité d’anticipation, en envisageant par exemple l’apparition de friches routières, la désaffectation de certains quais aménagés en voies rapides, la fermeture de tunnels…

6. Débat avec des élus locaux

Le débat avec trois élus de communes du Grand Liège9 a confirmé les éléments de diagnostic qui précède et mis en évidence les éléments suivants.

Les communes sont motrices dans la définition de stratégies en matière de déplacements, d’aménagement du territoire et d’environnement ; mais, du fait d’un manque structurel de financement des pouvoirs locaux, c’est la Région wallonne qui est le bailleur de fonds incontournable dans ces matières. Il y a, dans le modèle belge, une situation de dépendance organisée entre les communes réputées « pauvres » et les pouvoirs régionaux considérés comme « riches ».

La gestion d’une agglomération comme Liège relève du bricolage institutionnel. Les communes sont cantonnées dans des visions à long terme de leur développement (schémas communaux d’aménagement du territoire, plans de mobilité) en fonction d’intérêts locaux ; simultanément, elles sont astreintes à répondre au quotidien aux demandes particulières.

Les présupposés sont effectivement lourds de conséquences. On relève le danger qui consiste à poser le débat sur la mobilité d’agglomération à partir d’une hypothétique reconversion économique. Un autre présupposé postule que la réalisation d’un transport en commun structurant (le tram) est certainement une solution aux problèmes liégeois. Comment susciter le débat, comment créer de la gouvernance à l’échelle supracommunale ?

On souligne le glissement progressif du débat sur la gestion de la mobilité vers la préoccupation d’une plus forte intégration des politiques des transports et de développement territorial. En France notamment, on a connu successivement les plans de circulation, ensuite les plans de déplacements (incluant les transports en commun), puis les plans thématiques (comprenant entre autres un volet environnemental) ; selon une évolution récente, la loi Solidarité et Renouvellement Urbains prévoit l’articulation du schéma de cohérence territoriale et du plan de déplacements urbains.

A travers ces différentes transformations, une question demeure : comment produit-on de la cohérence dans les démarches de planification ? Cela n’est pas a priori garanti dès lors que le cadre opérationnel n’est pas intégré dans les démarches planificatrices.

L’approche française place l’élaboration du plan de déplacements urbains au niveau supracommunal. Quelle est la plus-value de ce postulat qui considère que l’articulation des politiques de déplacement et de développement s’intègre dans une dynamique d’agglomération ? A l’expérience, il semble que cette dynamique n’est pas nécessairement source de consensus. Elle apparaît plutôt ambivalente. La pratique montre néanmoins que le débat à l’échelle de l’agglomération contribue à cette dynamique. Le débat autour des enjeux de mobilité et de développement implique une interconnaissance des acteurs, une écoute des problèmes rencontrés par les uns et les autres, l’instauration d’un dialogue autour des finalités d’un projet de développement. Parfois, des projets fédérateurs émergent : création de lignes de tramway, gare TGV, nouveaux concepts pour modes lents, … Ces projets sont autant d’opportunités singulières qui permettent d’accroître la capacité d’agir collectivement. Ils constituent des leviers qui permettent d’initier, par un processus d’apprentissage itératif, d’autres actions plus amples : définir des objectifs territoriaux, redévelopper un centre-ville, mener des politiques environnementales cohérentes…

Au terme du débat, il apparaît que les tentatives de coordination des politiques locales de mobilité ne créent pas les effets d’agglomération recherchés à Liège. La gestion des déplacements par les communes préoccupées par le maintien de l’autonomie communale ne produit pas actuellement un effet mobilisateur mais a plutôt des effets déstructurants sur l’organisation territoriale. Les tentatives de mise en commun des réflexions ne contribuent guère à l’évolution des mentalités et ne produit pas d’identité collective explicite.

7. Du paradigme de la planification normative au paradigme de l’action inductive

Un constat s’impose. Le plan de déplacement de la Ville de Liège, comme la plupart des documents stratégiques des agglomérations, repose avant tout sur une démarche cartésienne de planification. Cette démarche associe une pensée rationnelle, dont la finalité est une certaine conception du bien commun, avec le programme d’actions qui en résulte. Du fait du décalage temporel inévitable entre la première et le second, il apparaît immanquablement des sollicitations imprévues qui tentent l’opportunisme de certains décideurs, au risque de contredire la cohérence recherchée initialement. La séquence idéale qui enchaîne un diagnostic, une définition d’objectifs, des dispositifs de planification et des actions est alors mise à mal par des contradictions internes. Le paradigme du planificateur bienveillant ne fonctionne pas, ni à Liège, ni d’ailleurs en Suisse, en France ou au Canada.

Sans opposer cette logique de planification à une logique d’opportunité, il semble qu’il faille cependant sortir d’une approche par plans ou programmes pour adopter une approche par projet, si l’on veut dynamiser la coopération au sein des agglomérations.

Quelles sont les causes de cette tendance innovante ? Il faut d’abord chercher une cause dans les contraintes temporelles des acteurs. Le temps de l’élu est contraint par les échéances des mandats publics (6 ans au niveau communal en Belgique) et qui l’amènent à fixer des objectifs réalistes dans des horizons temporels politiques courts. Le temps de la planification est un temps nettement plus long (10 à 15 ans pour la durée d’un « plan ») qui ne correspond pas nécessairement à l’agenda des élus. Enfin, il y a la temporalité de l’action (1 à 2 ans ou davantage) qui s’inscrit souvent dans l’opportunité à saisir, les aléas des disponibilités des moyens publics, ou les contingences de la gouvernance.

Dans ce jeu de temporalités multiples, la logique hiérarchique qui articule des objectifs, des mesures planificatrices et des actions concrètes est peu opérante.

Est-on dès lors condamné à construire un projet d’agglomération à coup d’opportunités, pas à pas, selon une méthode d’essais et erreurs ? Comme le suggèrent certains participants à la plateforme, il faut accepter parfois de se dessaisir de la vision globale, trop éloignées des préoccupations pragmatiques des citoyens, pour décider une action opportune ou un faisceau de mesures concordantes, car celles-ci peuvent exercer un effet de levier sur la stratégie à long terme. Un objectif, une perspective stratégique, une finalité peut être combinée à l’opportunité immédiate pour fonder un « grand projet urbain ». La gare TGV de Liège ou la réintroduction d’un réseau de tramway seraient peut-être une application de ce nouveau paradigme de l’action inductive. La reconversion d’un site désaffecté (le site Arcelor dans la vallée sérésienne par exemple) peut aussi devenir une opportunité si elle est orientée par une visée stratégique. Cependant, cette approche implique que soient prédéfinis des objectifs négociés et partagés et qu’il existe une convention d’action (sur un mode informel éventuellement) qui permettent de « saisir » l’opportunité.

Quels sont les lieux qui permettent de fonder ces objectifs et de faire convention ? Sur quelle scène se débat la vision du devenir de l’agglomération, où se confrontent les croyances partagées par différents acteurs et s’expriment les valeurs communes ? A Liège, une telle scène semble faire défaut, ou en tout état de cause, les acteurs impliqués ne sont pas tous partie prenante à la réflexion. Il faut néanmoins souligner qu’il existe un noyau de militants de la métropole, mais ils peinent à se faire entendre.

Et quelles sont les hypothèses heuristiques dont il faut débattre ? La mobilité n’apparaît pas comme un objet à optimiser en tant que tel mais plutôt comme composante et atout du développement économique, social et environnemental.

La mise en place d’une cogestion intégrée de la mobilité, à la fois potentialité et contrainte partagées, procède par approches successives en éliminant progressivement les alternatives et en conservant une gamme restreinte de solutions tendant vers celle qui serait optimale. Cette approche heuristique serait-elle applicable à la construction politique de l’agglomération ?

Le cas de la ville de Tournai illustre cette dialectique entre planification à long terme et opportunité à court terme. On observe une constance des problèmes et des enjeux. Cette ville moyenne de 67 000 habitants se situe dans l’aire métropolitaine lilloise, en territoire belge. Les planifications de la métropole lilloise axent le développement sur un partenariat nord-sud associant Lille, Roubaix, Mouscron et Courtrai. Ces schémas tiennent à l’écart l’agglomération de Tournai et sa trentaine de noyaux villageois. Les politiques de transports traduisent bien ce manque d’interaction entre la ville-centre et ce pôle secondaire. De ce fait, des opportunités n’ont pu être saisies : réalisation d’une ligne du VAL, mesures compensatoires dans le cadre du TGV, projet train-tram entre Lille et Tournai… Cela traduit une forme de compétition entre les pôles urbains au sein de la métropole dont on ressent les effets négatifs sur la scène des acteurs. Récemment, des débats autour d’enjeux de développement économique liés à la mise à gabarit du réseau européen voies navigables (liaison Seine-Nord, Escaut, Lys) ont ravivé les conflits d’intérêt.

La réflexion collective tend à démontrer qu’il ne faut pas opposer la conduite des agglomérations par visions planificatrices ou par projets d’opportunité. Certains considèrent qu’il faut utiliser des éléments contextuels, comme un projet captant un financement région, national ou européen, pour promouvoir de nouvelles pratiques de coopération supracommunale, selon des orientations globales négociées dans le cadre de la planification. D’autres observent que tout partenariat dans le cadre d’actions d’opportunité - qu’il s’agisse d’accords entre municipalités, municipalités-Région ou municipalités-Etat - est par nature conflictuel mais que cette situation peut s’avérer dynamisant pour le développement.

Il faut aussi se méfier de tout dualisme en cette matière. Reprenant le concept de « ligne de fuite » élaboré par Gilles Deleuze10, la planification pourrait apparaître comme la ligne dure, celle des dispositifs de pouvoir qui déterminent une destinée à accomplir, une vocation à réaliser. Les lignes souples sont différentes mais voguent autour des lignes dures sans les remettre en question : on pense aux actions ponctuelles qui « transgressent » la ligne dure mais sans en compromettre le dessein. La ligne de fuite serait plutôt une vraie rupture par rapport aux orientations passées. Au travers d’événements ou d’opportunités, des lignes de fuite ne définissent pas un avenir mais ouvrent la voie d’un devenir. Elles amorcent un processus incontrôlable, dont le dessein reste à définir, un projet difficilement planifiable mais émancipateur et libérateur.

Il faut éviter le manichéisme qui consiste à voir d’un côté les méchantes lignes dures planificatrices ou régulatrices et de l’autre les bonnes lignes de fuite innovantes. Il faut certes des cadres rigides et normés qui permettent un fonctionnement durable des systèmes et institutions. Mais il faut parfois transgresser le cadre et expérimenter pour progresser. La démarche visant à miner ces lignes est délicat car il se fait non seulement contre l’Etat et les institutions en place mais implique aussi une remise en question de soi.

Cette dialectique de la planification et de l’action nous amène à confronter les approches de l’élu et du technicien. On peut identifier, comme le font les techniciens, des « enjeux » et élaborer des plans qui parfois ne sont guère en phase avec l’action ; il en va autrement de la reconnaissance de « défis », de tensions, de contradictions qui orientent l’action sur une ligne de fuite. Le défi fait convention au sens sociologique du terme et peut mobiliser les capacités d’agir. On pense au défi d’un développement à long terme, ou au défi relevé par un grand projet urbain. Comment mobiliser ces réseaux d’acteurs qui auront la capacité de faire convention ?

8. Regards croisés sur les agglomérations de Lausanne, Montréal et Saint-Etienne

Les ateliers proposés sur Lausanne, Montréal et Saint-Etienne ont développé une analyse qui indique une même capacité à fédérer des réseaux d’acteurs sur un grand projet métropolitain. Parmi les militants de la métropole, des « porteurs de projets » sont capables de faire émerger une ambition commune et nouent autour d’eux des réseaux d’acteurs. Dans les trois situations, on observe une capacité de coordination et d’action qui repose sur une expérimentation partagée.

Dans un premier temps, l’agglomération démontre sa capacité à agir. Mais dans un second temps, il faut capitaliser sur les premières actions, tenir au-delà d’un premier projet. Cela mobilise des capacités d’apprentissage et des démarches d’appropriation des projets-actions par les différents acteurs impliqués. Des questions institutionnelles reviennent alors pour pérenniser cette dynamique innovante qui a été initiée par l’expérience du grand projet urbain. On rappelle les débats menés précédemment concernant la démarche institutionnelle de la ville de Fribourg ou encore les conseils de développement et leur rôle dans les projets d’agglomération en France.

Il ressort des analyses de cas de Lausanne, Montréal et Saint-Etienne que la problématique des déplacements a été un facteur de développement de l’intercommunalité. Ce facteur est stimulé le plus souvent par la perspective d’une manne financière offerte par l’Etat et qui put contribuer à une amélioration sensible du cadre de vie pour tous. Cela se vérifie pour les régions où il existe une structure légale d’agglomération (communautés d’agglomération ou communautés de communes en France, communauté métropolitaine au Québec) comme pour celles où les agglomérations n’ont qu’une structure informelle (Suisse et Belgique). On observe aussi que l’élaboration d’outils techniques de planification ou d’action constitue un apprentissage pour les élus comme pour les techniciens en charge des agglomérations, en y associant parfois des représentants de la société civile (organes représentatifs, syndicats, mouvements associatifs, …). Ces outils reposent généralement sur un ensemble d’objectifs, de normes ou d’actions négociées. Fait commun à souligner, l’investissement dans une démarche d’agglomération constitue pour certains élus une réelle opportunité pour leur carrière politique, ce qui est aussi un facteur de développement de l’intercommunalité.

A Montréal, quoique la taille de l’agglomération soit nettement supérieure aux autres cas étudiés, les problèmes sont posés dans une même mesure : étalement urbain, perte de population des zones centrales, croissance démographique faible. Le financement des charges d’agglomération (notamment celles des transports publics) et les carences de la gouvernance ont été un déclencheur du processus de création de la communauté métropolitaine en 2001. Aujourd’hui, les enjeux financiers sont vecteurs d’une vision d’agglomération concertée. L’articulation des politiques de transports et d’aménagement du territoire suscite comme partout son lot de consensus et de dissensions. La voie du partenariat entre acteurs publics est privilégiée pour inciter à des actions structurantes à long terme.

A Lausanne, la mise en place de projets d’agglomération relève d’une incitation, non d’une imposition, de la Confédération, dans le cadre d’une politique contractuelle qui définit les règles du jeu entre acteurs. Des projets en matière de transports, d’aménagement ou d’environnement ont été initiés par un jeu d’acteurs communaux au départ, avec l’attrait d’un financement fédéral important. En l’occurrence, le canton a décidé d’imposer un périmètre à la réflexion pour une coordination des diverses politiques de transports menées localement. Ce périmètre imposé a fait l’objet de fortes contestations, ce qui a eu pour effet de liguer les acteurs locaux. Progressivement, cette mise en commun a contribué à rapprocher les points de vue des acteurs en présence.

Contrairement au plan directeur cantonal qui a valeur réglementaire, le schéma directeur établi à l’échelle de l’agglomération lausannoise ne repose sur aucune base légale. Il n’a pas de caractère contraignant mais constitue néanmoins un engagement ferme des partenaires. L’objectif central vise à mettre en place une réelle coordination entre développement urbain et transports. Le schéma comporte un volet programmatique qui tend à développer prioritairement la mobilité douce. Les opportunités de financement ont amené deux effets remarquables : d’une part, la concrétisation de la dynamique d’agglomération initiée par la réalisation de projets concrets ; d’autre part, le cofinancement des actions par les municipalités, le canton et l’Etat.

Toutefois, rien ne permet d’affirmer que l’organisation de l’agglomération lausannoise a un effet sur les comportements individuels de déplacements. Mais on constate un effet avéré des politiques de déplacements qui sont menées sur l’organisation urbaine. De ce point de vue, les stratégies relatives à la mobilité des biens et des personnes « font » agglomération.

A Saint-Etienne, l’élaboration d’un plan de déplacements urbains par la communauté d’agglomération à produit deux effets positifs à souligner : d’une part, la construction d’une agglomération amène un apport financier positif dès lors qu’elle permet de capter des aides de l’Etat ; d’autre part, l’élaboration d’un projet à l’échelle de l’agglomération a un effet de hiérarchisation et de priorisation d’un certain nombre d’actions qui s’imposent sans conteste comme nécessaires dans l’intérêt général. C’est le cas du développement du transport en commun à Lausanne, ou du plan de déplacements urbains de Saint-Etienne. Cette capacité d’action donne en outre une meilleure visibilité à la plus-value que procure d’une cogestion de projets au niveau de l’agglomération. Elle est d’autant plus évidente lorsqu’elle articule les politiques de transports et d’aménagement du territoire.

Toutefois, la démarche qui est impulsée par la réflexion sur les transports, l’élaboration d’un document de planification ou des actions-leviers s’essouffle parfois lorsqu’il est question de négocier des accords politiques sur le devenir commun. L’intégration dans une agglomération en devenir ne se produit pas sur des échelles de temps court. On pense notamment aux prévisions en termes d’aménagement du territoire, d’environnement ou de politique foncière qui mettent en concurrence les divers territoires institutionnels.

Pour certains, il semble cependant indispensable de coupler les institutions de planification (qui détiennent la clé du juridique et de la norme) et les institutions de programmation (qui activent les moyens financiers et les projets concrets). On peut regretter par exemple que les syndicats intercommunaux des schémas de cohérence territoriale en France n’aient qu’un rôle normatif, sans impact sur les actions ni sur les budgets. Dans le cas de l’agglomération de Nyon, le schéma directeur qui associe la ville-centre et les communes périphériques ne comprend pas d’outil de programmation ou d’investissement ; toutefois, les politiques sectorielles des communes tendent à être liées au schéma directeur dont elles intègrent les priorisations.

Les ateliers ont finalement permis de jeter un nouvel éclairage sur la réalité liégeoise

La question des opportunités est bien présente à Liège : gare TGV, fermeture de la phase à chaud d’Arcelor, aménagement d’une rocade autoroutière est, réintroduction du tramway… Néanmoins, aucune de ces actions ne semble pas pouvoir faire émerger un grand projet fédérateur. On ne semble pas avoir identifié les scènes où un tel projet pourrait être mis en chantier, ni les acteurs qui porteraient un tel projet. On pourrait citer la conférence des bourgmestres de l’agglomération, le conseil communal de la Ville-centre, les commissions consultatives communales d’aménagement du territoire ou de rénovation urbaine, la société intercommunale de développement économique, etc.

Ces organes sont sollicités au coup par coup, soit pour des microprojets, soit sur des visions à long terme qui ne sont pas débattues. Un projet de ville a été élaboré par la commune de Liège mais n’a pas été concerté avec les communes voisines. Comment dès lors transformer un « objet » autoproclamé en potentialité d’action, comment ouvrir un débat et dessiner ensemble une ligne de fuite ?

Dans le cas spécifique de l’agglomération de Liège, une voie intéressante pourrait être le recours à des acteurs extérieurs qui pourraient initier une « thérapie d’agglomération », afin de débloquer la situation quasi léthargique actuelle. Cependant, il ne faut pas non plus complexifier le jeu d’acteurs et proposer de faux-fuyants.

On doit s’interroger aussi sur le rôle réel de la Région et de l’Etat fédéral dans le jeu des concurrences entre territoires et de leurs stratégies sous-jacentes. De nouvelles formes de coopération sont à mettre en place.

Plusieurs observations résultent des échanges réalisés lors des ateliers.

En synthèse, on relèvera la permanence du constat selon lequel les instances locales (les municipalités) n’arrivent généralement pas à coopérer efficacement. Dans les quatre pays, l’intervention d’instances extérieures (canton, comté, région, Etat…) est nécessaire pour susciter des opportunités de développement et ainsi faire évoluer le jeu des acteurs.

Le phénomène d’étalement urbain, partout présent, amène à réfléchir les politiques de déplacements comme modalité de régulation des transformations territoriales. L’offre de transport, la planification de l’occupation du sol, le renouvellement urbain, la gestion foncière ont été cités dans les différentes situations car ces initiatives publiques exercent un effet régulateur réel sur l’agglomération. Mais ces effets restent encore peu perceptibles.

Dans les différentes situations, on observe deux approches différenciées de la problématique : l’approche « comportementaliste » et l’approche « structuraliste ». La première voie tente de mener une réflexion de fond sur les comportements des habitants-usagers, sans pour autant exclure les effets structurants liés aux politiques publiques qui sont menées (transports, aménagement, environnement). Mais cette approche relativise l’incidence des comportements par référence à d’autres facteurs individuels. La deuxième voie privilégie l’approche de la mobilité au travers de l’analyse de l’organisation territoriale, entre autres des localisations d’activités (centres commerciaux, zones d’emplois, quartiers résidentiels…). Elle prône un urbanisme intégré qui re-déploie de la mixité et de la proximité dans les quartiers. L’action des pouvoirs publics dans ce domaine a incontestablement un effet, mais jusqu’à quel point est-il structurant ?

Finalement, on est confronté à un jeu d’acteurs et de pratiques sociales qui rendent incertains les impacts de la mobilité. Toutes les agglomérations sont donc contraintes à expérimenter des dispositifs dont on tente d’évaluer les effets sur les usagers (la mobilité comme facteur de discrimination ou d’exclusion sociale par exemple) ou sur les politiques publiques menées (l’impact de la mobilité sur les politiques foncières et de logement par exemple).

Il semble donc qu’une approche simultanément globale et locale soit nécessaire, mêlant pragmatisme de l’action et prospective de la planification. Cette double approche inductive et déductive permet une meilleure prise en compte de la réalité d’une agglomération en devenir dans les politiques publiques.

9. Conclusion : la mobilité fait-elle agglomération ?

Au terme des travaux de la plateforme, la question initiale a été posée à nouveau : la mobilité fait-elle agglomération ? Il ne se dégage pas une réponse univoque à cette interrogation, mais plusieurs pistes de réflexion ont été esquissées.

L’ambiguïté des sens donnés aux termes « transports » – « déplacements » – « mobilité » manifeste plus qu’une distinction des jargons juridico-administratifs locaux.

L’organisation ou la gestion des transports dans les agglomérations relèvent essentiellement des orientations données par les politiques publiques. Dans les diverses situations rencontrées, les projets innovants qui sont mis en œuvre semblent effectivement renforcer la coopération supracommunale. Mais ils génèrent en même temps des dissensions et des conflits. La concrétisation des collaborations et la gestion des conflits contribuent à l’émergence d’un gouvernement d’agglomération. Parmi toutes les compétences des pouvoirs publics, les transports fédèrent en effet un grand nombre d’acteurs, à toutes les échelles territoriales, qu’il est possible de liguer autour d’une action concertée. On constate d’ailleurs qu’un certain nombre de constructions institutionnelles d’agglomérations sont nées de l’opportunité d’un projet d’infrastructure de transport. Une question reste : comment les politiques d’infrastructure de transports concourent à faire convention et à agir sur la ville.

La maîtrise des déplacements renvoie à une ambivalence du concept même d’agglomération, tantôt compris dans son acception de territoire fonctionnel des habitants-usagers, tantôt dans le sens d’une structure intercommunale en charge du gouvernement d’un territoire institutionnel. La politique des déplacements sollicite donc de multiples compétences qui relèvent d’acteurs publics et privés nombreux : on vise par exemple les initiatives prises en matière de logement, d’emploi, de centres commerciaux, de localisation d’entreprises, d’environnement… et de transports. La gestion des déplacements n’est pas le fait d’une politique unique, mais d’un faisceau d’actions pas nécessairement coordonnées. On relève aussi que les déplacements sont généralement à la base de la définition même des territoires (régions urbaines, territoire des migrants alternants, agglomération fonctionnelle…). Ainsi, est-ce l’habitant, l’usager, le citoyen, l’élu ou le technicien qui détermine le territoire pertinent pour mener des politiques publiques à l’échelle d’un périmètre défini ? L’agglomération se confond-elle avec le bassin d’usagers de la ville, territoire dont les contours restent toujours flous et mouvants ? Rien n’est moins sûr. La problématique de la coordination des politiques publiques, maintes fois évoquées lors de cette plateforme (SCOT, PLH, PLU, PTU…) soulève la question de l’imbrication des périmètres d’intervention multiples de l’action publique, toujours en décalage par rapport aux territoires de l’usager.

La mobilité est apparue comme un concept englobant, donc perturbant. Elle est davantage une potentialité de l’espace urbain qu’on exprime parfois par les notions d’accessibilité ou de motilité. La mobilité fait le territoire, mais peut-être pas l’agglomération. Elle se pose davantage en termes de défi à relever, génératrice de lien social ou d’exclusion, que d’objet à organiser. La mobilité questionne les décideurs sur les finalités du développement du territoire, sur les valeurs sous-jacentes et interpelle le dénominateur commun entre les acteurs impliqués. Il est paradoxal d’observer deux stratégies opposées qui guident les actions concrètes en matière de mobilité : d’une part, on cherche, en agissant concrètement sur l’espace urbain, à créer de la proximité spatiale tout en favorisant, d’autre part, une liberté de se mouvoir qui suscite de la non solidarité sociale. Le concept de mobilité conduit à rejeter un territoire strictement fonctionnel, qui relèverait de la seule compétence des pouvoirs publics, pour privilégier un territoire urbain plus complexe, structuré en réseaux, qui produirait de la solidarité et de l’inclusion. Il faut bien constater que les territoires institutionnels sont malmenés par cette mutation en cours.

Au cours de la plateforme, on a souligné souvent la dynamique de mobilisation provoquée à l’occasion d’un projet d’agglomération, en soulignant le « bricolage institutionnel » que ce processus sollicite. En termes de gouvernance, il ressort aussi des réflexions qu’une conduite du projet territorial tirant avantage des opportunités instantanées peut avantageusement s’allier à la production de visées stratégiques à long terme. Il s’agit là d’un processus qui crée du débat, de la confrontation et du projet collectif. Une nouvelle scène est à organiser pour que le débat ait lieu.

Ces constats renvoient à un schéma proposé à Namur (2004) qui balisait le champ des possibles en matière de partenariat supracommunal. Comme on l’a déjà perçu, la coopération supracommunale passe par une dimension fonctionnelle (organiser le territoire) et une dimension relationnelle (mieux vivre ensemble) qui nécessitent du temps et de l’expérimentation. La question du processus d’apprentissage collectif, expérimentant pas à pas de nouvelles formes d’interaction, mérite d’être posée en ce qui concerne la maîtrise de déplacements dans les agglomérations. Plus que dans d’autres domaines, la gestion des déplacements, problématique très sensible pour les populations, suscite de réelles volontés politiques de collaboration. Mais au contraire, elle constitue parfois une pierre d’achoppement de plus pour une dynamique de construction d’une agglomération. La plateforme liégeoise aura montré que ces difficultés peuvent être surmontées pour autant que soient réunies deux conditions essentielles : une volonté politique de coopération et un processus d’apprentissage collectif maîtrisé.

1 La plateforme a été organisée avec le support financier du Conseil Economique et Social de la Région wallonne, de la Ville de Liège, du TEC Liège-Verviers et du Ministre wallon du logement, des transports et du développement territorial. Elle a été co-organisée par le Service d’étude en géographie économique fondamentale et appliquée (SEGEFA) de l’Université de Liège et le par le Centre d’études en aménagement du territoire (CREAT) de l’Université de Louvain.

2 Ont notamment contribué à la préparation de la cinquième plateforme : Patrice Aubertel (PUCA-DGUHC), Paul Boino (IUL-Lyon 2), Louis Boulianne (CEAT-EPFL), Claire Gillio (PUCA-DGUHC), Françoise Goudet (PUCA-DGUHC), Roger Hagelstein (CREAT-UCL).

3 P. Aubertel, C. Gillio, Synthèse de la cinquième plateforme des agglomérations, document de travail, PUCA-DGUHC, mars 2007.

4 Voir entre autres Kaufmann Vincent, Widmer Eric (2005) L’acquisition de la motilité au sein des familles. Etat de la question et hypothèses de recherche, Espaces et Sociétés 120-121, pp. 199-217.

5 Cette synthèse est proposée sous la responsabilité de l’auteur qui s’est inspiré librement des présentations et discussions de la plateforme.

6 En l’absence d’une instance décisionnelle d’agglomération légalement instituée, la conférence des bourgmestres de l’agglomération tient lieu de structure coordinatrice officieuse.

7 Le GRE-Liège est un forum permanent des acteurs économiques et sociaux de la région liégeoise qui tente de coordonner, sous la direction d’un comité scientifique et en concertation avec les pouvoirs publics régionaux et provinciaux, les actions de relance économique. Il apporte une validation des projets ensuite soumis au comité exécutif.

8 Selon J.-F. Leblanc, la société de transport en commun TEC-Liège-Verviers transporte la moitié des voyageurs wallons.

9 Il s’agissait de Madame Lhoest, échevine de l’urbanisme de la commune de Chaudfontaine (Mouvement réformateur), Monsieur Cappa, échevin de la commune de Fléron (Parti socialiste) et M. Castagne, conseiller communal de la ville de Liège (Mouvement Ecolo)

10 Entre autres Deleuze G., Guattari F., Mille Plateaux, Minuit, coll. « Critique », Paris, 1980.

Para ir más allá

Offner Jean-Marc. Les « effets structurants » du transport : mythe politique, mystification scientifique. In: Espace géographique, tome 22, n°3, 1993. pp. 233-242.