Gestion des services publics en France : les différentes modalités juridiques

Jean-François TRIBILLON, 2005

Cette fiche propose un récapitulatif des modalités de délégation de services publics et des lois qui les régissent, en France.

La personne publique qui crée le service public ne le gère pas nécessairement elle-même. Elle peut confier la gestion du service à un tiers aussi bien public que privé. Ce transfert au profit du tiers ne peut être total, la collectivité conserve la haute main sur le service en question.

I. Le service public assuré par une personne publique

La gestion du service par la personne publique qui l’a créé : la régie

La gestion en régie d’un service public consiste en la prise en charge directe de son fonctionnement par la personne publique qui l’a créé, avec ses propres moyens matériels, humains et financiers.

La régie se distingue de la régie intéressée qui est fondée sur un contrat passé avec un organisme tiers dont la rémunération provient de la personne publique, et qui peut comporter des clauses d’intéressement du régisseur indirect à la qualité de la gestion, à sa productivité.

La régie est évidemment le procédé de gestion classique de la plupart des services publics proprement administratifs : les services d’urbanisme, les parcs et jardins publics, la voirie, l’état civil… Pour les services publics industriels et commerciaux, une certaine idéologie libérale a conduit bien des communes à préférer une gestion indirecte par entreprise à la gestion directe. Un grand nombre résistent et continuent à appliquer la méthode directe à la gestion des services comme la distribution d’eau, le ramassage des ordures ménagères, l’assainissement et le traitement des eaux usées. Pour les services d’État la pression est exercée par Bruxelles qui interdit à un service d’être à la fois prescripteur ou régulateur (producteur d’ordres et de normes) et opérateur (producteur de biens et de services).

Il convient de distinguer les régies simples et les autres régies que nous qualifierons d’autonomes. Dans le cas des régies simples, le service public concerné n’est d’aucune façon distingué des autres activités de l’administration de la collectivité en question. Dans les autres, il est reconnu à l’organisme gestionnaire une certaine autonomie de gestion qui se traduit par une certaine individualisation financière sous la forme d’un budget spécial annexé au budget général. Le budget spécial en question doit être en équilibre.

Les employés des services publics en régie sont en principe des agents publics, fonctionnaires ou non. Les ressources du service en régie sont des ressources publiques ; s’y ajoutent éventuellement les contributions des usagers acquittés par eux en contrepartie du service rendu.

Le service public assuré par une personne publique autre que celle qui l’a créé : le cas le plus classique, celui de l’établissement public.

L’établissement public est une personne morale de droit public spécialisée, dont précisément la spécialité est la gestion du service, et donc jouissant d’une plus ou moins grande autonomie de fonctionnement. C’est l’acte qui créé l’établissement qui en détermine la vocation et qui définit les règles de fonctionnement. L’établissement peut être créé par une collectivité locale comme par exemple pour les centres communaux d’action sociale. Il convient d’assimiler aux établissements publics locaux les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’établissement à instituer par une collectivité doit pouvoir se ranger dans une des catégories définies par la loi. La collectivité n’est pas véritablement libre même si une simple délibération du conseil municipal suffit.

Les établissements publics sont gérés par leur conseil comportant toutes sortes de personnes (représentants du personnel, des usagers, des personnalités indépendantes qualifiées…) élues, désignées, cooptées.

L’administration de l’établissement et l’exécution des délibérations du conseil sont de la responsabilité du président du conseil et du directeur général. Dans les établissements intercommunaux, la majeure partie du conseil est formée des délégués des communes membres et le président du conseil est nommé par le conseil, dans un souci de symétrie avec le mode de désignation du maire.

L’établissement public possède un budget propre, distinct du budget de la collectivité pour laquelle œuvre l’établissement. Il est proposé à la délibération du conseil et exécuté par le président et le directeur général. Les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière exploitant des services publics industriels et commerciaux sont soumises aux règles de la comptabilité communale, le comptable est nommé par le préfet.

Les établissements publics dépendant des collectivités territoriales sont, à l’exception des hôpitaux publics, des collèges et des lycées, soumis au régime de tutelle applicable à ces collectivités, tant en ce qui concerne la légalité de leurs actes qu’en matière budgétaire.

II. Le service public confié à une personne privée

La personne publique à l’origine de la création du service public peut décider de ne pas en assurer elle-même l’exécution, mais de la confier à une personne privée.

Le recours à un gestionnaire privé n’est pas possible si le service en question est un service dit régalien comme la justice ou la police ou la représentation diplomatique et bien sûr le recouvrement des impôts (service que le roi autrefois affermait à des fermiers plus ou moins généraux qui devenaient les grands argentiers de la monarchie).

Le recours à un gestionnaire privé est aujourd’hui un procédé paré de toutes les vertus : souplesse de la gestion qui échappe aux rigueurs du droit public et de la comptabilité publique, financement des investissements par le système bancaire, logique d’entreprise, empressement des commerciaux au lieu des « grinchements » des fonctionnaires…

L’habilitation à gérer peut être le fait d’un acte unilatéral ou d’un contrat.

L’habilitation unilatérale peut prendre toutes sortes de formes (lois, actes réglementaires, actes individuels, délibérations des collectivités) et les bénéficiaires sont très divers : ordres professionnels, mutuelles (pour la sécurité sociale), associations, sociétés industrielles, sociétés foncières…

Le moyen le plus classique d’habilitation, notamment pour les services locaux, est le contrat. Les contrats sont de divers types. On évoquera les principaux.

Le contrat de concession de service public

« La concession de service public est un contrat par lequel une personne publique (le concédant) confie (…) la charge d’assurer l’exécution d’un service public à une personne privée (ou publique) librement choisie (le concessionnaire). Cette dernière doit exploiter l’activité à ses frais et risques, conformément aux prescriptions d’un cahier des charges, sa rémunération résultant du produit des redevances qu’elle perçoit, conformément à un tarif, sur les usagers. La concession de service public est, le plus souvent, doublée d’une concession de travaux publics, le concessionnaire ayant la charge d’établir les infrastructures (par exemple, un réseau d’adduction d’eau) nécessaires à l’exécution du service (par exemple, le service public de la distribution d’eau potable) (…) ”[>(note) 1

Le contrat d’affermage du service public

« L’affermage est un contrat par lequel une personne publique (autorité affermante) confie l’exploitation d’un service public, pour une durée déterminée (généralement moins longue que celle d’une concession, du fait de l’absence de capitaux à amortir), à un fermier librement choisi (…). L’Administration finance les frais de premier établissement (le fermier n’avançant que le fond de roulement), et met éventuellement à la disposition de son partenaire les ouvrages nécessaires à l’exécution du service. Le gestionnaire exploite l’activité à ses risques et périls, perçoit directement des redevances sur les usagers, mais doit acquitter un fermage, d’un montant prédéterminé par le contrat, à la personne publique (son bénéfice étant donc égal à la différence entre ces deux sommes). S’il appartient au fermier d’entretenir les ouvrages qui ont été mis à sa disposition, les travaux de renforcement et d’extension sont à la charge de la collectivité affermante ”.

Le contrat de régie intéressée

« La régie intéressée repose sur une convention chargeant un organisme privé (ou public) d’assurer un service public pour le compte d’une collectivité publique. (…) L’entrepreneur gère l’activité quotidiennement, effectue les travaux de petit entretien, perçoit, pour le compte de la collectivité à laquelle il les reverse, les redevances acquittées par les usagers (…). Il n’assume pas les risques et périls de la gestion (…). Sa rémunération, versée par l’administration, comprend un forfait minimum garanti et une part dont le montant varie non seulement en fonction des bénéfices réalisés, mais aussi d’autres résultats de sa gestion, comme les économies réalisées, les gains en productivité, l’extension du service, l’amélioration de sa qualité ”.

La loi du 29 janvier 1993

Ces pratiques ont donné lieu à des abus et ont été l’occasion d’actes de corruption tels que le législateur s’est cru obligé d’intervenir, notamment par le moyen de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques obligeant la collectivité publique qui délègue la gestion de son service public à une personne privée de se conformer à des normes minimales de publicité, de mise en concurrence des candidats et de transparence des décisions. Il a de plus adopté (loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier) une définition qui se veut large du contrat de délégation de service public : «un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service ».

Ces textes ne règlent pas tout mais mettent un peu d’ordre en cette matière. La définition de la délégation est sans doute trop restrictive pour couvrir tous les cas d’interférence des logiques de service public et d’entreprise privée. Il appartient aussi aux citoyens et à leurs associations d’exiger une parfaite application de ces lois. Il se pourrait que dans ces conditions il soit plus difficile à une collectivité de « vendre » ses services publics à l’encan.

III. Exercice du service public par une entreprise publique

Par entreprises publiques, on désigne tous les organismes dotés de la personnalité morale (ce qui exclut les régies) exerçant une activité économique et dont le fonctionnement est soumis à une influence dominante des pouvoirs publics. Il existe un secteur public national (dépendant de l’État), mais aussi local (collectivités territoriales). On distingue les entreprises de premier rang directement contrôlées par les personnes publiques et les entreprises de second, voire troisième rang, qui sont les filiales des premières. Si certaines ont été créées directement par les pouvoirs publics (cas de La Poste ou de France Télévisions), d’autres (mais cela concerne seulement l’État) sont issues d’une loi de nationalisation (cas d’EDF ou GDF).

Elles peuvent revêtir la forme d’un établissement public industriel et commercial (au plan national, on peut mentionner les exemples d’EDF, de GDF, de la SNCF, du Réseau ferré de France), auquel on peut assimiler la régie locale dotée de l’autonomie financière et de la personnalité morale, ou d’un organisme privé, le plus souvent société anonyme (du fait du mouvement de privatisation engagé en 1986, les illustrations deviennent de moins en moins nombreuses au plan national. On peut toutefois mentionner France Télécom, la compagnie Air France ou France Télévisions).

Certaines de ces entreprises peuvent être titulaires de missions de service public. Celui-ci étant nécessairement un service public industriel et commercial, la part de droit administratif présente dans leur régime juridique dépend alors de la forme publique (établissement public) ou privée (société commerciale) adoptée.

Il faut surtout signaler l’évolution des relations des entreprises publiques nationales avec l’État. Suite à une recommandation du rapport Nora sur les entreprises publiques d’avril 1967, l’État engage une politique de contractualisation de la tutelle qu’il exerce sur les principales entreprises de son secteur public, dont certaines sont investies d’une mission de service public.

La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (déclare) que «L’État peut conclure avec les entreprises du secteur public placées sous sa tutelle ou celles dont il est actionnaire et qui sont chargées d’une mission de service public, des contrats d’entreprise pluriannuels. Ceux-ci déterminent les objectifs liés à l’exercice de la mission de service public assignée à l’entreprise, les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre, le cas échéant par l’intermédiaire de filiales, et les relations financières entre l’État et l’entreprise ».

1 Renan Le Mestre, Droit du service public, Gualino éditeur, Paris, mai 2003, p. 123 et s.; sauf indications contraires, les citations qui parsèment ces développements sont extraites de cet ouvrage

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