Une démarche collective et territorialisée d’introduction de produits locaux et sous-signe de qualité dans la restauration collective.

Module 2.2 du Mooc « Acteurs, leviers, outils pour mener les transitions du système alimentaire »

Stéphanie CABANTOUS, 2018

Témoignage recueilli auprès de Camille Bouc, conseillère en développement territorial à la Chambre d’Agriculture des Pays de la Loire, animatrice du Réseau Local Anjou quant au contexte particulier d’une démarche d’introduction de produits locaux et sous-signe de qualité portée par une chambre consulaire.

Pour visionner la vidéo du module 2.2.3, s’inscrire à une prochaine session de formation (septembre 2019) du CNFPT sur FUN

Une initiative de la Chambre d’agriculture départementale rendue possible par un terreau fertile

Nous sommes dans le département du Maine-et-Loire. Historiquement, la Chambre d’agriculture départementale est une des chambres d’agriculture les plus dotées en salariés, donc en ingénierie technique. Mais pas seulement, en ingénierie territoriale aussi. De longue date, la Chambre mène des actions de développement territorial, travaille avec les collectivités du territoires. Elle est organisée en bureaux décentralisées sur tout le département avec pour chaque bureau, un animateur territorial.

Camille Bouc intègre la Chambre à ce poste de conseiller/animateur développement territorial, menant des actions transversales et accompagnant des projets collectifs sur le territoire. La Chambre travaille avec les collectivités : elle répond à ses commandes (comme pour l’organisation de marchés festifs) et lui soumet des projets collectifs à soutenir.

Elle assume également une posture de conseil autant que de prestataire auprès des collectivités, n’hésitant pas à répondre à des appels d’offre. Les élus de la Chambre considèrent que la profession agricole a intérêt à agir sur et pour le territoire.

Le territoire angevin a par ailleurs une habitude du travail collectif. En témoigne le dynamisme des Pays. S’y ajoute une préférence pour le consensus, avec cette tendance à embarquer large, à ouvrir.

2009, année charnière

La Chambre a donc une pratique du travail collectif, une approche territoriale, des moyens humains.

En 2009-2010, la Chambre veut s’engager sur des projets plus structurants avec les collectivités.

Nous sommes au sortir du Grenelle de l’environnement. Les élus agricoles se questionnent sur l’alimentation servie aux enfants et aux personnes âgées du territoire. Les conclusions du Grenelle posent l’objectif d’un seuil de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans les cantines et lieux de restauration collective d’ici 2012. Les élus agricoles demandent à leurs équipes de travailler en ce sens.

Le dialogue d’élus à élus

Plutôt que d’envoyer les équipes techniques mobiliser les communes une par une, dans un dialogue de technicien à technicien, devant rechercher l’approbation politique, les élus de la Chambre font un choix stratégique autre : aller parler aux maires et aux conseillers départementaux. A leurs homologues politiques.

C’est donc avec l’association des maires du Maine-et-Loire et le conseil Départemental que s’instaure le dialogue. Il s’agit de pouvoir travailler de conserve la restauration collective de toutes les cantines scolaires et des collèges publics.

L’idée de départ est encore assez floue. Tous s’accordent à dire que ce serait bien de faire quelque chose. Mais quoi ?

Du diagnostic au réseau

Première étape : l’enquête. Avant de pouvoir définir une quelconque stratégie en matière d’introduction de produits locaux et sous signe de qualité dans la restauration collective, encore faut-il se représenter quelles sont les pratiques en la matière. Comment s’approvisionnent les cantines ? Quelle part de produits locaux dans cet approvisionnement ? De quels produits locaux parle-t-on (types de produits, origine géographique…) ?

Les résultats de cette enquête : « sans être très mauvais, on partait de loin ». Oui, il y a des produits locaux et sous signe de qualité. Environ 10% des volumes pour les collèges publics en 2009. Par contre, est-ce voulu ? Conscientisé ? Organisé ? Rien n’est moins sûr. Les cuisiniers ne connaissaient pas toujours l’origine de leurs produits, n’avaient pas les moyens de l’identifier.

L’enquête a conforté les élus dans l’idée qu’il fallait à la fois démultiplier cet approvisionnement en local et sous signe de qualité, que beaucoup de freins existaient mais que la motivation était là, qu’il y avait un intérêt à formaliser un espace de rencontre des acteurs concernés pour créer les synergies nécessaires.

En 2010, les trois acteurs historiques posent les bases du réseau local Anjou.

Ce sont eux qui en fixent les objectifs, les contours, le mode de fonctionnement.

Les objectifs reprennent ceux du Grenelle, à savoir 20 % de produits locaux et sous signe de qualité dont issus de l’agriculture biologique. Et le principe d’une progressivité.

Le souhait est de créer un réseau rassemblant les acteurs de la production jusqu’aux convives, sur un fonctionnement souple, à la carte mais autour de valeurs et d’objectifs partagés et d’une ambition de structuration des filières.

Bien qu’informel, non juridiquement autonome, ce réseau se voyait doté de moyens humains d’animation, avec une animation principale assurée par la Chambre d’agriculture (aujourd’hui, Camille Bouc) et des référents à l’association des maires et au conseil départemental, ayant chacun du temps de travail réservé à cette fin.

Les bases de ce réseau posées, la Chambre d’Agriculture, l’association des maires et le conseil départemental sont allés « recruter » les Maisons familiales rurales (MFR), les Pays, le CNFPT, la Région, l’enseignement privé, les filières et interprofessions, la SOMINVAL (société qui gère les marchés d’intérêt national du département).

Fonctionnement du réseau : moyens techniques, humains et financiers et modes de régulation

Ce démarchage individuel a abouti à la constitution d’un comité de pilotage de 50 membres, dont 25 sont très actifs et participent à toutes les réunions et 25 se mobilisent en fonction en l’agenda du réseau. Plus de 600 personnes participent aujourd’hui aux actions menées.

Une conférence de presse annonce officiellement la création du réseau en 2012.

Les principes, valeurs, objectifs du réseau sont précisés dans le texte de cadrage établi par les trois acteurs historiques. L’adhésion des membres est formalisée par la signature d’une fiche d’engagement et l’abonnement à la lettre d’information du réseau.

Le Comité de pilotage se réunit 4 à 5 fois par an. Il est présidé par un élu de la Chambre d’agriculture et animé par Camille Bouc. Les partenaires sont représentés soit par un élu soit par un technicien et parfois par les 2. Camille Bouc prépare l’ordre du jour avec le président. Cet ordre du jour est validé par les élus référents du Conseil Départemental et de l’association des Maires. Camille Bouc est chargée de l’organisation de la réunion (convocation, réservation de salle, diffusion du compte-rendu…).

Le Réseau dispose d’un budget propre alimenté par les trois membres fondateurs et dont la gestion est assurée par la Chambre d’Agriculture. Il permet de rémunérer le temps d’animation, mais aussi les besoins matériels pour l’organisation des Rencontres ou des ateliers dans l’année, ou encore les frais de communication (impression d’affiches, pochettes, stop-assiettes…), et enfin bien sûr l’intervenant tête d’affiche des Rencontres. Le Réseau a également bénéficié de soutiens financiers ponctuels, du Crédit Agricole, du Ministère de l’Agriculture dans le cadre du programme PNA pour des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Un réseau, espace supra de rencontre

Le rôle du réseau n’est pas de faire pour ses membres mais bien de permettre aux membres de se rencontrer, de dialoguer puis d’agir ensemble, chacun selon ses responsabilités, sa place dans le système alimentaire.

Le réseau mène spécifiquement trois actions :

(1) l’accompagnement de la demande de la restauration collective

le réseau accompagne la formulation de la demande pour ensuite orienter vers les bons interlocuteurs susceptibles de construire une réponse avec le demandeur, que le besoin porte sur l’élaboration d’un marché public ou sur la formation des cuisiniers

(2) la structuration de l’offre en allant à la rencontre des acteurs économiques

le réseau rencontrera les coopératives pour travailler sur les projections en volumes ou avec les grossistes pour faciliter la lisibilité de l’offre locale par exemple par l’évolution des informations mentionnées sur les factures

(3) la communication

le point d’orgue de la communication est l’organisation des rencontres annuelles, qui mobilisent grandement les membres du comité de pilotage et attirent près de 200 personnes à chaque édition. Le programme varie chaque et fait une bonne place aux réunions d’affaires entre professionnels

Tout au long de l’année sont également organisés des ateliers thématiques et opérationnels portant par exemple sur les marchés publics ou les abattoirs de proximité.

Enfin le réseau communique régulièrement via sa lettre d’information.

Où en est-on ? Qu’observe-t-on ? Quels sont les résultats ?

Aujourd’hui, et en avance sur la loi issue des Etats généraux de l’alimentation, le réseau se fixe un objectif de 50 % de produits locaux sous signe de qualité dont issus de l’agriculture biologique.

A-t-il atteint ses objectifs précédents ?

A priori oui. Pour les collèges publics, entre 2015 et 2018 on a observé chaque année une augmentation de 6% en moyenne, et le meilleur collège affiche un taux de presque 70% de son approvisionnement. Le taux moyen pour les collèges approche même les 50%. Pour la restauration des écoles, beaucoup de choses se font, même si cela est assez disparate.

Il est toutefois assez difficile d’assurer un suivi régulier par enquête, les responsables de la restauration disposant de peu de temps ou de données pour répondre aux enquêtes. Le partenariat avec la DRAAF Pays de Loire, qui a créé un observatoire de l’approvisionnement en restauration collective, permet toutefois d’obtenir des données annuelles.

Mais le % n’est pas le seul indice de l’évolution. Intéressons-nous à ce qui se joue sur le territoire.

On observe d’abord une plus grande compréhension de la part des maillons finaux de l’organisation du système alimentaire. En effet, la notion de produits locaux est assez flou. Regrouper dans le même réseau tous les acteurs du système permet toutefois aux acteurs de se construire une compréhension commune. Ayant affaire à des professionnels de la filière, la définition de la proximité géographique s’entend de manière souple et adaptée aux réalités : que produit-on ? Où le produit-on ? Comment sont organisées les filières ? L’idée principale retenue est que selon le produit le kilométrage variera. Suivant le principe des cercles concentriques et du fait de l’organisation des filières et du nombre d’étapes de transformation, le périmètre du cercle d’approvisionnement des produits locaux issus de l’élevage sera plus grand que celui des produits locaux maraîchers.

On observe également une modification des approvisionnements. Les cuisines reviennent de plus en plus vers des produits bruts, sachant qu’il existe sur le territoire une coopérative outillée pour faire du 4ème gamme.

Cette dynamique a aussi favorisé les diversifications et les installations d’agriculteurs qui inscrivent la restauration collective dans leur modèle économique. Des projets collectifs ont également vus le jour notamment pour la logistique ou pour construire des filières locales. C’est le cas par exemple d’un groupement d’éleveurs qui ont mis en place leur propre filière collective de commercialisation dédiée à la restauration collective.

Des acteurs de dimension nationale, aux volumes d’affaires importants, engagent également des mutations. C’est le cas des entreprises de restauration. En effet, si 60% des cantines sont en gestion directe, il n’en demeure pas moins que 40% sont donc en gestion déléguée ou concédée. En liaison froide avec des cuisines centrales. Par choix et inclination angevine, le réseau a toujours fait le choix de l’ouverture, les entreprises de restauration peuvent donc être membres et elles le sont. Elles s’organisent aussi pour répondre aux objectifs du réseau dans leurs approvisionnements mais aussi dans leur mode de faire. Certaines communes voient donc leur entreprise de restauration recruter des cuisiniers pour les restaurants dont ils ont la responsabilité, des cuisiniers en capacité de travailler des produits bruts et frais. Pour les communes concernées, c’est un moyen de s’inscrire dans cette dynamique sans reprendre en régie directe la cantine et assumer la responsabilité des personnels.

Enfin, le Réseau Local Anjou est maintenant parfaitement reconnu et légitime pour porter la thématique Restauration collective au niveau départemental. Il est l’interlocuteur, en tant que réseau, des institutions comme la direction départementale des Territoires (DDT - service déconcentré de l’Etat regroupant la direction de l’Agriculture et de la Forêt celle de l’Equipement ainsi que le service Environnement de la Préfecture) et la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) comme pour le projet actuel (2018) de charte sur l’approvisionnement de la restauration collective.

Articulation de l’action du réseau à la dynamique des PAT

C’est à la fois une opportunité et un point de vigilance pour le réseau local : les collectivités s’engagent de plus en plus dans des projets alimentaires territoriaux (PAT) et identifient la restauration collective comme un champ d’action naturel de ces projets. Comment dès lors articuler ces projets très transversaux, dont la restauration collective sera un élément, avec un réseau local dédié très structuré, ayant déjà ses habitudes de travail et sa stratégie ? Comment pour les collectivités ne pas réinventer ce qui existe mais s’en saisir ? Comment pour le réseau trouver la bonne articulation et la bonne distance avec des projets territorialisés en démarrage ?

Incertitudes / freins

L’une des incertitudes peut reposer sur la capacité des dynamiques à s’articuler dans un contexte où une partie des acteurs s’est déjà organisée. Les professionnels des filières ont depuis 2009 fait ce travail d’organisation pour répondre aux besoins de la restauration collective du Maine-et-Loire. Pour certains produits, la zone de chalandise dépasse le seul département du Maine-et-Loire, du fait de l’organisation des filières ou de la disponibilité des productions. La montée en puissance de la demande des autres départements, s’adressant aux mêmes acteurs de la filière, peut bousculer ces modes d’organisation (pression sur les volumes, organisation logistique, etc.).

La question de l’articulation se pose aussi du fait de l’appropriation de l’enjeu alimentaire par les intercommunalités (grâce aux projets alimentaires territoriaux) alors que la compétence insitutionnelle ‘restauration collective’ ne se situe pas à cette échelle. Il faut donc imaginer de nouvelles manières d’agir ensemble en complémentarité – à terme ce frein pourra probablement être levé mais cela peut rendre les choses plus longues ou plus difficiles, tout dépend du contexte territorial et politique.

Réplicabilité

Le réseau local Anjou a fait des émules dans les autres départements. Aujourd’hui, la Chambre d’agriculture est régionalisée mais chaque département garde une certaine liberté d’action. Pour ce dossier, la régionalisation n’a rien changé. L’implication départementale a été confirmée. Par ailleurs, le projet régional qui a été construit par les élus confirme également l’engagement de proximité, les actions territoriales. La régionalisation autant que la confirmation d’une approche territoriale facilitent les échanges en interne entre conseillers Chambre chargés de l’animation ou de la co-animation des Réseaux Locaux dans chaque département.

Si chaque réseau cherche à reproduire une dynamique similaire, en reformant le trio d’acteurs à l’initiative du réseau local Anjou (Chambre, association des maires, conseil départemental), les modes de fonctionnement sont variés. Et l’application de la recette ne fonctionne pas forcément.

La démarche engagée en Maine-et-Loire a notamment été permise par un volontarisme des élus, une organisation territoriale de la Chambre, des habitudes de travail collectif et transversal, un moment particulier (post Grenelle de l’environnement) et une pratique de l’ouverture. Elles ne sont pas reproductibles en copié-collé. Cependant les grandes questions qu’ont eu à résoudre les membres du réseau local Anjou sont celles auxquelles seront confrontées les nouveaux réseaux.

Les spécificités du réseau local Anjou :

  • un leadership fort au démarrage

  • un mode de gouvernance ouvert (tous les acteurs territoriaux) mais organisé autour de valeurs et d’objectifs

  • des moyens, y inclus des moyens d’animation

  • une posture de facilitateur

  • une connaissance du territoire (enquête)

  • une antériorité de présence des conseillers territoriaux de la Chambre d’Agriculture auprès des collectivités, donc une habitude de travail en commun qui a été facilitatrice pour obtenir les données

  • un travail à géométrie variable (les acteurs s’auto-organisant en fonction des projets/enjeux)

  • des outils pratiques : e-communauté du CNFPT et site Emapp

  • des actions concrètes (formations, rendez-vous d’affaires…)