Destiner la voie publique aux différents publics

2005

Conseil National des Transports (CNT)

Cette fiche a été sélectionnée et revue par Régis RIOUFOL, contributeur de la démarche « Une Voirie pour Tous » du CNT, coordonnée par Jean-Charles POUTCHY-TIXIER et Hubert PEIGNE.

Destiner la voie publique au public plutôt qu’à l’usager nécessite de faire la distinction entre les deux. Cette fiche se concentre sur l’accessibilité de la voie publique à tous les publics et sur la cohabitation des différents usagers pour éviter les conflits d’usages. Ainsi, assurer l’accessibilité pour tout public nécessite de changer le concept de normalité, de garantir l’accessibilité et la sécurité des lieux publics, d’organiser la cohabitation et la mixité des personnes, d’identifier leurs besoins et leurs attentes, ainsi que de construire des réponses communes à partir des handicaps.

Destiner la voie publique au public et non à l’usager

Une voie publique est par vocation un espace destiné au public. C’est donc le public qui doit en être le premier bénéficiaire et qui est amené à l’utiliser. C’est à partir du public que se définissent les usagers, les usages, les moyens utilisés fixes ou mobiles, les modes de déplacements, les moments et les durées d’utilisation de la voirie et de l’espace public.

Ce principe de base « destiner la voie publique au public » peut apparaître comme une lapalissade, mais force est de constater que ce principe a été souvent perdu de vue dans la seconde moitié du 20ème siècle et que techniciens, concepteurs et décideurs ont préféré « destiner la voie publique à une/des fonction(s)", et non pas au public. Cette notion de public est à distinguer de la notion d’usager. Le public est constitué de personnes ou de groupes d’individus formant l’ensemble des citoyens.

Les pouvoirs publics ont le devoir d’assurer au public l’accessibilité à l’espace public et à ses services de façon permanente et sans aucune discrimination d’âge, de sexe, de fatigabilité ou de handicap.

L’usager est constitué de personnes ou de catégories d’individus utilisant l’espace public d’une façon précise, en liaison avec une activité ou un déplacement particulier. Les pouvoirs publics ont le droit de limiter l’accessibilité de certains espaces publics de façon permanente ou temporaire à certains usagers.

Si le public a le droit à l’accessibilité de l’espace public, c’est l’usager qui est à l’origine des dysfonctionnements et des conflits de sécurité et de cohabitation sur la voie publique. Faire cohabiter les différents usagers en toute sécurité sur la voie publique nécessite des arbitrages complexes. Ces arbitrages doivent tout d’abord passer par une réflexion sur les publics susceptibles de l’utiliser, de manière à n’en exclure aucun.

Il s’agit ensuite de résoudre les conflits d’usage en définissant des objectifs hiérarchisés destinés, selon le lieu et le moment, à imposer, faciliter, permettre, pénaliser ou empêcher l’accessibilité de certains usagers et la pratique de certains usages sur la voie publique. Dans certains cas, on peut aussi simplifier cette hiérarchisation en se limitant à trois objectifs au lieu de cinq : imposer, permettre, empêcher.

Alors que la voie publique constitue le réseau de base de l’accessibilité et des déplacements, l’accessibilité de la voirie au public est actuellement loin d’être assurée. « Nous savons par exemple que 45 % de la voirie est inadaptée aux personnes à mobilité réduite, 29 % est accessible aux personnes accompagnées, 26 % est accessible en autonomie »1. Pourtant, « l’autonomie est un facteur déterminant de la dignité de chacun. A l’inverse, la dépendance est un véritable vecteur d’exclusion »2.

Assurer l’accessibilité pour tous publics3

Malgré des progrès réalisés cette dernière décennie sur l’accessibilité des espaces publics, on est obligé de constater qu’une grande partie de la population rencontre encore d’importantes difficultés pour se déplacer, se trouvant de ce fait plus ou moins gênée, empêchée ou en situation de handicap au regard de ses déplacements.

Cette situation est permanente pour toute personne ayant, à des degrés divers, des incapacités fonctionnelles motrices, sensorielles (cécité, mal voyance, surdité, mal entendance) ou encore intellectuelles et cognitives. Elle est occasionnelle pour toute personne se déplaçant avec bagages, poussette d’enfant, vélo, ou subissant un handicap temporaire à la suite d’accident.

Cela représente donc une grande majorité de la population, même si les besoins et les attentes sociales sont de nature et de degrés divers, voire contradictoires.

Assurer l’accessibilité et concevoir des espaces publics pour tous nécessite à la fois de changer de concept de « normalité » et de garantir à la fois l’accessibilité et la sécurité des lieux, tout en organisant la cohabitation et la mixité des personnes utilisant l’espace public. C’est identifier les besoins, les attentes et les dysfonctionnements pour dégager des réponses optimales. C’est construire des réponses communes en utilisant les connaissances, les expériences et les règles acquises pour les personnes à mobilité réduite et celles en situation de handicap.

Changer le concept de « normalité »

Concevoir un espace public pour tous implique de penser à la fois à l’espace et aux divers modes d’information permettant à tout un chacun de s’orienter, de se repérer, d’organiser son déplacement sur la voirie et dans les transports.

Il s’agit avant tout de perdre l’habitude de se référer uniquement aux capacités des personnes particulièrement valides (agiles, en pleine forme physique, ayant une excellente acuité visuelle et auditive,…) pour concevoir et gérer les aménagements et les dispositifs d’information.

Et cela doit prévaloir tant dans les diagnostics que dans la conception et la gestion des espaces. Acquérir ce type de réflexe dépend fortement de la formation et de l’implication de tous les acteurs et des différents corps de métiers intervenant sur l’espace public. Pour prendre un exemple quotidien, il est nécessaire de bien faire comprendre qu’une poubelle au milieu du trottoir peut se révéler un obstacle infranchissable pour une personne à mobilité réduite ou à la vue déficiente.

Garantir l’accessibilité et la sécurité des lieux publics

Garantir à la fois l’accessibilité et la sécurité des lieux publics est essentiel pour toute personne, notamment pour les personnes vieillissantes et à mobilité réduite, les espaces publics peuvent être, selon la qualité de leur aménagement, des lieux de convivialité et d’autonomie ou, à l’inverse, des zones de danger ou de dépendance.

Il est nécessaire d’avoir un sentiment de sécurité. Il ne s’agit pas seulement des problèmes liés aux agressions, mais du sentiment de pouvoir se déplacer en étant à peu près certain qu’on ne va pas tomber dans un trou, par exemple. Il convient d’assurer aux différents publics le sentiment qu’ils ne risquent pas, à chaque moment, de tomber, de se heurter ou de se faire heurter, de ne pas voir ou ne pas pouvoir lire une information ou encore, de ne pas pouvoir entendre un message, ce qui est d’autant plus grave quand il s’agit de messages annonçant des incidents ou des consignes de sécurité. Les seniors, par exemple, ont souvent la crainte de tomber sur des obstacles qu’ils ne voient pas, ne sentent pas ou n’entendent pas.

Organiser la cohabitation et la mixité des personnes

Pour des raisons de démocratie et du fait de la rareté de l’espace, concevoir un espace public pour tous suppose d’organiser la cohabitation de tous les utilisateurs, de sorte que soient limités les conflits d’usage, mais aussi les cloisonnements et séparations, que soient canalisés les modes devenus dominants d’occupation que sont l’automobile ou la dépose anarchique de mobiliers ou objets divers, facteurs d’exclusion et d’insécurité.

Un principe essentiel doit être respecté : ne pas atomiser les problèmes et les populations. Il s’agit de ne pas faire un aménagement pour un certain type d’usager, mais au contraire d’imaginer un espace public pour tous les publics. En caricaturant à dessein, on pourrait faire une bande pour les automobiles, une pour les bus, une pour les vélos, une pour les rollers, une pour les handicapés, une autre pour les personnes âgées, etc. Il est assurément nécessaire de régler les questions de sécurité de chaque catégorie d’usagers, mais il faut essayer de les régler en créant un espace public commun, sans le « saucissonner ». C’est la démarche à adopter pour éviter les conflits, la séparation des espaces, la discrimination.

Identifier les besoins et les attentes des personnes

Identifier les besoins, les attentes et les dysfonctionnements pour dégager les réponses optimales en adoptant une approche systémique et ergonomique de la mobilité dans toutes ses composantes physiques, cognitives et informationnelles, tant dans les phases de diagnostic et de conception que dans le management de la gestion courante.

Cette démarche systémique est fondamentale pour analyser tous les éléments de chaîne de déplacements, dont la continuité et le confort des cheminements dans les espaces publics. Il est important de prendre en compte les interfaces entre ces différents éléments et de rechercher des synergies entre divers types d’usage et de situations.

Les outils de l’ergonomie, privilégiant l’analyse des activités du public (se déplacer, s’orienter, s’informer, accéder à un service) permettent une appréhension objective des problèmes et des solutions optimales sur le plan collectif.

Construire des réponses communes à partir des handicaps

Construire des réponses communes se fait souvent en utilisant les connaissances, expériences et règles acquises pour les personnes en situation de handicap.

En effet, ce que l’on conçoit pour permettre aux personnes ayant des incapacités reconnues bénéficie à tout le monde. La télécommande en est l’exemple le plus universel, les bus à plancher bas participent au confort de tous. On peut étendre ce raisonnement à d’autres domaines comme celui de la voirie, dont une rénovation bien conduite permet aux personnes handicapées et a fortiori aux personnes plus ou moins valides de se déplacer sans risque.

Comme on l’a vu plus haut, au regard des difficultés ou incapacités fonctionnelles, il y a lieu de rapprocher les problématiques des personnes handicapées et celles des personnes âgées. Il ne faut pas oublier non plus le problème des personnes atteintes d’un handicap profond et vieillissantes. En vieillissant, nous sommes tous atteints d’incapacités multiples. La mobilité et l’agilité ne sont plus les mêmes. On entend moins bien, on voit moins bien. Les problèmes et les besoins des personnes handicapées de différents types de handicaps sont exactement les mêmes que ceux des personnes vieillissantes.

Les besoins de base se déclinent ensuite avec plus de nuances. Les concepteurs doivent s’imaginer la difficulté de se déplacer quand on est en fauteuil roulant. Un espace ouvert au public doit permettre le passage d’un fauteuil roulant. Ils doivent s’imaginer aveugle ou très mal voyant et, à partir de là, se demander si les panneaux sont lisibles ou si l’on a accès à l’information. Il est évident que par rapport à tout handicap sensoriel, le problème essentiel est celui de l’information. On est dans une société où l’information est de plus en plus visuelle. Cela pose naturellement des problèmes aux mal-voyants et aux aveugles. Cela concerne également les personnes âgées, dont la vue décline : les petits caractères ne sont pas faciles à déchiffrer. Il faut penser à ce genre de choses : un menu d’information déroulant est totalement illisible non seulement pour les aveugles, mais aussi pour toute personne mal voyante, soit par plus de 50 % de la population. Les personnes malentendantes ont quant à elles besoin d’informations écrites.

1 Jean Pierre SERUS, Directeur de AccesMetrie, intervention au séminaire « Mobilité des seniors. Accessibilité de l’espace public », GART, Institut des Villes, Fondation de France, FNAU du 5 mai 2004 à Paris.

2 Edmond HERVE, Président de l’Institut des Villes, Maire de Rennes, Président de Rennes Métropole.

3 La plupart des paragraphes composant ce titre « Assurer l’accessibilité pour tous publics », ainsi que les cinq sous-titres qui le composent, sont issus du chapitre « Concevoir des déplacements et des espaces publics pour tous » écrit par Catherine CHARTRAIN, Présidente du COLIAC, dans l’ouvrage « Villes et Vieillir » publié par l’Institut des Villes et édité par La Documentation Française en septembre 2004.

Sources

Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 1 : Rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2004, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005

Une voirie pour tous - Tome 1- pages 69-72