L’autonomisation progressive des institutions intercommunales au détriment des élus ?

Le cas de la communauté urbaine de Lille

Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012

Au début des années 1970, la remunicipalisation de la communauté urbaine de Lille semble achevée. Les maires sont parvenus à faire reconnaître leur rôle incontournable pour tous les projets qui concernent leur commune. A Lille, l’élection sans concurrent du second président – Arthur Notebart, député-maire SFIO d’une commune moyenne qui fut parmi les plus ardents opposants à l’intercommunalité - semble sceller ce processus. Dans un premier temps, le nouveau président se conforme d’ailleurs pleinement aux attentes de ses mandants, multipliant les signes de déférence à destination des maires qui l’ont élu. C’est la période durant laquelle plusieurs dispositifs de rétrocession des compétences communautaires sont formalisés. Quand ce n’est pas le cas, les maires sont étroitement associés aux décisions, par exemple en matière de plan d’occupation des sols. Dans ce contexte de relâchement de l’attention portée par les élus locaux sur le fonctionnement de la communauté urbaine, paradoxalement, différents éléments vont conduire à une réaffirmation du pouvoir intercommunal. Le produit de certaines taxes nouvelles comme « le versement transport » ou la taxe sur les ordures ménagères, connaît une croissance inattendue qui permet la réalisation d’investissements importants sans amputer le budget des politiques existantes ni intervenir dans des compétences déjà largement exercées par les communes. Avec ces ressources et le projet de ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq, la CUDL profite de l’occasion pour planifier un nouveau métro. Des transfuges du ministère de l’Equipement, hautement qualifiés, sont alors recrutés par la communauté urbaine pour mettre en œuvre ce projet.

Puis c’est par rapport à l’Etat que la CUDL cherche à s’affirmer. Le président Notebart conteste ainsi progressivement son rôle dans l’aménagement de la ville nouvelle et met sous tutelle l’agence d’urbanisme. La communauté se dote ainsi, sans en avoir l’air, d’un pouvoir important face aux communes.

Petit à petit, l’autorité du président de la CUDL devient telle que, dans les années 1980, les maires des villes principales, Tourcoing, Lille et Roubaix, se heurtent à son refus quand ils souhaitent faire financer leurs grands projets municipaux par la communauté urbaine. A cette occasion, ils prennent subitement conscience de l’affaiblissement de leur emprise sur l’institution, passée jusqu’à alors relativement inaperçue. Les maires passent alors un accord de gestion et de coalition (« l’accord des grands maires ») afin d’assurer à Pierre Mauroy la présidence en 1989.

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Sources

  • Fabien Desage et David Guéranger, La politique confisquée, sociologie des réformes et des institutions intercommunales, Editions du Croquant, Savoir/Agir, 2011, 247 p.