La démarche prospective et participative de la Communauté Urbaine de Lyon.

Retour d’expérience de la démarche Millénaire 3

Patrick Lusson, 2016

Cités Territoires Gouvernance (CITEGO)

Les exercices de prospective, longtemps menés par des experts avec des élus, intègrent de plus en plus d’autres acteurs locaux: la société civile, les acteurs économiques, les universités, etc. La démarche « Millénaire 3 », entreprise par la Communauté Urbaine de Lyon en 1997, avait pour ambition de définir avec les acteurs locaux les orientations stratégiques de leur territoire. Ce processus, a permis de faire émerger une stratégie locale qui prenait en compte les priorités et le potentiel des acteurs locaux, ce qui a pour effet leur appropriation du projet et un engagement collectif pour sa mise en œuvre.

Cette fiche, écrite à partir d’un premier article rédigé par Patrick Lusson1 en 2006, revient sur le volet participatif de la démarche menée entre 1997 et 2000, démarche qui a donné naissance à ce qu’est aujourd’hui Millénaire 3.

Contexte

Face aux nombreux défis liés aux transformations locales et globales (l’unification européenne, la mondialisation et le développement des technologies de l’information), la Communauté Urbaine de Lyon, présidée par Raymond Barre, a décidé en 1997 de s’engager dans un exercice de prospective stratégique, inspiré de l’expérience de Barcelone (depuis la fin des années 1980). Il s’agissait, d’une part, de s’outiller pour permettre à la ville de Lyon et son agglomération de « se projeter dans l’avenir », allant au-delà des démarches de prospective territoriale (aménagement, transports et urbanisme) menées auparavant2, favorisant la transversalité, et replaçant l’homme au cœur de la réflexion et du projet de l’agglomération. D’autre part, il s’agissait de « bousculer les certitudes pour aider à construire les visions d’avenir à la fois ambitieuses et réalistes » et de mobiliser « les forces vives locales », car la construction et la mise en œuvre de la stratégie dépend de la « la mobilisation des hommes et de leurs potentiels » (Lusson, 2006, p.81-83).

La commande politique formulée par Raymond Barre en décembre 1997 portait sur deux points qui ont été décisifs (Lusson, 2006, p.83-84):

La démarche participative3

La commande politique de départ était de faire un exercice de prospective avec les habitants, ce qui allait à l’encontre des habitudes des spécialistes de la prospective. C’est pourquoi, le premier effort de la démarche Millénaire 3 a été la démystification de la prospective. Il fallait trouver des méthodes pour que la prospective ne soit plus un exercice réservé aux seuls experts. La démarche s’est fondée sur des journées de prospective, des réunions des groupes de travail, une stratégie de communication et de diffusion très large. Cela a contribué à créer une ambiance de confiance et a suscité l’intérêt et l’adhésion de beaucoup. Il s’agissait d’un prérequis pour assurer la viabilité et la faisabilité de la stratégie.

La démarche a mobilisé plus de 1500 personnes appartenant à des groupes représentatifs de la diversité de l’agglomération : mondes institutionnel, économique, universitaire, associatif, sans oublier les agents du Grand Lyon, afin de bâtir une histoire et une culture commune. En parallèle des espaces collectifs, des entretiens des principaux responsables institutionnels (l’Etat, le Conseil Régional, le Conseil Général, l’Université, les Chambres consulaires, le Patronat, les syndicats, les mondes culturel et cultuel) de l’agglomération ont permis de les associer à la démarche et de recueillir leurs attentes et leurs avis. Les participants ont défini ensemble les défis à relever, ont élaboré des propositions de stratégies de réponse aux défis. Un « Comité des sages », composé de personnalités extérieures, avait un rôle de Conseil. Il suivait l’évolution de la démarche et était consulté par l’équipe de Millénaire 3 pour avis sur les propositions avant leur soumission à Raymond Barre.

La méthode de travail a été constante. Douze thématiques avaient été proposées par l’équipe de Millénaire 3 et validées par le Comité des sages et Raymond Barre au moment du lancement de la démarche. Ces thématiques ont été traitées en 6 journées de prospective, une thématique le matin et une l’après midi, la pause déjeuner sous forme de buffet permettant aux participants de se connaître et de continuer à dialoguer. D’autres journées ont été organisées par la suite pour répondre aux attentes et demandes des participants.

Les journées de prospective mensuelles, ouvertes à tous, animées par Bernard Devez, avaient un rituel type :

La stratégie de communication et de diffusion a joué un rôle central:

Les résultats 5

Les journées de prospective ont aboutit à l’identification de dix thèmes de prospective. A l’automne 1998, après l’examen de ces dix premiers thèmes de prospective le Comité des sages a validé 5 défis :

C’est sur ces cinq défis que des groupes de prospective plus classiques (20 personnes dans chaque groupe animé par un professionnel de la prospective venu de bureaux d’études variés) ont ensuite imaginé les réponses possibles à ces défis sous forme d’axes stratégiques. Dans la dernière phase de la démarche (automne 1999-printemps 2000) des groupes dits de stratégie, présidés par les principaux vice-présidents de Raymond Barre, se sont appropriés les résultats et ont proposés des actions concrètes qui composent le Projet de l’agglomération lyonnaise « 21 priorités pour le XXIe siècle : une agglomération compétitive et rassemblée »6. Ce projet a été validé par le Comité des sages, puis adopté (à l’unanimité, de l’arc républicain mais sans les voix de l’extrême droite FN et MNR qui ont voté contre) à l’issue des Assises de la Métropole en septembre 2000 par un Conseil de Communauté Urbaine hors les murs en présence de 800 des personnes qui avaient à un moment ou à un autre participé à cette « belle aventure » collective. (Lusson, 2006, p.87)

Conclusion : Une démarche collective permanente pour un projet partagé7

Les résultats de la réflexion montrent que les attentes se portent autant sur le « Comment faire ? » que sur le « Que faire ? ». Il n’y a pas en effet de recette miracle. Le projet d’agglomération est une construction permanente, et, pour l’adapter aux mutations en cours mais surtout à venir, l’essentiel est de permettre aux aspirations, aux projets et aux ambitions de se concrétiser. Il ne s’agit donc pas simplement d’apporter des réponses toutes faites aux défis du futur ; mais plutôt d’initier et d’alimenter une démarche, une manière de construire et d’organiser les conditions collectives de l’élaboration du débat public, les citoyens devenant partie prenante du processus. C’est une révolution que nous, élus ou fonctionnaires, engageons, particulièrement en tant que puissance publique, en reconnaissant que nous n’avons pas la solution à tous les problèmes mais que notre mission est d’aider à imaginer et à mettre en œuvre des solutions construites collectivement. Ceci implique de prendre des risques, de faire confiance, ce qui n’est pas toujours facile pour les « responsables » que nous sommes. Et surtout cela demande une inversion de notre système de pensée, puisque, dans le cadre des axes stratégiques, nous devenons des médiateurs, des « metteurs en réseau », des agents de développement permettant de construire collectivement des réponses spécifiques à des questions universelles plutôt que des responsables détenant la vérité et décidant en lieu et place des acteurs.

Après avoir été des pourvoyeurs de services urbains et des aménageurs du territoire, nous devenons désormais aussi des inspirateurs et des facilitateurs du développement global, soucieux de croissance économique pour avoir les moyens de nos ambitions, mais aussi de cohésion sociale donc de création d’emplois et d’actions tendant à renforcer le lien social. Dans le même temps nous devons veiller à améliorer la qualité environnementale de la cité pour la rendre plus agréable à vivre et donc plus attractive. Le thème de l’Homme retenu comme « fil rouge » de notre démarche était particulièrement adapté à cette ambition. Nous devons à la fois reconnaître les individus et leurs projets, et construire un grand dessein collectif aspirant à promouvoir une vision humaniste de la ville. Cela permet de redonner du sens à l’action publique. Le besoin d’un vrai projet politique est une aspiration largement partagée dans notre monde en profonde mutation.

Les trois ans de la démarche ont montré que l’agglomération lyonnaise et ses habitants possédaient à la fois les moyens et la volonté de construire un avenir réussi, ouvert sur le monde, et répondant aux aspirations de tous.

1Lusson P., 2006, « Une démarche prospective et participative : Millénaire 3. L’expérience prospective de la Communauté urbaine de Lyon ». Territoire 2030, DIACT, n° 3, p. 81-93. (Également téléchargeable sur le site de Millénaire 3)

2 L’équipe de l’agence d’urbanisme a conduit dans les années 1980 la démarche « Lyon 2010 », qui avait réalisé la révision du Schéma Directeur, portant sur l’aménagement, transports et urbanisme. Pour en savoir plus sur cette démarche, lire l’interview de Jean Frébault, ancien directeur de l’agence d’urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon.

3 Lusson, 2006, p.84-86.

4 La charte des Journées de Prospective était rappelée avant chaque réunion (Lusson, 2006, p.84-85):
« Liberté, transparence et respect… Les valeurs fondamentales qui ont orienté la démarche Millénaire 3 depuis son origine, se déclinent de la façon suivante :
- L’écoute de l’autre, sans recherche de polémique
- La non agression des personnes, loin des idées polémiques
- La libre expression de tous et l’absence de censure a priori [%]- {La possibilité de s’exprimer sur tous les sujets et d’en proposer de nouveaux au débat
- La transparence des propos, chacun acceptant de s’identifier [%]- {L’expression en tant que personne et non en tant que représentant institutionnel. »

5 Lusson, 2006, p.86-89

6 Lusson P., 2004, « Annexe : Le Grand Lyon, une agglomération compétitive et rassemblée, ‘21 priorités pour le XXIe siècle’ », in Parrad F. et Goux Baudiment F., Quand les villes pensent leurs futurs. Une enquête sur les démarches prospectives dans 18 villes européennes, 21 Plus, n°64. p.83-92.

7 Lusson, 2006, p.89

Sources

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