Brouillard dans les institutions

Jean-Bernard Auby, 2013

Monde pluriel

Cette fiche propose de dépasser les catégories fonctionnelles pour envisager le développement territorial, sous l’angle de l’urbain et de la ville. L’auteur propose ainsi un renouvellement de la démocratie par le dépassement des instances institutionnelles.

Nous sommes – presque – tous urbains et, parce qu’il en va ainsi, c’est dans les villes et dans leur organisation que devraient être trouvées les clefs essentielles du ressourcement de nos vies publiques et de nos démocraties. On peut afficher cette conviction avec une certaine tranquillité quand on a mesuré tout ce que les autres espaces de solidarité politique ont perdu de terrain dans les sociétés postmodernes, et tout ce que le cadre urbain pèse par son caractère circonscrit et sa « concrétude » : là où les structures politiques nationales résonnent de la perte de puissance des Etats dans la globalisation comme du scepticisme croissant des citoyens de nos sociétés réflexives, la Ville nous offre le spectacle un peu plus rassurant de problèmes triviaux qui trouvent parfois solution, d’un cadre architectural qui parfois s’embellit, d’un centre piétonnier dans lequel il devient soudain plus agréable de déambuler, de déplacements qu’un nouveau tramway rend bientôt plus facile. Les échecs urbains eux-mêmes sont en un sens plus rassurants que les nationaux car nous pouvons en général en toucher du doigt les tenants et les aboutissants là où nous contemplons dans une bien plus large incompréhension les insuccès obstinés des meilleures intentions politiques nationales, en matière de chômage ou de logement.

Mais il ne faudrait pas que le rendez-vous annoncé de la Ville et de la Politique soit gâché par cette sorte de déstructuration institutionnelle dans laquelle nos vies publiques locales semblent souvent se complaire. Nous traînons en général un lourd passif – le système français est de ce point de vue-là assez fortement plombé – venu de ce que nos systèmes d’action publique locale restent largement ancrés dans ce qu’ils étaient à l’époque où nos sociétés étaient essentiellement rurales. Le temps passant, il a bien fallu s’adapter peu ou prou, mais l’ajustement se paie du poids croissant de dispositifs de « multilevel governance » qui ne sont pas des vecteurs idéaux pour l’investissement démocratique. A cela s’ajoute le fait que, dans le cadre urbain comme ailleurs, se fait percevoir la constamment plus grande indétermination de la distribution des rôles entre acteurs publics et privés dans la production du bien public : le surgissement du phénomène d’ « open data », qui permet demain à toutes sortes d’acteurs privés d’user des mêmes ressources informationnelles que les collectivités pour construire leurs propres contributions à l’utilité collective, nous montre que nous ne sommes pas au bout de ce chemin.

Reste aussi à la Ville à se faire une place sur l’axe qui mène du local au global, dans l’univers de la « glocalisation ». Ici, cela engage ce que deviendra le système européen, dans sa déclinaison territoriale où pèse l’Europe des Etats, où flotte encore l’idée de l’Europe des régions. Les villes seront-elles, à moyen terme, des points d’appui des majeurs de cette architecture-là. Qui peut le dire, en vérité ?

C’est un avantage comparatif que les villes tirent de ce qu’elles sont un espace concret pour la politique et un véhicule commode pour la participation citoyenne. Pas plus. Leur avenir politique est rendu incertain par quelques hypothèques institutionnelles.

Sources

Pour consulter le PDF du du numéro 1 de la revue Tous Urbains