Inégalité des territoires

2014

Monde pluriel

Cette analyse critique aborde la question des inégalités sociales et territoriales et le fait qu’elles se creusent d’années en années dans les pays dits développés. Une des pistes avancées est le décalage entre les dispositifs et les outils aux intitulés très « bonne conscience » et les conceptions néo-libérales qui orientent les politiques publiques.

La France est un pays opulent sur tous les plans, elle dispose maintenant d’un “Ministère de l’égalité des territoires”. Vaste ambition, qui ne date pas d’hier, qui abrite bien des objectifs distincts, accessibilité, équilibre des populations, équilibrage entre les régions et les villes, à l’intérieur des villes.

Mais si l’on parle d’égalité des territoires, on pense d’abord aux politiques menées en France depuis la libération, dites précisément “aménagement du territoire”, assorties d’une structure politico-administrative dotée, sinon de fonds considérables, du moins d’une influence politique significative.

Pour diverses raisons, que nous n’analyserons pas ici, en particulier la décentralisation depuis les années 1980, et l’influence croissante de l’Union Européenne en la matière, le rôle de la DATAR a été progressivement réduit à la portion congrue, et se limitait avant son absorption dans un plus vaste ensemble à quelques bureaux, localisés d’ailleurs au ministère de l’intérieur, ce qui ne constitue pas le moindre des paradoxes.

Alors que placer aujourd’hui dans une politique d’égalité des territoires ?

Mettons d’abord les choses dans l’ordre. Face à ce problème complexe, il faut donc en premier lieu, comme disait ce bon monsieur Queuille, créer une commission. C’est maintenant chose faite, il s’agit du « Commissariat General à l’Egalité des Territoires » (CGET). Ambition simple, dont l’universalité ne peut échapper à personne : restaurer l’égalité des chances quel que soit le lieu de naissance, de résidence ou de travail.

Ce CGET, raisonnablement, rassemblera diverses entités aux objectifs convergents, la DATAR, le comité interministériel des villes, et bien sûr l’agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. Il serait trop long et ennuyeux de détailler les tâches assignées, on en retiendra que son action visant à « mettre fin à la dichotomie entre urbain et rural ». Egalité quand tu nous tiens!

Mais on voudrait surtout souligner le fossé creusé entre ces intentions vertueuses, aussi anciennes que l’action publique, et les faits, dans un monde dans lequel les inégalités ne cessent de s’accroitre entre territoires, à l’intérieur des territoires, entre catégories socioprofessionnelles, etc.

Pour s’en tenir à un indicateur simple, le rapport entre le niveau de vie moyen des 10 % de ménages les plus aisés et les 10 % les plus modestes, est passé de 6,2 % en 2001 à 7,2 % en 2011. Les rapports de l’Observatoire des inégalités sont accablants en la matière, en particulier si on se hasarde à comparer avec l’un ou l’autre pays d’Europe du Nord. Et, comme le souligne Thomas Piketty, les revenus du patrimoine s’en sortant mieux que ceux du travail dans les périodes de faible croissance, faible croissance et montée des inégalités vont généralement de pair.

Or, si l’on en croit l’INSEE, si le patrimoine des français a doublé entre 1997 et 2009 – l’immobilier en est bien sûr le facteur central –, les 10 % des ménages les mieux dotés possèdent aujourd’hui 35 fois plus de patrimoine que les 50 % de ménages les moins bien dotés…

Ceci renvoie aussi au débat entre égalité et efficacité économique, et la place croissante, en particulier dans les pays anglo-saxons, au principe que la priorité devait être donnée à l’efficacité, sous réserve de mettre en œuvre une ferme politique de redistribution. On retrouve ici un point important des thèses de John Rawls, du moins dans l’interprétation trop simple qui en est souvent donnée.

Alors, par exemple, dans le cadre de la transition énergétique, dans l’attente de l’importante loi en gestation, peut-on en attendre un effet de réduction des inégalités de territoire ? Les données sont sur la table : ce sont surtout les ménages au revenu modeste qui habitent des “passoires” thermiques. Autant dire que seules des aides publiques massives permettront que la “mise à niveau thermique” se fasse sans accroitre les inégalités territoriales.

On se heurte ici aux limites des budgets publics. Ce “mantra” de la priorité donnée à l’efficacité économique et à la compétitivité est maintenant largement remis en cause, en particulier grâce à quelques économistes phares comme Amartya Sen ou Joseph Stiglitz, ou encore par François Bourguignon dans son livre La mondialisation de l’inégalité (Paris, le Seuil, 2012), qui montre bien comment les inégalités ont explosé à l’intérieur des pays, alors qu’elles se réduisaient entre pays.

L’inégalité des territoires n’est pas un problème neuf, il a fait l’objet de politiques publiques fortes depuis des décennies. Dans le contexte actuel de croissance faible ou nulle, de rétrécissement des budgets publics et de fragmentation des territoires, elle prend un caractère urgent pour enrayer la dégradation de la cohésion sociale. Une solution serait alors de doter notre nouveau “Commissariat général” de moyens importants, politiques, administratifs et financiers. Encore du chemin à faire ! Mais la marraine de notre commissariat à l’égalité des territoires vient de quitter le gouvernement…

Sources

Pour accéder à la version PDF du numéro 6 de la revue Tous Urbains

To go further