Politiques intégrées et coopérations territoriales : le nouveau vocabulaire de la gouvernance urbaine

2010

Cette fiche présente, dans une vision diachronique, l’émergence d’une nouvelle gouvernance urbaine pour fonder des villes européennes durables, qui répondent aux grands défis sociaux, économiques et environnementaux du XXIe siècle.

Cette fiche propose quelques éclairages sur les concepts de politiques intégrées et de nouvelles coopérations territoriales dans l’objectif d’engager un débat sur le nouveau vocabulaire de la gouvernance urbaine. Nous présentons d’une part le contexte européen de diffusion des nouvelles coopérations territoriales qui ont été activement soutenues par l’Union Européenne dans le cadre de sa politique de cohésion, mais également au niveau des États par les politiques de décentralisation. Puis nous présentons la notion de politique intégrée qui a vu le jour dans le contexte des projets de requalification des quartiers dégradés et qui est désormais régulièrement utilisé dans le cadre des projets de lutte contre l’exclusion. Enfin, à partir d’observations d’Anne Querrien nous interrogeons la pertinence de la recomposition de l’action publique, et l’émergence des nouveaux régimes urbain dans la lutte contre l’exclusion.

De la cohésion à la coopération…

Les nouvelles coopérations territoriales sont activement défendues par l’Union Européenne, à travers sa politique de cohésion, au point que les deux notions sont parfois interchangeables. Initialement, la politique de cohésion européenne, intégrée dans le corps des traités dès l’Acte unique de 1986, avait pour objectif de transférer des ressources des régions les plus riches vers les régions les plus pauvres notamment à travers les fonds européens de développement régional (Feder) et fonds social européen (FSE). Puis, la notion de « cohésion territoriale » a été inscrite dans le traité de Lisbonne, et défendu lors du conseil informel des ministres européens chargés de l’aménagement du territoire qui s’est tenu à Leipzig en 2007 et qui a débouché sur une charte consacrée à « la ville européenne durable ». Si la notion reste floue, elle tend vers l’intégration thématique des différentes politiques sectorielles ayant un impact sur un territoire et l’implication des acteurs issus des régions et des municipalités. Les politiques de cohésion sont développés par les collectivités territoriales ou par de nouveaux agencements institutionnels, et soutenu par les États.

La coopération territoriale n’est pas nouvelle. C’est même une forme ancienne de coopération entre les acteurs de la ville. Comme le souligne, Claude Jacquier, dans la plupart des villes européenne, la coopération territoriale remonte à la fin du XIXe siècle et s’est concrétisée à travers les agences pour fournir des services à la population et les entreprises (adduction d’eau, électrification, assainissement, transports collectifs, bâtiments scolaires…). Depuis les années 1970, un mouvement d’intégration territoriale est intervenu sous la forme de fusion communale dans plusieurs pays européens (Allemagne de l’Ouest, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas, Suède…) ou de coopération intercommunale (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie…). Les lois de décentralisation, mise en place dans un contexte de globalisation néolibérale, ont provoqué une redéfinition des compétences et une perte de centralité de l’État. D’autres échelons territoriaux transfrontaliers et transnationaux sont venus s’insérer dans l’organisation complexe de la gouvernance territoriale européenne, à travers les programmes Interreg.

Partout, le processus de re-scaling (rééchelonnement) territorial s’accompagne par la nécessité d’opérer un renouvellement des modalités d’action publique locale. Cette transformation implique la mise en place de politique intégrée et de coopération contractuelle avec un grand nombre d’acteurs à la définition et la mise en place des politiques publiques. Comme le remarque Bagnasco et Le Galès : « dans le cadre de la gouvernance urbaine, le politique n’est plus défini en termes de domination légale et rationnelle mais avant tout par la mobilisation de groupes sociaux, d’institutions, d’acteurs publics et privés qui bâtissent des coalitions et élaborent des projets collectifs. ».

Les politiques intégrées…

On parle généralement d’une politique intégrée lorsque l’on évoque une action coordonnée entre un ensemble d’acteurs privés ou publics, se situant à des niveaux ou des échelles différentes, qui agissent sur un même problème. Dans les projets de développement urbain et d’inclusion sociale, l’approche intégrée a été utilisée au cours des années 1980 et 1990 dans les projets de requalification des quartiers ségrégués à travers des actions qui conjuguent les dimensions physique, économique et sociale d’un territoire. L’emploi du terme « intégré » s’est amplement diffusé en Europe avec la réforme des systèmes d’actions publiques, notamment à partir des politiques de développement durable et de sécurité. Un croisement entre les politiques urbaines et les politiques de développement durable a été réalisé lors du Forum de Vienne en 1998 qui vu la diffusion de l’idée de « politiques intégrées de développement urbain durable ».

Les politiques urbaines intégrées ont émergé dans un contexte de globalisation néolibérale qui a redéfini les relations entre l’Etat, le marché et la société civile. Le brouillage des frontières entre les acteurs, et les projets néolibéraux de réforme des systèmes publics, calqués sur les modèles de gestion privé, ont justifié la nécessité de nouveaux modes de coordination des acteurs, et de mise en œuvre des projets, qui impliquent une transformation de l’action publique tel que l’intégration horizontale et l’intégration verticale. Selon Bourgault et Lapierre l’horizontalité survient lorsqu’un ou plusieurs gestionnaires, d’une seule ou de plusieurs organisations, abordent une question non plus exclusivement à partir des préoccupations de leurs responsabilités propres, mais à partir d’une approche plus large qui cherche à inclure les intérêts, ressources et contraintes d’autres acteurs qui interviennent dans ce domaine. L’intégration verticale nécessite le même décentrement des préoccupations d’une organisation à partir d’une approche qui inclue les intérêts des différents niveaux de gouvernement. Ces nouveaux modes d’action publique ont été prolongés par la transposition des notions d’intégration verticale et horizontale aux réseaux, d’entreprises, d’associations et d’ONG qui participent à la définition, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, et parfois dans le processus de décision. Cette démarche est parfois nommée gouvernance intégrée.

Nouvelles modalités

A l’occasion de la 9e Conférence sur la Recherche Urbaine et Régionale de la Commission économique pour l’Europe de l’Organisation des Nations Unies, Anne Querrien a constaté l’importance des travaux sur la ségrégation dans les villes et la division entre zones pour citoyens inclus et zones pour exclus. Pour combattre la polarisation sociale et la fragmentation culturelle et politique, de nouvelles modalités de politique urbaine appelées « gouvernance urbaine » ont été mise en place, qui consiste à impliquer l’ensemble des partenaires pertinents, sur une base très large, à soumettre les décisions au débat démocratique, et à rechercher l’efficacité par le consensus. La finalité affirmée de ces politiques est de produire la cohésion sociale et une ville à la fois durable et vivable pour tous. La gouvernance urbaine s’exprime par la recherche de coalition d’intérêts à travers lesquels des acteurs essaient d’amener à des décisions qui leur soient favorables en obtenant l’assentiment des autres. Dans le domaine de l’aménagement urbain, le souci de gouvernance est manifeste dans les actions entreprises en faveur de l’inclusion sociale des territoires. La politique consiste à associer un très grand nombre d’acteurs dans le domaine de l’emploi, de l’éducation, de la culture, notamment en associant les habitants des quartiers, mais également les usagers des villes.

Anne Querrien s’interroge sur l’efficacité des partenariats pour redynamiser les zones en déclin et lutter contre l’exclusion. En effet la gouvernance urbaine et les partenariats sont souvent considérés comme plus efficaces que le mode de gouvernement traditionnel et les coalitions favoriseraient une véritable synergie. On devine une pensée systémique où la synthèse des efforts de chacun produirait plus que l’addition de chacun. Mais la répartition du risque entre les différents partenaires peut diluer la responsabilité dans un ensemble flou et rendre difficile l’évaluation des politiques urbaines par le citoyen. Anne Querrien met également en garde sur l’éventuel risque de voir des communautés établir des projets limités sur un territoire à l’exclusion des autres, comme le sont les gated communities.

A notre tour nous nous interrogeons sur la pertinence des nouvelles coopérations territoriales, des politiques intégrées et de la gouvernance urbaine dans la lutte contre l’exclusion urbaine. L’utilisation de ce vocabulaire est souvent justifiée comme une réponse à la complexité et la nécessité d’y répondre par une recomposition globale de l’action publique dans ses dimensions territoriales, institutionnelles et opérationnelles. Mais la création, ou le renouvellement, des coalitions locales, à l’origine des nouveaux régimes de gestion urbaine, ne s’est-elle pas faite au détriment, et parfois en leur nom, des individus ou groupes qui vivent des situations d’exclusion ou habitent dans des territoires ségrégués ? De plus, au-delà de la profusion des discours de justification de l’action territoriale, il semble que les nouveaux agencements institutionnels ne disposent pas des leviers de redistribution pour combattre l’exclusion urbaine. De fait, comme l’énonce Nathalie Bertrand, le paradoxe est qu’en même temps que le territoire s’affirme et se légitime comme espace de régulation des politiques publiques, les écarts se creusent et les diversités de situations s’amplifient.

Références

A. Bagnasco, P. Le Galès, « Les villes européenes comme société et comme acteur » dans A. Bagnasco, P. Le Galès (dir.), Villes en Europe, Paris, la Découverte, 1997

Querrien Anne, intervention présentée en collaboration avec Ingemar Elander (Suède) à la Neuvième Conférence sur la Recherche Urbaine et Régionale de la Commission économique

Bourgault, Jacques (éd.). Horizontalité et gestion publique. Québec, Presses de l’Université Laval, 2002. 335 p. (Management public et gouvernance). (JL 75 .H811 2002)