Manuela Carmena, une citoyenne maire de Madrid

Entretien

Claudio PULGAR PINAUD, 2015

Collection Passerelle

Cette fiche est un entretien avec la maire de Madrid qui traite du Droit à la ville.

Selon vous, comment les mouvements sociaux et leurs soutiens ont-ils conquis le pouvoir local ? Est-ce que le droit à la ville est un thème dont vous vous emparez à la mairie de Madrid?

Je trouve qu’il est très intéressant d’approfondir le débat sur le droit à la ville, mais en affirmant que nous voulons un droit à la ville pour tous. Je pense que, bien souvent, les mouvements sociaux, même si c’est difficile à croire, ont une attitude qui exclue des gens, qui pensent que la ville appartient seulement aux mouvements sociaux alors qu’il n’en est rien : la ville appartient aussi aux entre-prises, aux secteurs de l’opposition etc. Je crois qu’il faut avoir un point de vue très large et considérer que la ville est à tout le monde, y compris aux entreprises, y compris au marché. Nous devons chercher les moyens de vivre ensemble dans cet espace où nous nous trouvons tous.

Concrètement, quelle politique avez-vous entrepris pour changer la ville ?

Une chose est claire : nous avons essayé de mettre en place des projets pour l’emploi très importants. Le taux de chômage à Madrid est très localisé dans certains quartiers et districts. Dans ces endroits, il y a des agences municipales pour l’emploi, qui existaient déjà, et qui ont pour objectif fondamental de favoriser l’emploi des couches sociales les moins favorisées. Nous mettons en œuvre une politique avec les entreprises. Quand nous sommes en relation avec une entreprise, peu importe le motif, nous leur demandons toujours de réaliser des projets d’emplois, et nous parvenons à de nombreux accords, pour certains très intéressants. Par exemple, citons une entreprise très connue, Mercadona, une entreprise de supermarchés, nous avons conclu un accord avec elle sur l’embauche d’un grand nombre de chômeurs inscrits aux agences municipales pour l’emploi. Mercadona est intéressée par cette proposition car les personnes qu’elle va embaucher habitent les mêmes quartiers, le temps de déplacement sera donc très court, et il nous semble que c’est une économie d’énergie très importante. Pour les gens, ne pas perdre de temps dans les transports, c’est même plus qu’une économie d’énergie, c’est gagner en qualité de vie. Nous croyons donc qu’il faut mener une politique du consensus et établir des accords avec le marché, les entreprises. Il faut donc préciser que le droit à la ville est un droit pour tous, y compris le marché.

Quelle est la relation entre la mairie et les mouvements sociaux ?

Ils sont représentés au sein même de la mairie. De plus, nous avons créé des débats systématiques entre la mairie et les mouvements sociaux, et je me rends moi-même dans les différents districts pour avoir un dialogue permanent avec eux. Nous avons aussi mis en place un projet très intéressant pour renforcer tous les mouvements, en leur permettant d’occuper des bureaux, d’investir des activités de la mairie, des locaux vides ou mal utilisés, et nous avons donc mis en place un protocole pour que cela soit homogène et égalitaire et que personne en particulier n’en sorte privilégié. Cela permet d’accueillir des mouvements de tout type, même des mouvements qui sont contre nous, des mouvements d’opposition. Nous avons déjà réalisé ce protocole et nous recevons maintenant les candidatures.

Quelles actions concrètes avez-vous mises en place pour contrer la crise du logement?

Tout d’abord, nous avons créé un bureau de médiation des hypothèques afin d’éviter les expulsions. Nous avons demandé à toutes les banques avec qui nous étions en contact de s’engager à ne pas expulser et toutes ont respecté cet accord, nous avons, il est vrai, de bonnes relations avec les représentants des banques.

Certaines banques ont aussi donné leur accord pour nous céder des logements dans lesquels nous pouvons héberger des gens qui perdent leurs logements lorsque ceux-ci ne sont pas la propriété des banques ou d’une entité de crédit, mais d’un particulier. Les particuliers peuvent mettre leur bien en location, mais si les locataires ne peuvent plus payer, ce n’est pas possible d’obliger les propriétaires à louer sans aucune rétribution, c’est pourquoi nous avons besoin d’avoir des logements pour que personne ne reste à la rue. Il existe une entreprise municipale de logement à laquelle nous souhaitons donner un caractère social, nous avons changé les statuts et nous l’avons définie comme une entreprise sociale dont l’objectif est de favoriser le logement social et de pouvoir offrir chaque fois plus de logements selon les besoins des personnes.

Pensez-vous construire des logements sociaux municipaux ?

Nous n’avons pas beaucoup d’argent pour la construction, mais nous avons comme projet d’acheter de nombreux logements vides que les gens ont dû vendre aux banques car nous souhaitons les acheter nous-mêmes afin de les offrir aux citoyens.

Pour conclure, avez-vous un message à adresser aux mouvements sociaux à propos de votre arrivée au pouvoir local ?

Pour moi, la chose la plus importante est que les mouvements sociaux doivent toujours inclure le plus de gens possible, nous devons être généreux et nous rendre compte que le droit à la ville est l’affaire de tous, pas seulement de la gauche mais de tous, y compris du marché et des entreprises.

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