La Digitale Académie, une université en ligne pour une meilleure égalité des chances

Baptiste Gapenne, juillet 2019

Territoires-Audacieux

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative partie de la ville de Montereau (77). Confrontée à de nombreux étudiants qui ne poursuivaient pas leurs études après le bac, la mairie a décidé de créer un concept d’université en ligne. Baptisée la Digitale Académie, elle propose près de 1000 formations à effectuer, en partie, dans des locaux municipaux avec l’aide de tuteurs. Le concept qui est un véritable succès va progressivement se développer sur d’autres territoires puisque six nouvelles Digitale Académie ouvriront en 2019.

Pour en savoir plus, Territoires-Audacieux.fr a interviewé Soäzig Gros, chargée du projet pour la ville de Montereau.

Mise en place du projet

Comment le projet vous est-il venu à l’esprit ?

En 2016, Yves Jégo alors député maire de la ville de Montereau, cherchait une solution pour aider les jeunes bacheliers à poursuivre leurs études. En tant que chargée de mission j’ai été missionnée pour réfléchir à un projet qui intègrerait le numérique. Après quelques mois de recherches, nous nous sommes rendu compte qu’à Montereau, un bachelier sur deux ne poursuivait pas ses études supérieures. Les raisons étaient diverses : éloignement, problèmes financiers, culturels ou sociaux, absence de choix de cursus, peu de place en BTS ou en licence… Ayant vécu à l’étranger, je me suis inspirée de différentes méthodes d’enseignement que j’avais connu.

Lesquelles ?

Deux expériences m’ont particulièrement inspirée. La première, au lycée français d’Amman (Jordanie), permettaient aux élèves de la seconde à la terminale de suivre leurs cours via le CNED. Ils étaient coachés par des expatriés ou par des locaux francophones. Les résultats au bac étaient très bons. La seconde, à Kigali (Rwanda), après la guerre civile, où un groupement d’universités américaines s’est mobilisé pour aider les étudiants. Ils ont créé l’université Kepler et se sont engagés à donner accès aux études diplômantes en ligne pour moins de 2000 dollars par an.

Il a ensuite adapté ces idées à votre projet ?

Fort de ces constats et de ces expériences, la ville de Montereau a ouvert un mini campus universitaire en quartier prioritaire de la ville. La Digitale Académie est désormais un service municipal. Nous nous sommes rapprochés du CNED et de la FIED (regroupant 35 universités) qui ont accepté d’être partenaires du projet. Grace à ce partenariat, la Digitale Académie propose près de 1000 formations (DAEU, BTS, Prépa, Licence, DU, Master …)

Comment s’est déroulée la mise en place ?

La ville possédait des locaux de 450 m2 que nous avons équipés en informatique grâce à un appel à projet du Crédit Agricole. La ville a connecté les locaux à la fibre, les a meublé et a installé une cafétéria. Désormais 4 salles équipées d’ordinateurs accueillent 43 étudiants.

Quel avenir voyez-vous pour cette digitale académie ? Et sous quel fonctionnement ?

Devant le succès de cette initiative, Yves Jégo a créé la FIPNES (fédération internationale des plateformes numériques d’enseignement supérieur). Cette association travaille à l’essaimage du concept et fédère les Digitales Académies en France et à l’étranger. Six nouvelles Digitales Académies ouvriront en 2019 (4 en Ile de France, 1 à Bourges et 1 à Romans sur Isère). L’ambassade de France au Niger et la Fondation Yara-LNC souhaitent en ouvrir une à Niamey. Chaque porteur de projet doit mettre à disposition les locaux et prendre en charge le salaire des coachs. Chaque Digitale Académie verse une cotisation à la FIPNES et a accès aux partenariats et aux bonnes pratiques.

Le projet aujourd’hui

Quel est le principe de la Digitale Académie ?

La Digitale Académie est un mini campus universitaire qui permet aux jeunes bacheliers de 17 à 25 ans d’avoir accès aux études diplômantes en ligne pour moins de 1000 €/an sans avoir à quitter leur lieu de vie. Chaque jeune est accueilli et prend connaissance des formations proposées. Après une aide à l’orientation, il fait librement son choix d’étude et s’inscrit en Licence, en prépa ou en BTS. Il obtient alors sa carte d’étudiant et peut percevoir une bourse d’étude (CROUS). Il se déplacera uniquement pour passer ses partiels ou ses examens dans le centre d’examen agréé. Tous les diplômes proposés sont reconnus par l’Etat.

Quel est le public visé ?

Nous accueillons les jeunes de 17 à 25 ans, principalement des bacheliers mais aussi certains jeunes décrocheurs qui désirent passer un DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) pour suivre des études supérieures.

Comment fonctionnez-vous au quotidien ?

Nous accueillons les étudiants du lundi au vendredi. Chaque inscrit doit être présent minimum 16 heures par semaine. Les coachs sont présents quotidiennement pour les aider à obtenir leur diplôme. Chaque tuteur est responsable d’une dizaine d’étudiants. Ils ne font pas de pédagogie mais travaillent la méthodologie, la culture générale, aident à la motivation mais aussi conseillent sur la posture, le langage, la tenue… L’objectif étant de redonner à ces jeunes suffisamment d’assurance pour qu’ils puissent obtenir leur diplôme et entrer sereinement dans le monde du travail.

Comment coordonnez-vous les différents acteurs qui agissent ?

Une coach principale est responsable des études. Elle coordonne les tuteurs et connait chaque étudiant et chaque cursus. Elle a un profil d’universitaire et possède un Master 2. Les coachs sont des jeunes en service civique ayant obtenu un BTS ou une Licence. L’agent administratif s’occupe des inscriptions et de la tenue de la structure.

Quels sont les différents systèmes qui vont se mettre en place dans l’élargissement de votre projet ?

Le réseau des Digitales Académies va se développer très vite. Nous sommes en train de créer pour nos adhérents, une plateforme qui recensera toutes les études disponibles en ligne et qui permettra d’inscrire les étudiants de manière simplifiée. Cette plateforme donnera des conseils de coaching et recensera les offres de stages pour chaque territoire. Elle mettra en place un forum pour ses membres.

Dupliquer le projet

Avez-vous commencé à mesurer l’impact de votre projet ?

Pour le moment nous avons fait deux rentrées universitaires et avons un taux de réussite de 75%. Notre taux de décrochage est de moins de 10 %.

Combien cela vous coûte-t-il ?

Chaque Digitale Académie a un coût de fonctionnement qui lui est propre et qui avoisine les 100 000 €/an. Pour une collectivité qui souhaiterait mettre en place une digitale académie sur son territoire, ce montant comprend le salaire de l’agent administratif et du coach principal, les fluides, les abonnements internet, les licences ou la maintenance. C’est un coût pour le porteur de projet de 2000 à 3000 €/étudiant par an. La fédération a de son côté un coût de fonctionnement de 200 000 €/an.

A quels types de territoire votre projet peut-il convenir ?

La Digitale Académie est une structure « agile » qui permet à tout territoire éloigné des établissements d’enseignement supérieur de se doter d’un mini campus Universitaire. Ce projet convient donc aux villes périurbaines comme aux villes rurales. Mieux vaut plusieurs petites Digitale Académie qui permettront une plus grande réactivité et un accompagnement de proximité qu’un énorme campus qui perdrait en efficacité.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Nous n’avons pas rencontré de réelle difficulté car le projet est plébiscité par de très nombreuses personnes (ministères, rectorats, élus, lycées, étudiants …). Curieusement ce sont les entreprises, sensées accueillir nos étudiants en stage, qui sont les plus frileuses. En effet, étudier en ligne parait souvent suspect dans les pays francophones (à la différence des pays anglo-saxons). Cette frilosité devrait être levée car nous avons demandé au Ministère de l’enseignement supérieur de reconnaitre notre label.

Quelles erreurs faut-il éviter ?

Etudier en ligne peut-être un facteur d’isolement il faut donc être strict sur le comportement des jeunes à l’intérieur de la structure. Les pauses doivent être des moments d’échanges, il faut donc susciter les discussions en lançant des sujets de conversation ou des débats. Chaque mercredi nous organisons des cafés débat dans la cafétéria, en français ou en anglais et invitons des intervenants extérieurs (élus, artistes, journalistes, entrepreneurs, sportifs …)

Il faut être à la fois à l’écoute des étudiants qui ont besoin de s’exprimer sur de nombreux sujet passionnants et à la fois stricts sur les horaires et l’engagement au travail. Les étudiants doivent avoir conscience qu’ils sont dans une structure d’excellence même si celle-ci est installée en quartier prioritaire de la ville. Les coachs doivent se connecter régulièrement sur les plateformes de cours pour s’assurer de la progression des étudiants. Il faut surement penser aussi à coopter les entreprises au moment de la mise en place de la structure afin qu’elles s’approprient le projet.