La taxe professionnelle unique, une solidarité paradoxale des ressources fiscales

Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012

La taxe professionnelle est une taxe locale perçue par les communes, dont l’assiette repose sur les composantes économiques du territoire. Or la répartition des activités économiques est localement très inégalitaire puisqu’on assiste à des phénomènes de concentration des entreprises et des emplois et à des phénomènes de spécialisation des territoires (dominante industrielle ou résidentielle…). Un système de mutualisation de la taxe professionnelle a été créé : la taxe professionnelle unique, dite TPU. C’est une concrétisation de la solidarité locale que mettent en place des communes qui coopèrent. Celles-ci mutualisent à l’échelle de lintercommunalité l’ensemble des ressources issues de cette taxe dont le taux devient unique sur l’ensemble du territoire. La ressource financière pourtant très inégalement répartie entre les communes est alors perçue à l’échelle du groupement.

La TPU est alors un outil financier central pour les politiques de développement économique des intercommunalités. Une réelle politique globale et cohérente peut être mise en place et appliquée puisque la concurrence communale par les écarts de taux de taxes ne peut plus jouer.

Mais la répartition spatiale de cette ressource fiscale pose la question de la solidarité d’impôt qui est ainsi mise en place. En effet la taxe professionnelle se concentre dans les communes qui sont socialement pauvres et, à l’inverse, les communes socialement aisées sont souvent pauvres en revenus fiscaux basés sur les activités économiques. Cette ressource fiscale basée sur les activités économiques compense – en partie - les inégalités spatiales de revenus (des ménages) par sa répartition elle-même égalitaire. Les communes résidentielles préfèrent attirer des habitants, de préférence aisés, plutôt que des activités économiques car le rendement fiscal du logement est supérieur à celui des entreprises : il est de 60 euros au mètre carré en moyenne contre 35 euros. Mais cet écart se renforce lorsque le profil de peuplement d’une commune est aisé.

Ces communes peuvent alors adopter un comportement « NIMBY » (Not in my Back Yard, « pas dans mon jardin ») envers les activités économiques qui ont donc tendance à se concentrer dans les territoires de communes au peuplement plus pauvre. La mutualisation de la TPU est à l’origine d’un transfert de ressources depuis des communes socialement pauvres vers des communes socialement aisées. Ce phénomène est vérifié empiriquement dans la majorité des agglomérations françaises qui ont choisi ce régime fiscal.

La solidarité mise en place par ces communes semble alors paradoxale. Pour la perfectionner, les communes peuvent aussi mutualiser leurs ressources fiscales basées sur le sol et les logements et donc perçues sur les ménages. L’objectif d’une meilleure solidarité socio-économique des territoires communaux à l’échelle du groupement justifie cette nouvelle mutualisation. Il apparaît donc nécessaire de mutualiser le bénéfice fiscal que touchent les communes résidentielles pour mettre en place à l’échelle de l’intercommunalité des effets redistributifs socio-spatiaux qui soient « normaux », c’est-à-dire des populations riches vers les populations pauvres.

Apparait là un deuxième effet pervers de la mutualisation des ressources fiscales entre communes. Son efficacité socio-économique dépend du périmètre de l’intercommunalité. Grâce à l’intercommunalité, les aires urbaines ne sont plus morcelées communalement par commune mais elles se divisent en blocs communautaires distincts. Or si l’intercommunalité qui se met en place autour de la ville-centre peut être assez diversifiée dans sa composition socio-économique, les groupements périurbains sont caractérisés par l’homogénéité de leur profil socio-économique. C’est l’effet de « club » qu’a mis en évidence P. Estèbe dans ses travaux. C’est une autre limite à la solidarité par la mutualisation des ressources fiscales des communes. Cette situation évolue avec la mise en place de la nouvelle « contribution économique territoriale » qui remplace la taxe professionnelle à partir du 1er janvier 2011. Toutefois, les dispositions prises pour amortir les conséquences de la disparition de la taxe professionnelle sur le budget des collectivités territoriales font que les effets paradoxaux de la mise en place de la taxe professionnelle vont se faire sentir pendant encore de nombreuses années.

Références

  • Rousseau M.-P., « L’intercommunalité à l’épreuve de la réforme de la taxe professionnelle », Pouvoirs locaux, n°71, IV/2006, pp. 59-61.

  • Estèbe P., Gouverner la ville mobile, PUF, Collection La ville en débat, 2008, 76 p.

  • Chauvel J.-P., « Suppression de la taxe professionnelle, où en sommes-nous ? », Notes rapides n° 575, IAU IDF, octobre 2011.