Mettre en mouvement les territoires

2020

Territoires à Energie Positive (TEPOS)

Depuis 1984, le CLER - Réseau pour la transition énergétique défend et accompagne la montée en puissance des énergies renouvelables et de la maitrise de l’énergie dans le paysage énergétique français. Grâce à un réseau de plus de 300 acteurs locaux précurseurs, l’association poursuit son objectif d’accélérer la transition énergétique sur le terrain. En innovant sans cesse et en élaborant des pratiques vertueuses et reproductibles, les collectivités et professionnels engagés avec le CLER forment une société civile déjà en mouvement dans les territoires. Fondé en 2011 par six territoires pionniers, le réseau des Territoires à énergie positive (TEPOS) rassemble plus d’une centaine de collectivités qui visent la couverture de leurs besoins énergétiques, après les avoir réduit au maximum, par les énergies renouvelables locales (objectif « 100 % renouvelables et plus »), ainsi que des acteurs engagés à leur côté. Ensemble, ils ont choisi de faire de l’énergie une chance et un facteur de développement territorial. Le CLER - Réseau pour la transition énergétique, porte le projet et anime le réseau TEPOS au niveau national. Instaurée il y a plus de 20 ans, la notion de projet de territoire fait son retour en grâce avec le contrat de relance et de transition écologique (CRTE). Amenés à se généraliser sur l’ensemble du territoire national dès 2021, les CRTE s’appuieront en effet sur le projet de territoire qui sera au fondement du contrat passé entre les collectivités territoriales et l’État. Pour répondre à l’ambition souhaitée par l’État d’allier transition écologique, développement économique et cohésion territoriale, le projet de territoire devra s’enrichir d’une stratégie de transition écologique et de cohésion du territoire, ainsi que du plan d’action correspondant - s’il ne les intègre pas déjà explicitement. Ce travail a bénéficié́ du soutien de l’ADEME - Agence de la transition écologique, de l’Agence nationale de la cohésion des territoires et de la Banque des territoires dans le cadre du programme d’actions 2020 du réseau Territoires à énergie positive, animé par le CLER. Nous proposons ici de mettre en valeurs certains éléments et de les illustrer par quelques expériences.

À télécharger : porter-un-projet-de-territoire-en-transition2.pdf (510 Kio)

Une série de recherches-actions ont identifié depuis plusieurs années les conditions pour mettre en mouvement, tenir le cap et la durée, amplifier et évaluer les transitions dans les territoires. Les différents acteurs qui portent ces travaux abordent chacun le sujet par leur entrée naturelle, qu’elle soit thématique (énergie, agriculture et alimentation…) ou transversale (modes de vie, maturité coopérative, économie sociale et solidaire, nouveaux modèles économiques et de développement, stratégies d’alliance, évaluation). Voici une synthèse des principaux enseignements tirés de leurs observations et analyses. Elle se structure autour de 4 grands principes directeurs utiles pour guider l’action et avancer. Les travaux d’analyse se poursuivent désormais au sein de la Fabrique des transitions où se retrouvent les acteurs engagés dans les transitions territoriales.

Créer, renforcer les conditions d’engagement, ici et maintenant

Le changement ne va pas de soi. Il se heurte toujours à des résistances. Pour y faire face et les dépasser, l’engagement est nécessaire.

Comment s’engager et engager son territoire ?

Un raisonnement rationnel ne suffit pas, sans quoi les rapports du GIEC09 auraient déjà produit leurs effets. Comme le montre la crise sanitaire actuelle, un choc fondamental ne suffit pas non plus, même si les crises prédisposent à une prise de conscience. Il faut avant tout du désir, de l’émotion positive : le changement passe par une envie de changer. Pour cela, les représentations et les imaginaires doivent évoluer.

Comment agir sur les imaginaires ?

En valorisant le patrimoine culturel immatériel du territoire et de ses acteurs pour susciter de la fierté, un sentiment d’appartenance et donc une envie de prendre soin du territoire auquel on est attaché. L’enjeu est de se forger ou revivifier une identité, tout en prévenant un enfermement identitaire. Le ferment culturel est aussi un levier d’entraînement économique : les femmes et les hommes qui dirigent une entreprise partagent également des émotions et des sentiments d’appartenance.

Comment valoriser le patrimoine ?

En le mettant en récits, en racontant hier, aujourd’hui et demain. En travaillant avec les anciens et sur les archives pour mettre leurs mémoires au travail. En prêtant une attention aux événements qui scandent la vie du territoire, aux pratiques culturelles et sportives de proximité dans lesquelles les acteurs sont déjà engagés. En se projetant dans l’avenir, en intégrant le temps long dans les décisions d’aujourd’hui, par exemple en ciblant la jeunesse, les scolaires pour adopter le point de vue des générations futures. Le changement ne se fera qu’en intégrant l’histoire de tous les acteurs. C’est ainsi qu’ils se sentiront reconnus et se reconnaîtront dans le projet commun. Ils auront alors envie et donneront à leur tour envie à d’autres de s’engager.

Comment lancer le mouvement ?

Toute opportunité est bonne à prendre : l’actualisation d’un document d’urbanisme, une nouvelle planification ou contractualisation pour le territoire, un événement particulier. Il suffit de le vouloir et de se tenir prêt. En partant des besoins concrets, certains sujets peuvent occasionner des victoires rapides autour de projets collectifs. Les premiers engagements pris à travers des petites actions vont entraîner un effet « boule de neige » : confiance individuelle, collective et mutuelle entre acteurs, apprentissage, capacité de prise de risques collective augmentée. Relever peu à peu le niveau d’ambition nécessite une forme de stabilité des relations dans le temps.

Comment stabiliser l’engagement ?

Créer les conditions d’engagement ne suffit pas. Il faut aussi imaginer et organiser des espaces et des dispositifs de reconnaissance de l’engagement, de ce qu’il produit mais aussi de ce qu’il coûte. Cela permet de soutenir celles et ceux qui s’engagent, de créer les conditions de solidarités. Par exemple, des espaces de paroles réflexifs (« en miroir ») entre pairs, des analyses de pratiques, pour parler ouvertement des difficultés de l’engagement et s’améliorer dans le temps.

L’engagement est un voyage. Il transforme celles et ceux qui l’entreprennent : changement d’air, changement de paysages, changement de regard, de conscience, de posture, de pratiques. Un voyage d’étude en équipe dans un territoire pilote des transitions est un moyen fédérateur de susciter et d’entretenir l’engagement ; devenir soi-même une destination de voyage en terres de transitions l’est aussi.

Agir en coopération, tenir le cap et la durée collectivement

La coopération ne se décrète pas, elle se développe, à partir de l’engagement de chacun. D’où la nécessité de faciliter les conditions d’engagement dans la durée. S’intéresser à la subjectivité des personnes, aux conditions de leur engagement et à leurs multiples casquettes, à leurs multiples engagements est une façon d’entrer en coopération. On peut définir la coopération en creux. C’est une façon de sortir des enjeux de rivalités et de compétition dans lesquelles les acteurs sont souvent placés de facto pour l’accès aux ressources (financements, usagers, bénévoles, etc.). On peut aussi la définir en plein. C’est une capacité à faire oeuvre commune, une façon de prendre le risque de l’autre, de prendre en charge ses contraintes, une manière de mettre les différends, les conflits au travail.

La coopération n’est pas un supplément d’âme. C’est une ressource nécessaire pour l’action en trois dimensions : la coopération au plan horizontal (entre collègues, entre pôles, entre communes d’une même strate), verticale (entre échelle de responsabilité, hiérarchique ou administrative) et transverse (entre acteurs multiples, thématiques différentes et sur différents plans).

Elle suppose une certaine posture et donc un autre rapport au pouvoir : le pouvoir de faire avec autrui et non le pouvoir sur autrui. Elle suppose aussi de sortir des logiques de spécialisation, de cloisonnement entre les activités, de segmentation entre les tâches, entre les responsabilités, les silos. La coordination, qui n’est pas synonyme de coopération, est efficace dans un mode d’organisation « industriel » dont le développement est fondé sur le volume et la standardisation. Elle est inefficace dans un mode d’organisation « en transition » fondé sur l’adaptation et la pertinence des services rendus.

Par essence, la réalisation d’un service est une coopération entre le fournisseur et le bénéficiaire. Coopérer suppose de pallier un défaut récurrent : le manque d’interconnaissance des acteurs, afin de ne pas rester dans un registre de méfiance. Agir en coopération nécessite de créer des opportunités de rencontres, de transmission et d’apprentissage en commun. Coopérer ne signifie pas pour autant être alignés sur tout et à tout moment. Les acteurs peuvent se rejoindre sur un enjeu, par une convergence d’intérêt – cela suppose de créer de l’intéressement. Ou bien par une conflictualité – cela suppose une capacité à mettre les conflits au travail, à reconnaître la valeur des écarts, des différends, à construire des processus démocratiques10 pour arbitrer. Paradoxalement, coopérer revient donc aussi à organiser la dispute. Conduire le changement nécessite de voir ces éléments comme des ressources, des points d’appui pour conforter, enrichir l’action.

Pourquoi coopérer ?

Parce que cela permet de conduire le changement dans sa complexité. C’est d’ailleurs le seul moyen de le faire. Mais de façon plus prosaïque, parce que cela entraîne des économies d’échelles, une capacité de mutualisation, des synergies et des effets d’intégration.

Comment coopérer ?

En ne négligeant pas les coûts de la coopération (en temps, en énergie…) et en ne les exagérant pas non plus. Alors que la tâche est immense et les ressources limitées, le concours de chacun est requis et agir ensemble, si cela demande un temps de mise en route important, fait gagner à l’arrivée beaucoup de temps et de ressources.

Coopérer nécessite un travail d’agencement des acteurs intéressés ou pouvant l’être autour d’enjeux voire d’objectifs partagés. Il faut souvent un ou plusieurs acteurs catalyseurs11 en position légitime de soutenir le dialogue territorial12, le processus de coopération. Cela induit de rapprocher, de faire travailler ensemble des acteurs (services de la commune, de l’intercommunalité et des territoires de projet, acteurs entrepreneuriaux, associatifs, institutions supra) qui, jusque-là, pouvaient se limiter à agir de façon séparée. C’est un processus long qui demande des ressources, des compétences de facilitation et une capacité à créer les conditions d’arbitrage en intelligence collective, liés aux multiples tensions générées par les intérêts potentiellement divergents des acteurs.

Un tel processus structure une forme de leadership collectif, partagé, une capacité entrepreneuriale de territoire. Quand les collectivités ou les acteurs publics sont en position de catalyse, ils doivent faire attention à soutenir sans étouffer, développer sans récupérer. Comment se former à la coopération ? Formation à l’écoute active, à la communication non violente, à l’éthique de la coopération, à la maturité coopérative13, à l’intelligence collective, à la gouvernance partagée, à l’organisation réflexive, sont autant de manières complémentaires d’apprendre et approfondir sa pratique. Certaines choses ne s’apprennent pas en formation mais se cristallisent dans l’action : l’exemplarité, condition de développement de la coopération ; les retours d’expérience qui permettent de revenir sur les blocages ; les difficultés d’oeuvrer en coopération.

La structuration d’espaces dédiés, internes à l’organisation de travail (collectivité, entreprise…) ou au sein du territoire entre organisations diverses est déterminante pour mettre en place une organisation réflexive, apprenante : clubs, tiers lieux, espaces de gouvernance hybrides, parfois informels. Ils permettent de parler des déplacements professionnels occasionnés, des vulnérabilités découvertes, des efforts entrepris, invisibles ou pas nécessairement compris. Le retour d’expérience permet aussi de s’inquiéter des autres, de s’inquiéter de l’état de chacun, de sa relative insécurité et de gérer les rythmes, les pauses nécessaires au temps de l’action collective.

Concrètement, comment faciliter la coopération ?

Le cadre juridique de l’action publique ne favorise pas nécessairement la coopération (statuts, grades, filières basés sur l’obéissance et la notation descendante). La logique compétitive de l’économie globale non plus. Il est donc déterminant d’intégrer cette réflexion dans les modes d’organisation et de gestion, dans les modalités de recrutement, de management (accueillir favorablement, accompagner l’épanouissement des profils atypiques), d’évaluation (faire évoluer les entretiens individuels annuels, valoriser les résultats collectifs, penser les formes participatives d’évaluation du travail et de la coopération des agents, des acteurs). Différentes manières de faire sont propices à la coopération : ouvrir des espaces d’expérimentation, laisser des marges de manoeuvre (faire le pari de la confiance opérationnelle, sortir de la logique de contrôle), revendiquer le droit à l’erreur (et assumer les quelques fois où cela échoue, en réfléchissant collectivement aux raisons de l’échec et aux leçons à tirer), s’autoriser d’agir 14 Référentiel loossois de l’implication citoyenne parfois à la marge du cadre (« une innovation est une désobéissance qui a réussi »), mettre à disposition des espaces d’expérimentation.

Comment coopérer malgré tout ?

Il est nécessaire de trouver des voies pour agir, en dépit de ceux qui ne coopèrent pas. Le cadre doit être clairement défini pour protéger celles et ceux qui jouent le jeu coopératif. Cela peut avoir des incidences juridiques pour mieux pouvoir partager le risque de l’action ou de l’inaction. Au-delà de la responsabilité sociale ou environnementale, la responsabilité territoriale des acteurs, par exemple des entreprises, doit être mieux qualifiée. Cela nécessite de renouveler la vision de l’économie et d’encourager les formes juridiques d’entreprises dont la gouvernance permet d’associer les parties prenantes du territoire au projet entrepreneurial ; mais aussi d’accompagner l’évolution des postures des acteurs publics pour intégrer ces espaces de pouvoir partagé, des espaces qui questionnent les frontières de la concurrence économique au service d’intérêts partagés.

Au final, la coopération permet d’opérer des débordements de chacun, au regard de son périmètre d’origine, de l’amener au-delà de ce qu’il pensait devoir faire, afin de pouvoir prendre en charge de nouvelles dimensions e l’action. Ce débordement est source potentielle d’épuisement mais aussi source d’amplification systémique.

Agir de façon intégrée, systémique, élargir le périmètre progressivement

Agir de façon intégrée, systémique, revient à chausser des lunettes qui augmentent la portée du regard, permettent de saisir les enjeux de manière imbriquée. Par quoi ça passe ? Par la coopération avec les autres, celles et ceux qui ne pensent pas pareil et sont concernés, positivement ou négativement, par un projet.

Impliquer les acteurs, par exemple les citoyens lorsqu’on est une commune, ou les communes lorsqu’on est une intercommunalité, c’est une façon d’impliquer de nouvelles ressources et d’élargir le périmètre d’intervention. C’est un levier de transversalité entre les sujets et les enjeux. Mais cela suppose d’être attentif au processus. Impliquer les acteurs ne se fait pas à moitié. Le processus d’implication doit être rigoureux et exigeant pour être efficace14.

Comment impliquer les citoyens, les acteurs ?

L’action en binôme élus-techniciens est fondamentale. Pour bien fonctionner, elle demande une compréhension et une acceptation mutuelle des rôles complémentaires de l’un et de l’autre, dépassant les liens d’autorité et hiérarchique. L’implication habitante fait bouger les postures et les relations entre les élus, les techniciens et les citoyens. Elle crée de nouvelles compétences collectives. La participation se fait à différents degrés et il n’y a pas d’approche idéale. L’important est de choisir en conscience où mettre le curseur et de l’énoncer de manière claire et transparente. Il faut par ailleurs « du grain à moudre », un objet concret ou une décision effective à prendre collectivement à l’issue du processus. On ne s’implique pas juste par plaisir. C’est consommateur de temps, il faut que ça serve à quelque chose.

Sur quels sujets impliquer ? Faire place aux récits alternatifs des acteurs (par exemple, ceux de l’opposition au sein du conseil municipal ou communautaire ; ceux d’usagers ou de clients mécontents) qui contredisent le récit officiel est un remède à la propagande univoque, une assurance de ne pas s’endormir sur ses lauriers. Cela revient à « partir de là où les gens sont et là où ils en sont », par exemple autour de sujets relatifs au cadre de vie, en particulier dans les territoires dépréciés. Autrement dit à faire l’effort de ne pas partir de ses sujets à soi. C’est ainsi aussi qu’on actionne le principe d’engagement.

Comment impliquer les citoyens ?

Entraîner des groupes sociaux déjà constitués, s’appuyer sur les relations préétablies entre les personnes, former des petits collectifs pour les premières petites actions et des collectifs plus larges pour des actions d’envergure s’avère efficace.

Comment porter le projet ?

La nature du portage évoluera progressivement avec la nature de l’action à mener : portage d’opportunité à l’occasion du travail sur un document d’urbanisme et d’aménagement du territoire, par exemple ; portage programmatique lorsque la transition s’inscrit dans un programme d’actions formalisé du territoire ; portage par le projet lorsque la transition s’affiche comme le projet du territoire (au sens d’un projet de mandat) ; enfin portage d’alliance, lorsque ce projet est porté au-delà des représentants de la collectivité par les acteurs du territoire, associations, habitants, entreprises.

Comment piloter le projet ?

En fonction du degré d’implication des acteurs, le pilotage change aussi de nature. Le pilotage technique délégué à un ou plusieurs techniciens doit être soutenu par un engagement politique fort. Ce pilotage technico-politique a vocation à s’élargir ensuite en pilotage institutionnel dès lors qu’il implique toutes les missions de la collectivité. Enfin, le pilotage coopératif associe la société civile aux instances de la collectivité.

Le rôle des fonctions support (ressources humaines, juridique, financier…) est central dans le portage et le pilotage partagés. En décalage avec les modes de gestion de projets classiques (cibles et livrables définis à l’avance, moyens déterminés en fonction, et pilotage par la seule ressource financière), un pilotage stratégique tenu par le sens comprend une dimension plus politique.

En gardant le cap et en se fixant des échéances, il s’agit d’établir des rendez-vous collectifs d’ajustement chemin faisant, savoir saisir les opportunités, sortir parfois du cadre préétabli, piloter par les ressources immatérielles (la confiance, les compétences collectives, la coopération). Ce n’est pas le déploiement d’un plan linéaire, sans accrocs, bien qu’il comprenne une dimension de planification stratégique. Cela revient plutôt à « tirer la ficelle sans la rompre » : il s’agit de gérer la tension entre l’ambition, la vision, l’étoile et la réalité, les cailloux blancs sur le chemin, en prêtant une attention aux signaux faibles (par exemple, niveau d’engagement des acteurs ou constat de surmenage pouvant mener à l’épuisement professionnel).

Au-delà de l’implication des acteurs, comment élargir le regard ?

En prêtant une attention particulière aux externalités, c’est-à-dire aux effets non anticipés du projet et de l’action. Cela permet d’élargir le périmètre des acteurs concernés, qu’ils soient impactés positivement ou négativement – ce qui revient à élargir le processus de coopération à de nouvelles parties prenantes. Ainsi les enjeux alimentaires touchent-ils aux enjeux de santé des consommateurs, donc aux acteurs de la santé (dont la médecine du travail) ou bien encore aux enjeux de santé des sols et de la biodiversité, donc aux acteurs agricoles et de la protection de l’environnement, etc.

À chaque périmètre correspond un système d’acteurs à associer et intégrer. Il faut donc cartographier les parties prenantes, les repérer et les associer à des temps de dialogue territorial. Et au-delà de les associer, construire avec elles de nouvelles modalités de relations partenariales.

Au-delà du contrat donneur d’ordre - prestataire, cela revient à mettre en place des conventions de coopération qui peuvent définir des modalités d’échange en réciprocité, financières mais pas nécessairement (en terme d’engagement, de responsabilité, de temps passé, monnaie locale). Au-delà des externalités, penser et agir de manière systémique nécessite d’inscrire son action, son projet dans une logique multi-échelles. Par exemple, penser son plan alimentaire à la fois aux échelles communale, intercommunale et du bassin de vie permet de mobiliser toutes les ressources utiles à sa réussite. Cette logique de subsidiarité active est nécessaire pour passer d’un partage strict des compétences à des compétences partagées mobilisées pleinement dans une coopération inter-échelles, tout en mutualisant les moyens humains où cela fait sens.

Enfin, la mobilisation d’une expertise externe permet de nourrir le projet de transition et d’aider à en évaluer la portée. Cela concerne des interventions en facilitation ou des formations pour mieux appréhender la dimension systémique, la constitution d’un conseil scientifique en capacité d’interpeller fortement ou la mobilisation de chercheurs dans une recherche-action pour explorer de nouvelles opportunités, etc.

Evaluer la valeur créée, s’intéresser aux effets utiles de l’action sur le temps long

On trouve toujours une bonne excuse pour ne pas faire d’évaluation. Lever le nez du guidon, capitaliser nécessite de prendre le temps de faire une pause. Il s’agit là encore de dépasser la contradiction entre urgence et temps long. Prendre le temps d’évaluer, c’est toujours à terme gagner du temps et en pertinence.

Les démarches de transition s’évaluent dans la durée. Cela suppose de sortir de la logique du livrable à court terme, mais aussi d’aller au-delà de la seule recherche des effets anticipés. Prendre en compte les retombées non identifiées au départ, les effets produits par une dynamique collective et territoriale sans qu’ils aient été programmés et affichés comme objectifs, s’avère tout aussi stratégique.

Toute démarche d’évaluation repose sur trois étapes : définir ce qui compte (mais ne se compte pas nécessairement), apprécier/mesurer/révéler (la preuve ou le système de preuves), construire un point de vue partagé (la délibération collective qui objective en faisant appel à des subjectivités partagées). L’évaluation n’est pas un moyen de contrôle ; elle est un investissement nécessaire à l’amélioration.

L’évaluation de l’impact social d’une initiative territoriale doit répondre à un ensemble de prérequis : la démarche d’évaluation doit être perçue comme accessible et utile ; elle inscrit la démarche dans un écosystème territorial ; les parties prenantes bénéficiaires et contributrices sont associées au moment opportun à la démarche d’évaluation ; la démarche d’évaluation est inhérente et partie intégrante de la stratégie et du pilotage de l’entité dès sa création ; elle prend en compte l’ensemble des effets positifs et négatifs induits des actions de l’entité ; elle s’inscrit dans le temps ; elle peut renforcer le pouvoir de négociation et faciliter la mise en oeuvre d’actions créatrices de valeur15.

Comment évaluer la valeur ?

Un premier enjeu est de sortir d’une conception purement monétaire de la valeur et d’une conception purement comptable de l’évaluation. Au-delà de la mesure d’impact social et environnemental d’une personne morale, on s’efforcera de mesurer la production de valeur ajoutée pour la société dans son ensemble. Cela consiste à considérer la richesse matérielle et immatérielle créée sur un territoire d’un point de vue systémique. Les dispositifs d’évaluation de la stratégie d’accompagnement du changement s’intéresseront ainsi aux niveaux d’engagement, aux efforts réels fournis (au-delà des résultats obtenus), à la qualité de la coopération, à la capacité de résilience… La célébration des réussites est aussi une forme d’évalu ation : elle permet d’associer les parties prenantes et de pointer, au-delà de la réussite, ce qui reste à améliorer.

L’animation de la coopération est un enjeu crucial pour les dynamiques collectives de territoire. Or le manque de moyens humains dédiés à cette fonction, dans les collectivités notamment, est patent. Les financements manquent. Évaluer la valeur créée par la coopération, c’est aussi une façon (et certainement la seule) de plaider pour la mise en place de dispositifs de financement pérennes et structurants de moyens mutualisés.

Références

f Écoutes territoriales : la gouvernance territoriale à l’aune des transitions, UNADEL, 2016-2020

f Énergie, tourisme durable : 9 territoires en transition - Expériences et enseignements, UNADEL, juillet 2016

f Des territoires en transition - Enseignements des écoutes territoriales (saison 2), UNADEL, septembre 2019

f Accompagnement de territoires en transition pour capitaliser sur les pratiques de conduite du changement

dans les politiques publiques - Rapport final de capitalisation de la recherche-action, ADEME, Quadrant

Conseils, JFCD, UNADEL, 2019

f Transition et conduite du changement, UNADEL, mai 2019

f Dynamiques collectives de transitions dans les territoires, Labo de l’ESS, 2018-2020

f Référentiel de l’atelier « Villes pairs et territoires pilotes de la transition », IE-EFC, mars 2019

f Charte d’alliance de la Fabrique des transitions, Fabrique des transitions, décembre 2019

f Charte du comité d’orientation des territoires en transition, Ministère de la transition écologique, juin 2020