Biomasse du bocage en vallée du Léguer

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Le bocage constitué par le réseau de haies et talus, constitue un paysage typique du Trégor. Si il a, comme partout perdu en linéaire ces dernières décennies, il reste encore relativement dense sur le bassin versant du Léguer. Or, ce bocage joue un rôle essentiel dans la limitation des pollutions, la régulation du régime hydrique des cours d’eau et pour la biodiversité et les paysages. La meilleure protection du bocage passe certainement par la valeur économique qui pourra lui être (re)donnée. Dans une conjoncture où les énergies renouvelables deviennent d’actualité, le bois est une des réponses possibles sous ses différentes formes d’utilisation : bois bûche, bois déchiqueté, granulés… Le bois énergie offre un potentiel de débouchés pour valoriser le bois de bocage dans des filières locales. Depuis 2004, la communauté d’agglomération Lannion-Trégor, SCIC Bocagenèse soutient une politique territoriale de gestion des haies bocagères, contribuant à leur maintien ou leur redéveloppement, au bénéfice du paysage et du vivant. Une application de cette gestion durable sert l’implantation de chaudières biomasse d’échelle communale ou intercommunale.

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Le bocage séculaire dans la vallée

1 – Un motif du paysage breton vivant et en réseau

La vallée du Léguer est située dans le département des Côtes-d’Armor et dans le Trégor, ancienne division administrative et religieuse constituant l’une des neuf provinces de Bretagne. Elle est commandée par la ville de Lannion. Le bocage, composé d’un réseau de haies et de talus, constitue un paysage caractéristique du bassin versant du Léguer. Sa présence s’explique, pour les facteurs principaux, par la géologie, le climat, la pluviométrie et les activités humaines. La gestion que demande le bocage en fait un paysage en mutation constante où les différents stades de développement de la haie rythment les versants du Léguer. Au-delà du simple segment de haie, ce paysage est à considérer en réseau vivant, qui se métamorphose et n’est jamais identique d’une année sur l’autre.

2 – La haie dans le paysage au fil du temps

Le bocage est mis en place à partir du XVIe siècle pour protéger les parcelles fournissant du foin ou des céréales, le bétail évoluant jusqu’alors librement dans la campagne. Progressivement, tout terrain cultivé ou simplement exploité d’une manière régulière est clos. La haie sert ainsi à organiser la répartition spatiale des cultures et de l’élevage. En Bretagne, l’enclos a le plus souvent une forme rectangulaire propice au labour. Les haies se développent également autour des résidences aristocratiques, des abbayes et des prieurés pour marquer la limite entre la propriété et le reste du territoire. Peu à peu les espaces collectifs régressent, l’individualisme agraire se développe et dans les mêmes proportions la multiplication des terres encloses. C’est au cours des XVIIIe et XIXe siècles que le réseau bocager connaît son apogée. À la fin du XIXe siècle, les enclos bocagers ne servent plus à protéger les cultures des animaux circulant librement, mais à parquer les animaux dont les effectifs ont fortement augmenté ; le bocage et l’élevage constituent des marqueurs de la spécialisation agricole des paysages de nord Bretagne. C’est vers 1930 que le bocage est le plus développé.

3 – La haie, une ressource de biomasse

Historiquement, la haie sert aussi activement à la fourniture de bois dans une région pauvre en forêt du fait des nombreux défrichements menés au fil du temps pour augmenter les surfaces agricoles. Les fûts servent de bois d’œuvre pour la construction et l’artisanat, les branches élaguées et les taillis coupés approvisionnent en bois de chauffage les paysans. Au sein de ce bocage, les arbres d’émonde, dont les branches le long du tronc sont régulièrement coupées pour le bois de chauffage, marquent encore le paysage de leurs silhouettes singulières.

4 – La perte de mémoire des anciennes pratiques agricoles

Depuis les années 1960, le bocage subit une érosion régulière estimée à 3 mètres par hectare et par an. Cette disparition progressive s’explique notamment par l’évolution des pratiques agricoles en lien avec la politique nationale de remembrement. L’agriculture passe pendant la deuxième partie du XXe siècle de 5 millions à 1 million de paysans, les rendements de 20 à 70 quintaux de blé à l’hectare avec des pointes à 100 quintaux. Le territoire augmente ainsi sa superficie en céréales. Le secteur agroalimentaire breton est alors en pleine expansion. La mécanisation s’accommode mal du réseau dense du bocage, qui devient un « obstacle ». Et plus récemment, l’intensification de l’élevage en stabulation, et sa fragilisation économique, conduisent à un retournement des prés et prairies en faveur des céréales qui aggrave le délitement du réseau bocager. L’avènement des énergies fossiles a permis ces grands changements et a justifié l’abandon de la gestion de la haie.

« Ici on parlait breton pendant deux millénaires, les oiseaux ont perdu leurs noms comme les autres animaux, les plantes, les pierres, les gens. Nous avons assisté à l’effondrement de la mémoire paysanne en une génération […] On étudiait leur histoire du point de vue du progrès, de l’avenir, de la modernité, au lieu de l’étudier aussi du point vu de la perte. » Film : Un secret bien gardé, Basculement n° 1, Patrick Prado, 2008

C’est tout un pan de la culture paysanne séculaire qui disparaît avec l’évolution des pratiques, passant de l’élevage dans le bocage à de la production céréalière à grande échelle. Le cadastre a été remanié, les parcelles groupées et redistribuées. Les champs sont plus vastes, accessibles à la mécanisation.

5 – Le retour de la haie face à des milieux sous pression

L’élevage intensif, principale activité économique régionale, a participé à mettre en danger les milieux partagés. À partir des années 1970, la pollution de la rivière du Léguer et en aval la prolifération des algues vertes sur le littoral sont importantes. Des luttes régionales se font jour entre défenseurs de l’environnement et tenants de l’agriculture intensive. Dans la vallée du Léguer, une prise de conscience se met en place, repensant petit à petit le rôle de la haie.

Survivance du bocage comme commun : faire rejaillir le passé pour prendre soin

1 – Paysage et soin : création d’un bassin versant/bassin de vie « Vallée du Léguer »

Les enjeux sanitaires relevés par l’observation de l’élévation du taux de nitrate dans la rivière du Léguer sont à l’origine d’une prise de conscience collective. Une politique territoriale cohérente se met en place, d’abord concrétisée par la création de l’association pour la protection et la mise en valeur de la vallée du Léguer, aujourd’hui dissoute. Elle est remplacée par le comité de bassin versant du Léguer, administré par les communautés d’agglomération Lannion-Trégor, Guingamp-Paimpol et Morlaix communauté. La principale motivation de tous les élus et riverains est l’alimentation en eau potable du secteur. En effet, le Léguer fournit en eau tout le territoire, et il est donc très important de limiter son taux de pollution. «Le grand challenge a été de mettre tout le monde autour de la table, surtout le monde agricole. La chambre d’agriculture a fait un travail important et les agriculteurs ont participé dès le départ, ce qui n’était pas simple pour eux parce que cette prise de conscience suppose de changer les pratiques.» Film : La rivière « Léguer », histoire d’une reconquête, Philippe Laforge, 2018

2 – Le bocage comme réparateur du paysage

La reconquête du bocage a été et est encore aujourd’hui l’une des réponses aux problématiques environnementales. Elle est rendue possible par la reconnaissance du rôle essentiel de la haie bocagère dans la limitation des pollutions diffuses dans l’eau, dans la régulation du régime hydrique des cours d’eau pour limiter les inondations, dans la conservation des sols pour limiter l’érosion des parcelles, et dans l’accueil de la biodiversité. Le bocage est ainsi devenu une forme de patrimoine local, investi de nouvelles fonctions écologiques et sociales. Les acteurs du territoire ont mené une politique bocagère en étroite collaboration. Ils ont accompagné la redéfinition du métier d’agriculteur qui ne peut plus avoir comme unique vocation une production alimentaire fondée sur l’utilisation des ressources fossiles. Cela a mené à des politiques de valorisation des paysages et du travail des agriculteurs qui les entretiennent, ainsi qu’une mobilisation de la ressource en bois à des fins énergétiques tout en garantissant le maintien pérenne de la haie.

3– Le temps long du paysage et du collectif

À partir des années 2000, les premières actions pour le développement d’une filière bois se mettent en place collectivement sous l’impulsion de l’association pour la protection et la mise en valeur de la vallée du Léguer. En 2004, la création de l’association Trégor Bois Énergie qui rassemble des agriculteurs locaux permet la réalisation de chaufferies bois et des chantiers de broyages collectifs. Rapidement, l’association tente de convaincre les collectivités de s’inscrire dans la démarche. Des élus installent entre 2005 et 2010 des chaudières à bois communales, avec le rachat du surplus de bois des agriculteurs. Une politique de gestion des haies est mise en place par les communes et les exploitants à travers l’outil Plan de Gestion Bocage (PGB). La reconnaissance de la viabilité économique de la gestion du bocage entraîne la structuration de la production d’énergie biomasse à différentes échelles.

En 2010, la communauté d’agglomération Lannion-Trégor prend le relais de l’association pour conduire et coordonner le projet de structuration et animer le réseau.

En 2013, la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) Bocagénèse associant collectivités, agriculteurs, exploitants, forestiers, prestataires de services et particuliers est créée afin d’assurer une gestion durable de la ressource face au pillage des haies. La société produit et vend des plaquettes de bois issu du bocage à destination des chaudières pour les collectivités, les entreprises, les agriculteurs et les particuliers équipés de chaudières. Elle produit aussi du bois de paillage, du bois d’œuvre et du bois bûche. Elle réalise des actions de communication et d’éducation à l’environnement et donne son expertise pour des projets de chauffage au bois plaquette.

À partir de 2015, l’Association pour la protection et la valorisation de la vallée du Léguer, la Fédération Départementale des Chasseurs des Côtes-d’Armor et l’Institut National de recherche pour l’Agriculture et l’Environnement améliorent le PGB, pour intégrer la fonctionnalité écologique des espèces forestières : « une haie de qualité dans un bocage de qualité ».

Gestions et valorisations attentives du bocage, par le biais de l’animation locale et de leviers d’ordre global

1 – Deux axes de mise en animation du bocage

Deux axes principaux d’une stratégie en faveur du bocage sont suivis par le territoire de Lannion-Trégor Communauté :

2 – Premiers liens de la filière : agriculteurs et communes

Le Plan de Gestion Durable de la Haie (PGDH) et le Plan de Gestion du Bocage de bords de route (PGB) permettent de mettre en place une proposition adaptée de programmes de récolte de bois et de travaux bocagers à l’échelle de l’exploitation agricole et des communes. Dans la commune de Plouaret, un plan de gestion du bocage de bords de route existe depuis près de 12 ans. Il permet d’assurer une gestion durable des haies au bord des routes communales. Trois agents en moyenne pour trois mois à l’année s’occupent spécifiquement de l’entretien des haies. La gestion du bocage permet à la commune de s’investir auprès des agriculteurs. Le bois coupé représente en moyenne 250 tonnes de plaquettes par an.

En hiver 2021, les services techniques communaux ont entretenu 4 km de bords de routes, l’équivalent de 8 km de haie. Le bois est vendu à la SCIC Bocagénèse qui assure le stockage et le séchage. Dans les deux chaufferies dont elle est propriétaire, la commune de Plouaret brûle 600 tonnes de plaquettes par an. L’une des chaufferies de 500 kW, associée à une chaudière fioul de 500 kW, alimente un réseau de chaleur auquel sont raccordés la mairie, une maison du patrimoine, une maison du développement, une salle des sports, un pôle enfance jeunesse, une école maternelle et primaire, un collège et son restaurant. La Plan de Gestion Durable des Haies (PGDH) est un outil qui améliore le Plan de Gestion du Bocage (PGB) initial en intégrant des considérations écologiques. C’est un projet mené par l’INRAE, la Fédération Départementale des Chasseurs des Côtes-d’Armor et Lannion-Trégor Communauté.

D’autres outils permettent d’identifier les entités paysagères locales et les continuités écologiques. Les grands ensembles géographiques sont d’abord reconnus à l’échelle régionale, puis des « écopaysages » sont identifiés aux différentes échelles. Les écopaysages sont définis comme des territoires, dont les caractéristiques paysagères correspondent à des conditions géologiques, géomorphologiques et climatiques relativement homogènes, et d’autre part, à des caractéristiques écologiques, écosystémiques et biologiques qui leur sont propres. Cela permet d’identifier les enjeux macro liés aux paysages bocagers. Le plan de gestion permettra d’adapter la gestion aux singularités de chaque exploitation.

3- Label Haie

Le projet de label Haie commencé en 2016 est un dispositif de certification adapté aux enjeux de paysage. Il encadre d’une part les pratiques de gestion des haies et d’autre part les filières de distribution du bois bocager. Ainsi, l’exigence du label porte tant sur la qualité de gestion des haies que sur l’ancrage local et durable des filières. En revanche, elle ne porte pas sur la qualité du bois. Le label repose sur deux cahiers des charges distincts (“Gestion” et “Distribution”), un système de certification dans lequel opère un organisme certificateur indépendant et un outil de traçabilité informatique. Le PGDH est un outil préalable nécessaire pour acquérir le label. afac-agroforesteries.fr

4 - Production et consommation localisées pour contribuer à l’harmonie entre ville et campagne

L’élagage et le déchiquetage du bois des haies se fait sur les exploitations. Le bois déchiqueté est ensuite acheminé dans des plateformes où il est entreposé à l’abri pour sécher. La ressource est ensuite transportée des plateformes aux abords des centres urbains pour alimenter des chaufferies. Un réseau de chaleur permet alors de distribuer l’énergie produite à différents bâtiments publics. Les chaufferies et plateformes de stockage sont principalement situées en ville et le long d’axes routiers.

Le temps long de la haie face aux préoccupations actuelles

1 – Avancées en commun… et recul du bocage

C’est la reconnaissance d’un cheminement historique et des enjeux qu’il met en exergue qui a permis de mettre en place une politique territoriale volontaire : une vision partagée qui a amené la question de la production d’énergie de manière durable pour l’ensemble des acteurs impliqués. La place du paysage a joué un rôle prépondérant dans la réussite du projet. Il a en effet participé à révéler l’importance du bocage dans l’identité locale. Il a aussi permis de coordonner et d’appliquer des actions adaptées aux dynamiques présentes dans des périmètres bien définis. Cette dimension paysagère a enfin participé à mettre en place un projet équilibré où tout le monde y trouve son compte. Les pratiques agricoles et communales sont bonifiées avec les actions menées sur le bocage qui apportent aux exploitants et aux collectivités une ressource de biomasse durable, ressource économique et énergétique non négligeable. Aujourd’hui, le bocage continue tout de même de reculer et de nombreux agriculteurs ne se reconnaissent pas encore dans le projet, car ils dépendent d’un modèle agricole conventionnel encore puissant. Certaines parcelles sont agrandies, des haies sont supprimées ou mal entretenues. Le déploiement de la fibre est un exemple actuel des problématiques rencontrées face à la préservation du bocage. La suppression de la haie constitue un gain de temps pour installer des réseaux électriques souterrains, et ses bienfaits passent au second plan. Mais au total, si l’influence du projet n’embrasse pas encore l’ensemble des acteurs du bassin versant du Léguer, cela reste tout de même un projet exemplaire.

2 – Paysages bocagers à l’échelle nationale

Le label Haie a été initié localement par la SCIC Bocagénèse, Lannion-Trégor Communauté. Tirant parti de l’expérience, des partenaires du territoire : l’Afac- Agroforesteries, la SCIC Bois Bocage Énergie et la SCIC Mayenne bois Énergie, ont démarré la mise en place d’un système de certification nationale du bois valorisant la gestion durable du bocage. Le label permet de renforcer et de reconnaître une filière agricole de production de cette ressource gérée durablement chez les agriculteurs-producteurs. Il a été lancé officiellement le 4 octobre 2019 au ministère de la Transition Écologique et Solidaire. En 20 ans, le projet de filière initié concrètement par un groupement d’agriculteurs du Trégor a donc grandement influencé la création d’un label de gestion et de valorisation à portée nationale, sur lequel tout territoire comportant des paysages bocagers peut s’appuyer.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402

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