Le méthaniseur Terragr’eau sur le plateau de l’impluvium des eaux d’Evian

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Le projet de méthanisation-compostage, baptisé Terragr’eau, est unique en Rhône-Alpes. Il vise à protéger durablement les sources d’eau potable et minérale du territoire et ses zones humides, tout en garantissant une agriculture performante. Une véritable dynamique collective s’est mise en place pour relever ce défi. Terragr’Eau a démarré son activité depuis l’automne 2016 et a été inauguré le 12 septembre 2017.

À télécharger : terragreauplaquette.pdf (3,6 Mio), ledauphine.com-eau_devian.pdf (200 Kio)

L’impluvium des eaux d’Évian, plateau agricole en belvédère au coeur d’un écrin montagneux

1 – Un plateau agricole humide au cœur des montagnes, belvédère sur le lac Léman

Le plateau d’altitude de Gavot offre des vues très larges sur le lac Léman, qu’il domine en balcon sur son versant nord. Il est entouré par une barrière montagneuse à l’est et au sud-est. Il possède un caractère principalement agraire et forestier. L’activité principale est l’élevage. De nombreuses zones humides protégées ponctuent le territoire. Le climat est humide, et le plateau est souvent baigné de brume, obstruant alors partiellement les vues sur le lac et les montagnes. L’habitat est plutôt dispersé, constitué de fermes isolées ou de hameaux.

2 – Les paysages de la «douce France» et leur durabilité

Ce paysage pastoral semble correspondre à la représentation archétypale de la campagne encore constitué de nombreux éléments familiers tels que le clocher, le chemin, la rivière, la haie, l’arbre isolé, le pré, le troupeau… C’est un lieu de tourisme lié à des désirs de « nature » et de paysages : circuits de randonnée, de cyclisme, etc. L’économie repose essentiellement sur des activités rurales. Elles sont surtout liées à la production laitière et la production de fromages. Ces productions agricoles locales sont identifiées comme remarquables, et sont ainsi classées depuis les années 1990 en différentes AOP et IGP : Abondance, Emmental, Reblochon, Beaufort, Chevrotin, Tome des Bauges, Tomme de Savoie, Raclette. Les agriculteurs doivent répondre à des cahiers des charges stricts. Les produits de terroir participent de l’attrait touristique régional, et d’une économie montagnarde globale qui permet de préserver les paysages agricoles et de résister à l’industrialisation de l’agriculture. Les paysages du pays de Gavot s’urbanisent relativement vite au plus près d’Evian-les-Bains. Des risques de déprise agricole sont présents, liés à une certaine pression foncière. Les hameaux existants s’étendent eux aussi petit à petit.

3 – Le Plateau montagneux humide, impluvium des eaux d’Evian

La diversité biologique du Pays de Gavot est classée en site Ramsar, désignant une zone humide d’importance internationale. Le plateau de Gavot est également marqué par le label « Géopark Chablais », du fait de son socle géologique remarquable. Ce socle forme un impluvium, il est à l’origine de l’eau minérale naturelle Evian©. L’impluvium est la partie située sur le plateau de Gavot où les pluies et les neiges tombent et sont stockées. Ces pluies et ces neiges sont ensuite lentement filtrées et purifiées à travers les multiples strates géologiques à une vitesse d’environ 300 m/an, avant de ressortir à Evian-les-Bains en eau minérale naturelle. Le temps de filtration minimum est de 15 ans.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, les eaux d’Evian sont reconnues comme bénéfiques. Les villes thermales d’Evian-les-Bains et de Thonon-les-Bains attestent de cette réputation. L’utilisation de la ressource en eau se fait tout d’abord par la société anonyme des eaux d’Evian, puis l’entreprise Danone rachète le groupement en 1970. Depuis plus de trente ans, un modèle original a été mis en place sur le territoire, afin de permettre la protection de l’impluvium et la pérennité de la pureté de l’eau d’Evian, tout en favorisant le développement du territoire, et notamment l’agriculture sur le plateau de Gavot.

Un projet energétique comme maillon d’un assemblage : pratiques agricoles et protection de la ressource en eau

1 – L’eau sur le plateau de Gavot, une ressource sous pression

Les différentes AOC et IGP labellisent à la fin du XXe siècle les pratiques agricoles du plateau, témoins vivants d’une culture locale. Elles établissent un cahier des charges que les agriculteurs doivent respecter et permettent de pérenniser une agriculture agropastorale offrant une forte identité aux paysages locaux. La création de l’association de protection de l’impluvium de l’eau minérale d’Evian© (APIEME) en 1992 émane de la nécessité ressentie par les élus locaux de prendre leurs responsabilités en amont. En effet, si les paramètres de protection de l’eau ne sont pas respectés, celle-ci ne peut plus être qualifée d’eau minérale, elle perd en qualité et donc en valeur économique, et cela pour longtemps de par la longue durée de stockage de l’eau dans l’impluvium. Des mesures de l’eau du lac Léman indiquent que le taux de salinité est très élevé, ce qui est inquiétant pour la ressource en eau d’Evian. Les élus décident alors de s’associer.

2 – Associations entre différents acteurs pour l’agriculture et l’eau

L’association APIEME regroupe 13 communes : 4 communes où émergent les eaux d’Evian©, dont Evian-les-Bains, et 9 communes du plateau de Gavot où se situe la zone de l’impluvium. Cette association naît de la volonté des collectivités de partager les avantages fiscaux liés à l’exploitation de la ressource en eau minérale. Jusqu’ici, seules les communes émergentes en bénéficiaient, alors qu’il était de la responsabilité des communes du plateau de protéger la ressource. Elles s’associent par le biais juridique de l’association à l’entreprise privée Danone à qui appartient la marque d’eau minérale Evian©. Les premières actions mises en place par l’APIEME se font en lien avec les normes AOC et IGP sur le territoire, avec un intérêt marqué pour les pratiques agricoles. Des campagnes de sensibilisation pour les agriculteurs sont réalisées, avec diverses réunions publiques les informant sur les connaissances actuelles en termes d’agriculture durable. L’APIEME réalise également des campagnes financières pour l’assainissement des eaux usées avec des raccordements au tout-à-l’égout, ainsi qu’une résorption des cuves à fioul. Les zones humides du plateau font également l’objet de vigilance, avec des campagnes annuelles de fauche. L’APIEME dépense ainsi 600 000 euros par an pour financer ces différentes actions.

3 – Le projet de méthaniseur Terragr’eau, pour une maîtrise des effluents d’élevage

A l’heure actuelle, 70 exploitations agricoles sont présentes dans le périmètre de l’impluvium. L’un des enjeux principaux pour la préservation de la ressource en eau est l’épandage sur les cultures. Les effluents d’élevage doivent être de qualité exemplaire, en répondant notamment au cahier des charges AOC et IGP. Les agriculteurs ont tendance à concentrer leurs épandages sur certaines zones de l’impluvium, ce qui exerce une forme de pression sur la ressource en eau.

L’idée de mutualiser la gestion de ces effluents permet un contrôle de leur qualité et des principes d’épandage, tout en générant une source d’énergie renouvelable, le biogaz. Pour le projet de méthaniseur-composteur Terrag’reau initié en 2006, l’APIEME a un rôle d’initiateur, en persuadant la Communauté de commune Pays d’Evian Vallée d’Abondance de participer, et en allant à la rencontre des agriculteurs.

4 – Gouvernance partagée pour un projet énergétique et agricole commun

Une double gouvernance est établie pour la gestion du méthaniseur, incluant les acteurs concernés. La SAS Terrag’reau regroupe la communauté de communes, propriétaire du site et le groupe SERFIM spécialisé dans les métiers de l’environnement pour la gestion du site. La Communauté de communes avait lancé un appel d’offre pour choisir cette entreprise. La SAS collecte les effluents agricoles auprès des agriculteurs et leur fournit un compost normé et un digestat de qualité, produit le gaz et le revend à GRDF. La SICA Terrag’reau regroupe les agriculteurs en coopérative associée à l’APIEME et à l’entreprise Danone à travers la société des eaux d’Evian. Elle supervise le retour au sol des effluents, avec un employé qui établit un planning global des épandages à l’année. Les investissements réalisés pour le méthaniseur se font à hauteur de 5 % sur la taxe en eau minérale pour les communes impliquées. L’entreprise Danone investit le double par rapport aux communes. Le projet bénéficie également de subventions de la Région, de l’Agence de l’eau et de l’Europe. Le coût de traitement des épandages par le méthaniseur reste faible pour les agriculteurs. Une tonne traitée coûte 9 euros, l’APIEME en finance 7 et l’agriculteur 2.

Le projet de méthaniseur terrag’reau, cycles énergétiques et agricoles durables

1 – Inscription du projet de méthaniseur dans des pratiques agricoles existantes

Le projet de méthaniseur-composteur s’inscrit dans un territoire où les traditions d’élevage pérennisées par les normes AOP et IGP gèrent les paysages. Les parcelles agricoles sont pâturées de manière extensive, pour permettre des rotations de cultures et une autonomie alimentaire. Les vaches produisent du lait et des effluents, et ces produits rentrent dans le cycle d’un cercle vertueux. La taille moyenne d’une ferme sur le plateau de Gavot est de 40 ha. La récupération des effluents d’élevage fait déjà partie du système de rotation des cultures avant le projet de méthaniseur. Celui-ci n’a pas entraîné de modification fondamentale des pratiques agricoles et des paysages. Cependant, il apporte des avantages aux agriculteurs concernés, dans la mise en commun de la gestion des ressources :

Les exploitations participantes de la SICA Terragr’eau n’ont pas de lien direct avec la production de gaz. Par contre, les agriculteurs notent l’importance et la satisfaction personnelle de faire partie d’un projet collectif plus important. Les chartes AOP et IGP insufflent de véritables politiques territoriales, liées notamment à la protection de l’impluvium. Elles sont un point fondamental du dynamisme local. Elles entraînent avec elles un écosystème montagnard, économique, touristique et paysager. Le projet de méthaniseur Terragr’eau participe de cette économie circulaire comme un atout supplémentaire. Aujourd’hui, sur 70 exploitations présentes sur le territoire de l’impluvium, 40 d’entre elles ont adhéré au projet de méthaniseur.

2 – Le méthaniseur, une installation en mouvement

Une part importante de l’appel d’offre pour la conception du méthaniseur était tournée vers l’inscription du projet dans le paysage. Le groupe ANTEA, délégateur du projet choisi par la Communauté de communes, mène les études d’impacts pour le permis de construire. Différents documents graphiques paysagers (coupes paysagères, vues 3D, cônes de vues sur photographie, etc) sont réalisés. Les avis du paysagiste-conseil de l’Etat auprès de la DDT Haute-Savoie sont sollicités.

38 000 tonnes de matière organique par an sont traitées par le méthaniseur. Ce sont des effluents agricoles, ainsi qu’une petite part de déchets verts des communes, d’artisans, d’entreprises de paysage locales et de bio-déchets des cantines scolaires. Tous les jours, de la matière rentre et sort des cuves, pour produire du digestat liquide (épandage) ou solide (compost).Le temps de séjour moyen du digestat dans les cuves est de 60 jours. Le produit organique se transforme alors en produit fertilisant. En termes d’inscription paysagère, les parcelles affectées au projet de méthaniseur se situent :

La production de gaz naturel est injectée directement dans le réseau GRDF. Un poste électrique est présent sur le site. La chaudière du méthaniseur d’une puissance de 400 Kw est alimentée par le biogaz produit sur place. Le réseau de distribution est constitué d’un maillage de tuyaux sous le sol. Les clients de GRDF rachètent ce «gaz vert», qui est plus cher à l’achat mais qui est partiellement déduit des impôts. Le méthaniseur Terragr’eau participe de deux maillages territoriaux : le premier s’étend de Thonon-les-Bains à la frontière suisse, et le second est autour d’Annemasse. Un autre méthaniseur produisant du biogaz est présent dans la région. Les deux méthaniseurs se partagent les deux réseaux de gaz en fonction des demandes. Le vocation de site pilote exemplaire du méthaniseur Terragr’eau est prioritaire par rapport à la revente à GRDF, il n’y a donc jamais de pertes. Il produit 61 m3 de biogaz par heure. La production pourrait atteindre 110 m3, mais les produits d’effluents (lisier et fumier) sont peu méthanogènes. Pour atteindre un rendement plus important, il faudrait collecter plus de bio-déchets. Comme les effluents sont redistribués sur le plateau de Gavot, les cahiers des charges AOP et IGP interdisent la présence de viande et de poisson dans les matériaux d’épandage.

Des acteurs multiples, sources de développements futurs aux échelles locales et globales

1 – Des eaux d’Evian vers les eaux de Volvic

Suite au projet de méthaniseur Terragr’eau, l’entreprise Danone tente de reproduire ce modèle pour les eaux minérale de Volvic©, dans un territoire relativement similaire où les problématiques entre production agricole et protection de la ressource en eau se retrouvent. Le méthaniseur a permis de fédérer des acteurs et d’apporter une plue-value aux agriculteurs impliqués dans le projet, leur permettant de continuer à s’engager dans des pratiques agricoles durables pour la ressource en eau, l’économie territoriale et les paysages associés.

2 – Production agricole et énergétique, transport, stockage et régénération

A l’avenir, le projet de méthaniseur pourrait se développer localement, notamment avec une extension des capacités de stockage, et donc la possibilité d’agrandir le territoire d’influence du méthaniseur. Le stockage pourrait se faire par poches dans des zones éloignées, et ainsi permettre des économies de transports. L’entreprise Danone porte actuellement un projet d’agriculture régénératrice, qu’elle souhaite diffuser sur le territoire. Il vise à accélérer le développement d’une agriculture durable sur les impluviums. Les moyens proposés sont l’engagement des agriculteurs dans le cahier des charges de l’agriculture régénératrice et/ou en agriculture biologique avec un soutien financier de la transition vers l’agriculture régénératrice pendant 7 ans. Ce projet paraît intéressant, en portant attention à sa mise en place, qui semble actuellement déconnectée des autres acteurs du territoire. Sa gouvernance gagnera à ne pas être portée uniquement par un acteur privé.

Références

En savoir plus

  • En juillet 2022, un article de presse (Dauphiné Libéré; voir PDF joint « ledauphine.com-Eau dEvian fait un bilan nettement sombre du fonctionnement du méthaniseur après 5 ans de service : « Eau d’Evian Mal conçu, le méthaniseur pollue et coûte cher »