Les centrales photovoltaïques villageoises rosanaises

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Le programme des centrales villageoises, dont l’appellation est maintenant une marque déposée, a été lancé en région Rhône-Alpes en 2010 par RhônAlpEnergie-Environnement (RAEE). Les Parcs naturels régionaux rhônalpins ont répondu présents pour expérimenter ce nouveau modèle sur leur territoire. Il s’agissait alors d’explorer de nouvelles formes de développement et de portage de projets solaires photovoltaïques, avec un double objectif :

1 - s’appuyer sur la participation citoyenne, qui doit être au cœur de la transition énergétique ;

2 - Valoriser des ressources locales, en créant des richesses sous forme collective, dans le respect des chartes des parcs naturels régionaux.

Le projet d’implantation à Rosans a été inauguré en octobre 2016. Il a permis aux citoyens de s’impliquer dans la transition énergétique et la définition du paysage énergétique, en concertation avec les entreprises, associations, collectivités et élus.

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Le bassin du Rosanais : des mosaïques géologiques, agricoles et villageoises bénéficiant d’un climat plutôt ensoleillé

1 – La grande vallée du Rosanais, diversité des sols pour un habitat adapté

Les installations photovoltaïques des Centrales Villageoises Rosanaises sont installées au cœur de l’unité paysagère du bassin du Rosanais. La géomorphologie complexe du secteur a généré une grande vallée du Rosanais aux versants irréguliers. Elle offre des pentes d’expositions solaires variées. Les sols sont contrastés, humides ou secs en fonction des strates géologiques émergentes. Les villages s’installent précisément dans le paysage, sur des buttes propices à la chaleur hivernale et sur des lignes de résurgence de l’eau favorables aux cultures notamment l’été où le climat peut être aride. Toutes ces caractéristiques offrent aux paysages des traits propres au Midi d’une part, et aux Alpes de l’autre.

2 – Des motifs multiples, récents et anciens, formant des micropaysages colorés

Le bassin du Rosanais est formé de plusieurs motifs de paysages, qui composent un assemblage équilibré. Une agriculture de petites à moyennes parcelles aux orientations variées se développe dans les fonds de vallées verdoyants où de nombreuses haies bocagères ou ripisylves couturent les assemblages agricoles. L’activité agricole principale est l’élevage. Sur les coteaux s’épanouissent par endroits des vergers. Les pentes ont tendance à s’enfricher ou à être plantées de forêts de production de résineux. Subsistent encore des espaces ouverts où poussent du genêt, du thym, de la lavande ou du romarin. Les marnes bleues affleurantes génèrent des badlands (paysage d’érosion, sculpté dans des roches tendres [argiles, marnes, gypse] ravinées par les eaux de ruissellement en une multitude de petits vallons), qui contribuent à la personnalité des paysages du bassin du Rosanais.

3 – Stratifications des villages de pente ensoleillés

Les villages du Rosanais se sont développés en privilégiant l’exposition au soleil. Certains se logent sur une pente, en balcon sur une butte, défenses naturelles souvent exposées au sud. Les habitations sont positionnées le long d’une ou plusieurs courbes de niveau, bénéficiant du soleil pendant une grande partie de la journée. L’extension modeste de la morphologie urbaine pour des constructions récentes s’aligne en général sur ces principes. Les nouvelles habitations s’implantent en fonction de l’ensoleillement, et en profitent au maximum puisque l’on voit de nombreux toits de maisons individuelles s’agrémenter de panneaux solaires et photovoltaïques. C’est dans ce contexte ensoleillé, au cœur d’un territoire rural préservé et évoluant doucement, aux structures de villages peu étendues, que naît le projet Centrales Villageoises à Rosans.

Expérimentations solaires et démarches paysagères, des projets énergétiques pour le commun

1 – Auvergne-Rhône-Alpes Énergie Environnement et les Parcs naturels régionaux : énergie citoyenne et paysages locaux

L’expérience de Centrales Villageoises (CV) a été soutenue initialement par des financements européens (projet ENERSCAPES) et régionaux (ancienne région Rhône-Alpes). Rhônalpénergie-Environnement (RAEE) financé par l’Union européenne réunit cinq Parcs naturels régionaux de la région Rhône-Alpes : le PNR des Baronnies provençales, le PNR du Pilat, le PNR des Monts d’Ardèche, le PNR des Bauges et le PNR du Vercors. Chacun participe au programme sur son territoire et à sa manière.

La démarche est tout d’abord expérimentale, pour tester un nouveau type de modèle énergétique et économique. Elle va rapidement essaimer en régions pour aujourd’hui constituer le réseau des centrales villageoises animé par l’association nationale.

Les acteurs de AURA-EE et des PNR partant du constat que la production d’énergie photovoltaïque est essentiellement pratiquée par des acteurs privés, souvent trop peu respectueux du cadre social, patrimonial et paysager local. Pour des projets énergétiques s’implantant dans des PNR, cet état de fait est en contradiction avec l’esprit et la vocation des parcs. De façon générale, il est aussi en contradiction avec un développement durable ancré territorialement. Les Centrales Villageoises proposent une démarche s’appuyant sur une approche paysagère des sites. Elles sont portées par des sociétés privées (SAS ou SCIC) qui peuvent rassembler citoyens, entreprises, associations collectivités. Leur gestion est coopérative c’est-à-dire qu’un sociétaire est une voix. La démarche a été développée pour des collectifs dont peuvent faire partie les collectivités.

« Une centrale villageoise photovoltaïque est toujours liée à un bassin de vie. Celui-ci est défini par la géographie, mais surtout par les contacts entre des gens souhaitant travailler à un projet commun. » Dominique Farhi, architecte à l’agence Arch’Eco, Agence d’architecture bioclimatique dans les Baronnies

Les CV sont d’abord des sociétés à gouvernance citoyenne : les citoyens y ont une place prépondérante dans l’actionnariat, dans les organes de gestion et de décision. Le soutien des collectivités locales est un préalable important au démarrage des projets. Le lien doit être nécessairement fait avec les objectifs fixés par les collectivités en matière de développement des énergies renouvelables, mais également avec leur charte paysagère, documents d’urbanisme, etc. lorsqu’ils existent. Elles peuvent soutenir les projets de diverses façons et peuvent être sociétaires ou non. Enfin, les entreprises locales peuvent également être associées dans les sociétés locales et contribuer à la définition et au financement des projets.

Dans le cadre de cette expérimentation les PNR associés à AURA-EE assurent le développement des premières centrales villageoises. Ils vont à la rencontre d’élus locaux, et promeuvent ce nouveau modèle afin de trouver les premiers territoires d’accueil. Plusieurs élus sont très rapidement intéressés et facilitent l’organisation de diverses réunions publiques pour fédérer des groupes de citoyens autour de ces projets. Après la mise en place de ces projets tests, une inversion des rôles se produit : les démarches ne sont plus forcément lancées par les PNR mais viennent des territoires. Les collectifs citoyens qui se créent font appel au soutien des PNR, si leur territoire d’action se trouve sur l’un d’eux.

2 – le PNR des Baronnies provençales et ses paysages, l’expérience de Rosans

Les cinq PNR de l’ancienne région Rhône-Alpes se répartissent autour de différentes modalités d’études pour l’implantation d’un nouveau modèle énergétique, afin de les tester de façon approfondie. Cela permet d’exporter un modèle qui se compose avec différentes thématiques intégrées pour chaque projet. Huit projets pilotes sont proposés et ont tous fait l’objet d’une approche paysagère et architecturale. Des études à plusieurs échelles ont été réalisées. Elles intègrent la notion de bassin de vie et la relient à des questions de paysage. Le PNR des Baronnies provençales est territoire-test pour intégrer un questionnement approfondi sur le paysage.

Des « bassins de vie » et des « bassins de vues » dans des paysages aux représentations valorisées

Les études paysagères et architecturales se déclinent en trois phases, qui se complètent les unes les autres.

1– Les paysages à l’échelle du bassin de vie, une étude pour montrer une richesse et des possibilités de futurs

Pour la création du site pilote des centrales villageoises Rosanaises, une étude paysagère à l’échelle du bassin de vie « le bassin Rosanais » est réalisée en interne par un paysagiste du PNR des Baronnies provençales. Elle permet de produire des orientations sur des zones favorables d’implantation en vue de la rédaction du cahier des charges pour les phases suivantes. Ce document tient lieu de document-cadre, pointant des enjeux et des risques éventuels, servant d’aide à la décision pour les élus et les autres techniciens ayant à intervenir sur le projet.

Le PNR choisit de travailler sur un paysage caractéristique du territoire du parc. Le choix du bassin du Rosanais correspond à ces enjeux, car il est au cœur du massif des Baronnies et du projet de Parc. Le village de Rosans est ensuite choisi pour une partie de l’étude plus détaillée, car celui-ci correspond à plusieurs caractéristiques majeures des villages du Rosanais. Les outils utilisés pour cette étude sont des outils traditionnels de paysagiste que l’on pourrait trouver dans un atlas de paysage pour la définition d’une unité paysagère. Ils sont ici employés pour servir le projet énergétique, en intégrant la démarche paysagère comme préalable.

Les enjeux énoncés dans cette étude vont dans le sens général de la charte du Parc, afin d’aller vers un projet énergétique cohérent sur le territoire.

2-Architecture, urbanisme et panneaux solaires

La seconde étude réalisée par l’agence de paysage Coloco fait émerger les possibilités d’aménagement en fonction des traits forts lisibles sur le lieu d’implantation pressenti qu’est le village de Rosans. Cette étude intègre les conseils d’un Architecte des Bâtiments de France. En effet, la tour Sarrazine du centre du village de Rosans est classée aux Monuments Historiques, ce qui en général induit un périmètre de 500 m de distance pour tout projet d’aménagement, installation énergétique comprise. Pour tous ces projets se situant dans un périmètre de 500m, l’aval de l’ABF est demandé. Ici, l’architecte préconise de ne pas installer de panneaux au cœur du centre historique, mais le rend possible juste avant la limite de 500 m, sur des bâtiments plus récents n’ayant pas de caractère architectural particulier. Cette seconde phase propose des scénarios d’implantation à l’échelle du village. Elle reprend les éléments de l’étude paysagère pour préciser les possibilités d’implantation en termes d’organisation villageoise et les possibilités d’implantation en termes architecturaux.

3 – Typologies de pose des panneaux et foncier

Par la suite, l’architecte Dominique Farhi de l’agence Arch’ Eco, en lien avec l’agence Enersun spécialisée dans l’énergie photovoltaïque, est mandatée par le PNR pour mener une troisième étude plus précise concernant l’implantation technique et l’intégration architecturale des panneaux. Son agence est spécialisée en écoconstruction depuis une vingtaine d’années, et elle avait déjà travaillé à Rosans pour un projet d’éco-hameau. Cette phase permet notamment de concevoir l’implantation des panneaux par rapport à l’accord des propriétaires pour occuper des toits. Huit installations photovoltaïques ont été réalisées sur du foncier communal : d’anciens gîtes de vacances, une ancienne gendarmerie, et un local technique. Des typologies de poses des panneaux sont déterminées. Chaque fois que cela est possible, les panneaux occupent un pan entier de toiture. Ils couvrent des surfaces de 60 m² environ et produisent 9kWC (kilowatt crête) par installation. Les panneaux sont posés en lien avec les paysages marqués par les lignes horizontales correspondant à des lignes de niveau. L’effet d’ensemble produit par l’implantation des panneaux permet de retrouver une unité architecturale pour des bâtiments aux styles éclectiques. Le profilé est de la même teinte que le reste du panneau, détail essentiel de bonne inscription paysagère. La pose est intégrée aux toitures, c’est-à-dire que le panneau sert d’étanchéité au toit, comme une tuile. Cela ne se fait plus guère aujourd’hui, pour des raisons techniques mais aussi financières, avec la fin du tarif d’achat. L’électricité injectée dans le réseau est revendue. Les coffrets onduleurs sont accolés aux bâtiments. Ils sont construits avec du bois local, par un menuisier rosanais. Les panneaux ont une durée de vie de 25, 30 ans et plus. Le contrat avec EDF (obligation d’achat) est signé sur 20 ans (donc l’engagement d’EDF à acheter l’électricité à un tarif réglementé). Les panneaux fonctionneront encore après ce délai et continueront à produire de l’électricité, même si leur rendement sera un peu moindre. Dans les baux sont prévues plusieurs possibilités à la fin du contrat : Mise à disposition gratuite des installations au propriétaire de la toiture Poursuite de l’exploitation des installations par la SAS Démantèlement.

Le rôle des PNR dans l’élaboration des projets citoyens et dans les questions de paysage et d’énergie

1– Les trois centrales villageoises dans le PNR des Baronnies provençales

Suite au projet Rosanais, deux autres Centrales Villageoises se créent au sein du PNR des Baronnies provençales : les centrales villageoises Sud Baronnies et les centrales villageoises de la Lance. Elles reprennent à leur compte les enseignements des installations de Rosans et des 7 autres territoires d’expérimentation qui ont pu aboutir à la définition, avec AURA-EE, d’une démarche et d’outils reproductibles « clef en main ». Elles ont notamment réutilisé les principes d’implantation des panneaux par rapport aux questions d’architecture et de paysage. Pour les deux autres centrales villageoises, une inversion des rôles s’opère. Les citoyens ont eu connaissance des premiers projets, et demandent au PNR de les appuyer. Des propriétaires privés sont intéressés aux nouveaux projets et proposent leurs toits. Les installations photovoltaïques se font donc plus facilement, avec un foncier varié.

2– Nouvelles typologies d’insertion

Aujourd’hui, le développement des centrales villageoises dans le PNR se fait surtout sur de grandes toitures, par exemple des hangars, car le tarif de rachat de l’électricité est plus intéressant sur ces surfaces où les coûts des installations ont diminué. L’architecte Dominique Farhi a remporté un appel d’offres proposé par le PNR pour réfléchir au remplacement par des panneaux photovoltaïques des toitures amiantées, notamment sur des hangars agricoles et grandes surfaces artisanales. Les enjeux sont colossaux en termes environnementaux et de santé publique. Mais le désamiantage coûte très cher. Le remplacement par des panneaux photovoltaïques permettrait de rentabiliser une partie des travaux de désamiantage. L’amélioration paysagère est liée au remplacement des toitures peu qualitatives par des bacs acier avec photovoltaïque. Actuellement, le développement des centrales villageoises et en général des EnR dans le PNR des Baronnies provençales est ralenti, car le réseau de distribution électrique local est saturé.

3– Les PNR et les projets territoriaux de transition

Aujourd’hui le PNR des Baronnies provençales travaille à l’accompagnement des CV et à la définition d’une feuille de route pour prioriser les actions de la Charte sur les 3 ans à venir à l’aune des changements climatiques et changements globaux.

4– De l’expérience au modèle : mise en réseau des centrales villageoises à l’échelle nationale

Depuis les premières expérimentations de centrales villageoises en Auvergne- Rhône-Alpes, l’association nationale des centrales villageoises s’est créée, et recense aujourd’hui 54 centrales villageoises photovoltaïques en France. Ainsi, lorsqu’un collectif local veut créer sa centrale villageoise (projet d’EnR en général), il s’adresse à l’Association nationale de Centrales Villageaoises. Le comité d’engagement est constitué de bénévoles issus de sociétés Centrales Villageoises ainsi que de chargés de mission de PNR. Le comité s’assure de l’adéquation du projet du collectif à travers les enjeux transversaux constitutifs d’un projet de Centrales Villageoises et de la charte (développement économique local, bassin de vie cohérent, paysage, environnement). Il apporte un accompagnement technique et juridique. Les chargés de mission de PNR ou de toute autre collectivité volontaire peuvent accompagner les nouveaux projets. Il y a maintenant un salarié à l’association nationale. Désormais le modèle de Centrale Villageoise se déploie dans tout type de territoire, PNR ou non. Ainsi les PNR peuvent passer d’initiateurs à accompagnateurs, comme l’a fait le PNR des Baronnies provençales. Ils peuvent répondre à des questions techniques expérimentales, par exemple sur les problématiques de désamiantage de toitures, sujet important actuellement. L’intérêt principal des collectifs créant de nouvelles centrales villageoises semble être aujourd’hui la production à plus grande échelle avec la capitalisation nécessaire, et également l’autoconsommation.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402

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