L’agrivoltaïsme en territoire viticole

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Fortement viticole et bénéficiant depuis 2017 d’une AOP dédiée, la Région des Aspres produit d’excellents vins avec un rendement faible : < 40 hl/Ha. Touché de plein fouet par le changement climatique et les sécheresses de plus en plus sévères, son vignoble est directement menacé, au point de connaître une déprise agricole parmi la plus élevée de la région. L’agrivoltaïsme est donc devenu un levier incontournable pour redynamiser le vignoble. Dans ce contexte, le domaine de Nidolères, à Tresserre dans les Pyrénées-Orientales, a été le précurseur mondial de l’agrivoltaïsme dès 2018, en installant sur 4,5 ha de vignes des panneaux solaires en persienne. La première centrale agrivoltaïque au monde a été construite grâce au soutien de la Région Occitanie Pyrénées Méditerranée, sur des nouvelles vignes. Elle a permis de reconquérir une ancienne parcelle viticole de 7,5 Ha, arrachée en 1992, qui n’avait pas pu être replantée faute de solution satisfaisante.

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L’Aspre viticole ensoleillé, terrasses agricoles ouvertes sur les Pyrénées

1 – Le domaine viticole de Nidolères au cœur de l’Aspre viticole

Le domaine de Nidolères est une exploitation viticole familiale depuis huit générations, dont le vignoble s’étend sur 32 hectares. ll est situé au cœur de l’unité paysagère de l’Aspre viticole, bénéficiant de l’AOC Côtes du Roussillon Les Aspres. L’unité est constituée de reliefs doux traversés de plusieurs cours d’eau s’écoulant des montagnes. Elle présente un paysage de terrasses viticoles aplanies, dont les reliefs allongés ouvrent des vues remarquables sur l’horizon montagneux des Aspres, avec notamment la silhouette bien connue du pic du Canigou. Les rebords des terrasses façonnées par les cours d’eau offrent de légers reliefs où se sont installés la plupart des villages, pour être proches des rivières sans en subir les crues.

2 – La diversité agricole ponctuelle offerte par l’irrigation

Les techniques traditionnelles bi-culturales sont importantes dans la région. Jusqu’aux années 1960, des exploitations mélangeant vigne et abricotier ou vigne et cerisier marquaient les paysages. Peu à peu, les rendements ne correspondent plus aux modèles économiques de la mécanisation de l’agriculture, ce qui entraîne la perte de ces traditions. Aujourd’hui, quelques parcelles de vergers peuvent se rencontrer très ponctuellement, plutôt linéairement, dans ces paysages dominés par la vigne. Elles sont cantonnées aux terrasses basses dans le lit des cours d’eau.

3 – Un bouleversement visible des paysages : crise viticole et pression urbaine

Les vignes arrachées et les parcelles en friche sont partout visibles et marquent les paysages. Les abords des villages sont particulièrement touchés par ce phénomène : la crise viticole ajoutée à la pression urbaine semblent entraîner la multiplication des arrachages aux entrées des bourgs. De nombreux lotissements et zones d’activités se construisent. Les extensions urbaines récentes débordent souvent du site bâti d’origine : elles s’égrènent le long des routes, sans logique claire d’aménagement urbain. Elles affaiblissent les centres et dévalorisent les entrées des villages. On parle aujourd’hui de crise viticole régionale mais également mondiale, en raison de différentes pressions dues au réchauffement climatique s’exerçant sur les vignes. Les vignes souffrent de la chaleur en été et du manque d’ombre et d’humidité. Traditionnellement, les vignes étaient protégées par des claies du côté du soleil couchant, et les pieds s’ombrageaient ensuite les uns les autres du fait de la courte distance d’environ 80 cm tenue entre les rangs. Le passage d’une vendange manuelle à une vendange mécanisée diminue les coûts d’exploitation, mais les rangs doivent être éloignés d’au moins 2,50 m, ce qui ne permet plus l’auto- ombrage. Les vignes souffrent alors de la chaleur, et les rendements baissent. De plus, des épisodes de pluie sans vent sont de plus en plus fréquents, ce qui apporte des maladies aux vignes, par exemple le mildiou.

L’agrivoltaïsme pour pérenniser des paysages de vignobles en difficulté

1 – Les vignes face à l’épreuve du changement climatique

Pierre Escudié, propriétaire et exploitant actuel du domaine de Nidolères, constate depuis 30 ans les effets du réchauffement climatique sur ses cultures. Les températures sont de plus en plus élevées l’été, et des orages éclatent à toute époque de l’année. Il y a 30 ans, la vinification se faisait sur un cycle naturel. Aujourd’hui, il y a besoin d’ajouter des levures pour retrouver un équilibre entre la teneur en sucre et l’acidité du raisin. Le vin est de plus en plus fort, alors que les vins de la région sont traditionnellement des vins plus tendres. Il devient de plus en plus difficile de faire certifier sa production en tant qu’AOP appartenant à la région de l’Aspre viticole. De plus, la rentabilité est de moins en moins bonne.

« Une plante qui souffre s’adapte et ne donne pas beaucoup de fruits. » Pierre Escudié, exploitant et propriétaire du domaine de Nidolères

C’est pour ces raisons que l’agriculteur s’intéresse au modèle d’agrivoltaïsme développé par Sun’Agri.

« Revenir à des systèmes de bi-culture avec des arbres fruitiers, ça n’est pas possible, car les rendements sont moins bons ; les deux plantes sont en concurrence. » Pierre Escudié, exploitant et propriétaire du domaine de Nidolères.

2 – Les innovations portées par les énergies renouvelables liées aux problématiques agricoles

Depuis 2009, l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), l’Ademe et la société Sun’R (dont Sun’Agri est devenue une filiale) travaillent sur le programme de recherche Sun’Agri. Le projet financé par l’Etat via les Programmes d’Investissement d’Avenir, a été récompensé par de nombreux prix. Cette recherche part du constat que l’énergie photovoltaïque a besoin de foncier pour se développer. Il y a dans un même temps l’enjeu de préservation des terres agricoles. S’ajoutent à cela les questions actuelles d’adaptation des vignes au réchauffement climatique. De tous ces questionnements émerge la notion d’agrivoltaïsme, qui permet de combiner le développement d’EnR à la préservation des terres agricoles, tout en apportant un bénéfice à ces dernières.

3 – Les trackers au service de la plante

Le développeur conçoit et construit la structure agrivoltaïque, pilote les persiennes dans le respect de la priorité agricole et réalise le suivi agronomique du projet ; l’agriculteur bénéficie d’une structure agrivoltaïque dynamique pour sécuriser ses objectifs de production, une société de projet assure les investissements de l’infrastructure et bénéficie des revenus de la revente d’électricité. Le pilotage des persiennes est toujours fait au profit des plantes, la production électrique est un bénéfice secondaire. Le modèle de développement actuel nécessite d’être lauréat aux appels d’offre de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour obtenir un tarif d’achat de la production électrique.

4 – Les appels d’offre de l’Etat pour les contraintes économiques liées aux innovations

L’État a chargé la CRE d’organiser des appels d’offres pour réguler la production d’énergie renouvelable bénéficiant du soutien de l’État. La centrale agrivoltaïque de Tresserre a bénéficié du troisième appel d’offre lancé en 2014 et portant sur la réalisation et l’exploitation de centrales solaires au sol.

L’agrivoltaïsme sur le domaine viticole de Nidolères, pratiques agricoles et paysages en question

1 – Un système innovant améliorant les rendements agricoles

Le programme de recherche Sun’Agri3 financé par le PIA Ademe permet de financer les expérimentations menées sur le site de Nidolères. Il bénéficie d’un tarif d’achat particulier, avec des subventions classique de centrales au sol, et d’un complément de subvention attribuées par la Région Occitanie pour couvrir le surcôut lié au déploiement d’une première structure. Le but est d’atteindre le coût des centrales photovoltaïques au sol d’ici cinq ans. Le développeur propose des systèmes mobiles selon un seul axe de rotation des panneaux d’est en ouest. Le pilotage infra-journalier effectué par Sun’Agri est réalisé au moyen d’algorithmes qui intègrent les modèles complexes de croissance des plantes, les modèles de comportements hydriques des plantes, les modèles de prévisions météorologiques et un logiciel d’optimisation du positionnement des panneaux. Le système de tracking des panneaux permet de les incliner suffisamment pour laisser un maximum de lumière disponible à la culture selon les besoins, retrouvant ainsi des conditions de plein champ. Le pilotage se fait en fonction de la plante et non pas du soleil. Ce n’est pas une simple cohabitation entre production énergétique et production agricole, mais un réel service rendu par les panneaux pour la plante. Le système est imaginé comme aidant la croissance optimale de la plante. L’avantage du système, c’est qu’il n’est pas en concurrence avec la plante. Il permet d’éviter une trop forte évapotranspiration, en maintenant l’humidité et l’ombrage en période de forte chaleur.

2– Les parcelles agricoles et les recettes énergétiques

Pour le projet des vignes de Tresserre, le propriétaire et exploitant du domaine a mis à disposition ses terrains. Le développeur Sun’R Groupe a investi. Pour leurs prochains projets d’agrivoltaïsme, le développeur Sun’Agri, filiale du groupe Sun’R créée en 2019, ne sera plus producteur d’énergie mais prestataire de service de développement et de pilotage des projets. Le bail de mise à disposition des terrains est de 30 ans. Le choix de la parcelle est fait par la volonté de l’agriculteur de présenter une parcelle de faible pente, car les panneaux ne s’adaptent pas à des topographies à forts dénivelés. L’agriculteur produit trois cépages : le marcelan rouge, le grenache blanc et le chardonnay blanc. A côté de la parcelle en agrivoltaïsme de 5 ha, se trouve une zone témoin de 2 ha avec le même alignement et les mêmes cépages pour permettre la comparaison.

3 – Les étapes du projet et l’objet construit

Le projet se fait en plusieurs étapes :

1 – Le travail du sol 2 – La structure des panneaux 3 – Un nouveau travail du sol 4 – La plantation des vignes sous la structure et sur la zone témoin (le système ne s’adapte pas pour l’instant à des vignes déjà plantées).

La structure supportant les panneaux est construite à 4 ou 5 m au dessus du sol, de telle sorte qu’elle permet aux machines agricoles de circuler entre les cultures. Le système est implanté grâce à une technologie de pieux frappés en acier sans impact sur les sols, le démantèlement futur est facilité et la pollution des sols est minimisée. Le site est peu visible dans la plaine, il y a cependant de nombreux points de vue depuis les coteaux du massif des Aspres. La question du paysage a été très peu prise en compte pour ce projet. Lorsqu’on le voit depuis le lointain, le site paraît déconnecté de ce qui l’entoure. De près, les structures techniques des panneaux en hauteur prennent une place imposante

4 – La production énergétique

L’électricité produite est retransmise sur le réseau électrique. Des lignes passant à proximité ont été légèrement déplacées afin de se connecter à la production de la parcelle en agrivoltaïsme. La puissance installée est de 2.1MW pour l’installation générale. Un transformateur a été implanté, avec un groupe électrogène et des onduleurs. Il est patent que celui-ci n’a pas bénéficié de conception paysagère, et que son installation a uniquement fait l’objet d’une réflexion technique.

5 – Des problématiques de modèle agricole et de paysage

Ce projet unique fonctionne avec un modèle agronomique de vignobles cultivés selon des normes AOP. L’outil technologique de persiennes développé par Sun’Agri est adapté pour des parcelles agricoles allant de 3 à 6 ha, représentatives de filières agricoles ciblées, c’est à dire la viticulture, l’arboriculture et le maraîchage qui ont besoin d’ombre. La question du modèle agricole serait ici à interroger. On peut se demander comment faire évoluer des normes AOP plus soucieuses d’environnement, moins fondées sur les intrants et la monoculture.

6 – Un manque d’études paysagères

Pour ce projet, il y a eu peu de contestations locales, sans doute parce que la parcelle est éloignée des habitations. La Chambre d’agriculture, qui réalise le suivi agronomique du projet depuis la mise en service, a émis des doutes au départ de la démarche.

C’est également la cas de la Préfecture. « Nous nous sommes surtout intéressés aux problématiques agronomiques et techniques, et nous avons relégué au second plan les questions d’esthétique et de paysage. Pour nos prochains projets lauréats de la CRE, nous allons approfondir et mettre en place des actions d’intégration paysagère » Anne-Lise Salomé, Responsable des relations institutionnelles chez Sun’Agri Le dépôt du permis de construire du projet de Nidolères s’est fait uniquement auprès de la mairie. Le projet a été instruit en tant que projet agricole et non pas comme un projet énergétique. Il n’y a pas eu d’étude paysagère pour ce projet et cela se voit. Cela aurait été obligatoire si le dossier était passé par les procédures classiques d’instruction par l’Etat. Seule une étude d’impact environnemental a été réalisée, révélant en synthèse un impact faible dès 1 km. Néanmoins les temporalités des demandes de subventions agricoles (1 an maximum pour les subventions à l’achat des plants) et les temporalités des études d’impact nécessaires aux dossiers instruits en préfecture (souvent plusieurs années) ne sont pas les mêmes ; une procédure sur le temps long n’est donc pas forcément adaptée aux contraintes agricoles.

Les futurs de l’agrivoltaïsme, entre volonté d’innovation et problématiques écologiques globales

1 – Développements du modèle

Lors de la première phase de présentation des projets d’agrivoltaïsme (salons agricoles, campagnes de communication, etc.), ce sont les exploitants agricoles, dont les cultures sont impactées par les changements climatiques qui sont venus à la rencontre de Sun’Agri. Actuellement, l’entreprise fait fonctionner, en plus de Tresserre, six dispositifs expérimentaux pour acquérir des données et alimenter les modèles. Le but, d’ici quelques années, est de bénéficier du contrôle d’une intelligence artificielle. Du côté du domaine de Nidolères, l’exploitant reçoit la visite de nombreuses personnes intéressées par le projet d’agrivoltaïsme avec panneaux mobiles. Il possède également une auberge, qui fonctionne très bien grâce à sa communication sur le projet, et il compte mettre en avant le modèle lors de la vente de ses premières bouteilles de vin cultivées en agrivoltaïsme.

2– L’avenir des vignes

L’Institut National de l’Origine et de la qualité (INAO) surveille les appellations viticoles de façon stricte. La notion de terroir n’inclue pas que le sol, mais bien l’ensemble du micro-climat. Pour le projet de vigne en agrivoltaïsme de Nidolères, il est possible que celui-ci ne passe pas les contrôles d’appellation, car plusieurs facteurs (hydrologie, ombrage, vents, etc) seront modifiés. Pourtant, il semble aujourd’hui nécessaire de faire évoluer les pratiques viticoles, sous forte pression face au réchauffement climatique.

« Il faut prendre des mesures sur le pourtour méditerranéen car il y a une forte baisse de rendement à l’heure actuelle ; le vin est au plus bas. » Pierre Escudié, exploitant et propriétaire du domaine de Nidolères.

3 – Evolution des paysages en 2050

Le projet de Tresserre pose de nombreuses questions en termes de paysage et de développement territorial. Certains acteurs (Région, Département, etc) s’interrogent sur l’avancement de l’agrivoltaïsme, notamment sur les terres viticoles. L’évolution, si elle était massive, pourrait conduire à transformer des paysages considérés aujourd’hui comme peu artificialisés en des paysages d’aspect industrialisé. Mais on peut aussi imaginer que le passage d’une partie des vignes à l’agrivoltaïsme s’opère dans un cadre de projet de paysage intégrateur, favorisant une mutation de pratiques viticoles plus vertueuses en termes environnemental, moins consommatrices d’intrants et facilitant l’adaptation au changement climatique.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402