Fiction n°2 : Agence de mobilité et combinat maraîcher dans l’agglomération nantaise

Remi Dormois, marzo 2013

Cette fiche est issue d’un extrait des travaux du groupe « les métropoles » animé par Gilles Pinson, Professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon, et Max Rousseau post-doctorant au laboratoire RIVES (ENTPE), dans le cadre de la démarche « Territoire 2040 » de la DATAR.

Elle propose un exercice de prospective de l’agglomération Nantaise, au travers du phénomène de l’archipole.

21 juin 2040…

Thomas ne peut retenir une larme en regardant le président de la communauté urbaine de Nantes et le commissaire à la réindustrialisation couper le ruban qui inaugure la nouvelle usine Heuliez de Bouguenais qui fabriquera des drones solaires. Thomas est un ancien d’EADS. Il a travaillé toute sa vie dans ces lieux mêmes où aujourd’hui on célèbre le démarrage d’une nouvelle activité. Il fut l’une des premières victimes de la décision d’EADS de fermer tous ses sites de production européens après que les actionnaires publics soient devenus minoritaires dans le capital de l’entreprise en 2027. Cette décision fut à l’origine d’un mouvement politique profond qui a secoué l’Europe pendant plus de dix ans et qui a conduit à une réorientation totale des politiques économiques à la fois communautaire et nationales. Le protectionnisme et la planification économique, et parfois même les nationalisations, sont revenus à l’honneur. A ces freins politiques à la mondialisation, se sont ajoutés des freins énergétiques puisque le renchérissement des énergies fossiles a conduit à une forme de relocalisation des systèmes de production et d’échanges.

Si l’État français et l’Union Européenne ont largement contribué à ce revirement politique, ce sont les gouvernements métropolitains qui l’ont concrètement mis en œuvre. En lien étroit avec la Chambre de commerce, la communauté urbaine de Nantes a lancé à partir de 2033 une grande réflexion sur les secteurs industriels qu’elle pouvait contribuer à relancer. La chose n’a pas toujours été facile car si la qualité de l’appareil nantais d’enseignement supérieur et de recherche a pu être mise au service de cette politique industrielle métropolitaine, le renchérissement des matières premières et la fermeture de nombreux marchés à l’export du fait de la levée de barrières protectionnistes un peu partout dans le monde ont coûté la vie à un certain nombre d’entreprises. Toutefois, dans ce contexte de « déglobalisation », l’économie nantaise a su reconstituer des niches exportatrices. Ainsi, le savoir-faire nantais en matière d’aéronautique, de matériaux et de télédétection a-t-il permis l’ouverture de cette usine de drones utilisés indifféremment pour la surveillance des zones urbaines sensibles, le comptage des kilomètres parcourus par chaque véhicule et le repérage policier des contrevenants qui auraient dépassé leur quota ou pénétré des zones interdites aux véhicules individuels.

Car si les pouvoirs métropolitains sont devenus les acteurs forts de l’économie métropolitaine, au travers des politiques industrielles, de soutien à l’innovation et de formation, ils sont aussi devenus les principaux opérateurs de la police environnementale. Si Nantes a, comme d’autres villes en France et en Europe, négocié le tournant du néokeynésianisme et de la démondialisation, elle a aussi opéré un net virage néo-hygiéniste. Ce ne sont pas seulement les dégâts de la mondialisation qui ont conduit à un retour en force des pouvoirs et des régulations publics, mais aussi l’urgence environnementale. Du coup, des politiques de planification extrêmement contraignantes pour les communes et les particuliers ont orchestré l’arrêt de l’étalement urbain et la redensification des centres existants. Mathurin, le fils de Thomas, travaille aujourd’hui à l’agence métropolitaine des mobilités installée à la pointe de l’Ile de Nantes qui gère à la fois le réseau des trams-trains reliant les centres densifiés et le réseau des trams-fret, mis en place avec l’aide des techniciens des villes néerlandaises et qui alimente les commerces de proximité depuis les plates-formes logistiques de Cheviré et du Grand Blottereau ainsi que les combinats maraîchers du pourtour de la ville. C’est aussi l’agence qui autorise l’accès à ces centres aux véhicules des particuliers qui se sont acquittés de leur redevance d’accès et qui gère les comptes mobilité de l’ensemble des habitants de la métropole.

A l’heure du déjeuner, Thomas et Mathurin se retrouvent à la gare de tram-train de Pirmil. Leur regard est attiré par la fumée qui s’élève de la friche hospitalière de Saint-Jacques. La police métropolitaine a dû encore raser le bidonville que, régulièrement, des familles de sans-abris construisent et reconstruisent. Ces familles ont dû quitter les maisons individuelles qu’elles habitaient dans les communes périurbaines du Sud Loire et qui ont été rasées pour laisser la place au maraîchage et aux multiples parcs naturels créés par l’autorité métropolitaine. Incapables de se loger dans le centre de la métropole du fait du renchérissement des loyers lui-même dû aux normes environnementales appliquées à l’habitat, ces familles n’ont eu d’autres recours que cet habitat de fortune, dans l’attente hypothétique de la livraison d’un nouveau quartier de logements sociaux à Saint-Sébastien-sur-Loire dont le gouvernement métropolitain peine encore à réunir les financements. Mais, Thomas et Mathurin n’ont pas le temps de s’attarder. Ils ont rendez-vous avec Marie, la sœur de Mathurin, qui travaille dans le combinat maraîcher métropolitain qui organise le ravitaillement en denrées fraiches de la métropole sur la base des principes des circuits courts, aujourd’hui généralisés. Le combinat est localisé à Saint-Julien de Concelles. Pour s’y rendre, Thomas et Mathurin ont décidé d’utiliser la voiture électrique dont ils ont fait l’acquisition ensemble. Arrivés au parking en silo de Pirmil, quelle n’est pas leur surprise quand ils se retrouvent dans l’impossibilité de démarrer leur véhicule. Thomas comprend vite : son père a encore oublié de recharger son crédit mobilité.

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DATAR. 2010. Territoires 2040, aménager le changement

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