Une conception renouvelée de la vulnérabilité des usagers

Nacima Baron, 2014

« Vulnérabilité » est un mot apparu tardivement dans la langue française (18e siècle), qui dérive du latin vulnus (blessure). Il est préférable d’utiliser le terme comme un adjectif attribut d’un sujet, plutôt que comme un substantif (qui recouvrirait toute l’identité du sujet). En effet, il n’y pas des catégories d’êtres vulnérables et d’autres invulnérables, mais des personnes en situation temporaire ou permanente de fragilité, de précarité, dotées d’insuffisances ou d’imperfections qui, de ce fait, sont davantage exposées à une source de danger potentiel ou effectif. C’est le croisement des caractéristiques propres de la personne (ses facultés et capacités physiques et mentales) et des caractéristiques de la circonstance (le lieu, le moment, l’environnement physique et le comportement des autres usagers) qui contribuent à produire ou non une situation vulnérable dans l’organisation de la circulation sur une voie ou une route.

Notre société européenne, qui a construit au lendemain de la seconde guerre mondiale l’État-Providence et des systèmes d’assurance universelle (contre la maladie, le chômage …) a pris une nouvelle orientation avec le vieillissement de la population qui est née à l’époque du baby boom. La notion de care, c’est-à-dire du soin, de l’attention à autrui s’affirme comme une injonction politique et même morale. Plus encore, notre société segmente assez naturellement, au nom de raisons apparemment bonnes (la lutte contre l’insécurité routière par exemple) et classifie a priori des collectifs humains comme étant soit relativement plus vulnérables, soit même absolument et systématiquement vulnérables. On compte dans ces populations les enfants (mais jusqu’à quel âge exactement ?), pour qui le développement de l’usage de la voiture a sonné le glas de la rue comme espace de jeu, du fait des enjeux de sécurité. On compte aussi les personnes à mobilité réduite, dont le nombre est souvent sous-estimé dans la mesure où on englobe, bien au-delà des handicapés moteurs en fauteuil roulant, tous ceux qui traversent l’espace public avec des poussettes, des déambulateurs, ou même des paquets ou des valises encombrantes, ainsi que les malvoyants et malentendants. On peut intégrer dans ces collectifs de personnes vulnérables les « seniors » (à partir de classes d’âge variables, entre 70 ans et plus en général), et même, enfin les piétons et les cyclistes, ainsi que les usagers de deux roues motorisés. Cette définition extrêmement large, et mouvante selon les structures institutionnelles, les lobbies, les époques, montre les limites d’une vision absolue et essentialiste : pour un peu, seraient vulnérables tous ceux qui n’utilisent pas les transports automobiles et les transports collectifs lourds.

Une fois ce questionnement posé sur les différentes manières (et dérives possibles) d’une définition trop rigide de la vulnérabilité, il est quand même évident qu’il faut produire une définition opérationnelle. A ce titre, la notion de vulnérabilité a à voir avec des caractéristiques objectives, et elle englobe alors les usagers mal protégés (« démunis de protection extérieure et… souvent mal perçus par les autres usagers de la route » CEMT Rapport OCDE 2000). Cette définition plus limitée est quand même intéressante, car elle souligne que la vulnérabilité est affaire d’état en même temps que de perception personnelle (et/ou des autres usagers). La perception et la représentation des dangers potentiels de la circulation (risques corporels liés à une collision ou peur de la chute, sensation d’exposition à des polluants nocifs, sentiment d’insécurité dans un environnement urbain anxiogène, incapacité à fuir ou se défendre) comptent dans la perception du danger, et dissuadent souvent les citadins plus ou moins âgés non automobilistes de sortir à pied ou d’utiliser un vélo. Ainsi, le renoncement aux mobilités actives et quelquefois aux mobilités tout court touche une part non négligeable de personnes dans les grandes cités, lorsque les aménagements de voirie permettant leurs déplacements ne sont pas mis en place. Dans ce cadre, les vulnérabilités physiques, fussent-elles imaginaires et objectivement non invalidantes, peuvent produire des situations de solitude voire d’exclusion sociale, elles peuvent accentuer la précarité sanitaire de la personne concernée. La vulnérabilité est donc, finalement, multiforme et cumulative. Pour mieux connaître ses contours, qui sont au croisement d’un construit social et de faits objectifs (les accidents routiers), nous proposons un point sur les deux entrées avant de faire apparaître les avancées collectives et les progrès restant à réaliser.

1. Comment évolue l’accidentalité des piétons et cyclistes dans les villes ?

Beaucoup de chiffres, beaucoup de conflits et de débats entourent le monde de la sécurité routière. On peut montrer que l’accidentalité des piétons et des cyclistes (mais aussi des deux-roues et des automobilistes) a connu une régression constante depuis les chiffres très élevés des Trente Glorieuses (1945 – 75). Ces progrès généraux ont été associés à divers facteurs : facteurs techniques, puisque les véhicules qui sortent des usines sont aujourd’hui beaucoup plus sûrs et mieux équipés ; facteurs psychologiques, puisque la tolérance sociale et individuelle aux accidents mortels a beaucoup régressé ; facteurs réglementaires et politiques, avec le port obligatoire de la ceinture, les limitations de vitesse en ville et hors des villes, et le déploiement de radars, ainsi que la sévérité des contraventions et des jugements des délits, le système de permis à points ; facteurs économiques (prix du carburant) et environnementaux (pollution aux particules) qui conduisent beaucoup d’automobilistes à adopter un style de conduite plus souple et apaisée ; et enfin, peut-être, facteurs anthropologiques, comme le côté dépassé de la toute-puissance mécanique, et le rejet social dont font preuve dans notre société le culte de la vitesse et la violence au volant.

Ces considérations émises, on retient pourtant qu’en 2011, 519 piétons ont été tués en France dans des accidents routiers, alors qu’ils étaient 548 en 2008, la majorité en milieu urbain (381). De leur côté, le nombre de cyclistes tués en France est passé de 141 en 2011 à 155 en 2012, soit une hausse de 10 %, néanmoins, le taux de mortalité cycliste reste à 4 % du nombre des tués sur les routes, ce qui est comparable à la part modale du vélo dans la circulation générale.

Les déplacements pédestres et cyclistes sont-ils plus accidentogènes que les autres déplacements et dans quelle proportion ? Placer le risque à vélo en regard des autres risques, c’est mettre en regard les données des forces de l’ordre (BAAC) et des données d’exposition (liée à la mobilité) qui proviennent de l’Enquête Ménages et Déplacements (EMD). Lorsqu’on rapproche ces données, le taux d’incidence d’être blessé pour les cyclistes est ainsi 8 fois plus élevé que celui des automobilistes, 20 fois plus que celui des piétons. Le taux d’incidence des décès pour les cyclistes est 3 fois plus élevé que celui des automobilistes, et 4 fois plus élevé que celui des piétons. Au total, le risque d’accident corporel (toutes gravités confondues) est faible chez les piétons, mais plus fort chez les cyclistes, ceci étant lié au fait que la présence et la gravité des blessures dépendent directement de l’énergie dissipée lors d’un choc, et que l’énergie dissipée est proportionnelle à la masse et à la vitesse au carré des véhicules et personnes impliquées.(Blaizot et al., 2012)

Pourtant, une note positive doit être relevée en comparant l’évolution de ces risques d’accident. Entre 1996 et 2006, le nombre de déplacements à vélo a été multiplié par 2 et le nombre brut de blessés est resté stable : cela montre que l’augmentation de la pratique des modes actifs a des effets positifs en matière d’accidentalité. Plus il y a de vélos et de piétons sur une voie et plus, instinctivement, le conducteur de l’automobile prend des précautions. Un autre aspect positif à rappeler est que, majoritairement, un accident associant un piéton ou un cycliste ne met pas en cause sa responsabilité. Ainsi, à l’origine de 38% des collisions automobiles-cyclistes, il y a un dépassement ou un changement de direction de l’automobiliste. La plupart des accidents surviennent du fait d’un trafic trop important, d’une mauvaise sécurisation des liaisons cyclables ou d’un aménagement inadéquat des intersections. Quand ce n’est pas le cas, c’est bien souvent une banale inattention du conducteur qui explique le drame : par exemple, un tiers des accidents de vélo en ville sont le fait d’une portière ouverte côté rue sans que l’automobiliste ait regardé dans le rétroviseur. Aussi l’attention que les usagers de la route s’accordent entre eux et un partage cordial de la voirie restent les facteurs clés qui diminuent la vulnérabilité. Pour progresser encore vers plus de sécurité routière, la visibilité des cyclistes et des piétons sur ce qui les entoure, et la nécessité qu’ils soient visibles par les autres usagers de la route est primordiale. D’ailleurs, les périodes où on recense le plus de cyclistes accidentés correspondent à la fin de l’après-midi et au début de soirée, c’est-à-dire à des périodes de moindre luminosité, ce qui est à relier au problème du manque de visibilité des bicyclettes en raison du gabarit mince de l’engin et de sa faible capacité à délivrer de nuit un éclairage efficace.

Les assez bons chiffres de l’accidentalité cachent des oscillations selon les lieux, les années, les collectifs impliqués et, bien sûr, créent des controverses. Ainsi l’introduction des Vélib à Paris, en 2007, a donné lieu à un débat nourri autour des données d’accidentalité, car les opposants à ce service proposé par la Mairie de Paris faisaient des prévisions apocalyptiques. Il y a eu effectivement des morts, côté vélos et des blessés côté automobilistes et piétons, mais dans des quantités relatives, et qui sont en baisse tendancielle, ce qui prouve qu’un apprentissage collectif s’instaure. D’autres débats se sont créés autour de l’ouverture des couloirs de bus en site propre aux vélos, puis autour de l’accessibilité donnée aux vélos sur les voies de tramways quand elles ne sont pas végétalisées. Des agglomérations moyennes comme Orléans, Tours, Brest, Montpellier, et Amiens et les collectifs comme la Fédération des usagers de la bicyclette ont également participé à cette réflexion qui fait l’objet d’une fiche de cas spécifique (Cohabitation Vélo-Tramway dans le centre-ville d’Orléans).

Enfin, l’accidentalité évolue positivement en Europe mais négativement dans le reste du monde, du fait de l’effet ciseau abordé dans Les circulations et partage modal, d’hier à aujourd’hui et de la croissance extraordinaire du parc automobile dans les pays émergents, et notamment en Chine. Avec plus de 144% d’augmentation entre 2000 et 2020, l’Asie du Sud devrait être la région où le nombre de décès imputables aux accidents de la circulation connaîtra la plus forte croissance. La situation est déjà inquiétante : selon une estimation de la Banque Asiatique de Développement, la région Asie/Pacifique comptabilise aujourd’hui 14% du nombre total de véhicules dans le monde pour 44% des décès de la route. Dans d’autres pays asiatiques où la demande de mobilité s’accentue rapidement du fait de l’industrialisation, mais où les transports collectifs sont insuffisants ou inexistants, et les automobiles encore inaccessibles à la majorité des classes moyennes, les deux-roues motorisés connaissent une croissance fulgurante et induisent une forte hausse des accidents. Une étude souligne que la prolifération des deux-roues motorisés crée un problème de santé publique nouveau et important. En effet, il existe une corrélation entre l’augmentation du nombre des véhicules et la hausse des accidents de la circulation et des traumatismes qui en résultent. Ainsi, entre 2000 et 2005, le nombre de motos dans la Préfecture de Vientiane a augmenté de 73% et les voitures, pick-up, minibus et jeeps confondus de 121%, ce qui a multiplié le nombre d’accidents par 3,2 et le nombre de décès par 2,3. D’après une enquête menée en 2006 aux urgences de l’hôpital de Vientiane, sur 542 personnes, 84% individus accidentés circulaient à moto, 7% étaient des piétons, 2% roulaient à bicyclette. D’après le fichier des accidents mortels constatés cette année-là, 80% des morts se déplaçaient à moto, 13% étaient piétons, 4% à bicyclette. La dangerosité des deux-roues est donc une réalité pour les motards comme pour les autres usagers.

2. Comment répondre aux besoins des déficients moteurs et psychiques dans la mobilité quotidienne, et plus généralement aux risques liés au vieillissement ?

Une section spécifique de cette fiche doit être réservée à la question de la vulnérabilité des personnes à mobilité réduite sur la chaussée et dans la circulation. D’abord, d’après la loi française du 11 février 2005, « constitue un handicap toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé handicapant (article 2) ». Avec cette loi intitulée « L’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, on est passé d’une vision individuelle, dans laquelle le handicap était le problème d’un individu donné caractérisé par une déficience, avec la présupposition que c’était à l’individu de s’adapter, à une nouvelle vision dans laquelle c’est de la responsabilité de la société de réduire des obstacles au nom de l’égalité et de l’universalité des droits. La loi aborde la question des transports dans les articles 19 et 45 et considère qu’une bonne gestion de la chaîne du déplacement doit permettre aux personnes handicapées et à mobilité réduite d’avoir un accès au cadre bâti, à la voirie, aux espaces publics, aux transports et à leur intermodalité (article 45). La loi a entraîné la constitution de commissions communales pour l’accessibilité (article 46) et conduit à la rédaction du schéma directeur d’accessibilité qui est partie intégrante du plan de déplacements urbains PDU (voir [La coordination transport - urbanisme->9304]), fixant une programmation des travaux nécessaires (rampes inclinées, par exemple). Si les autorités organisatrices de transport ont eu l’occasion de travailler avec ces collectifs (ou avec des collectifs plus spécifiques, comme les malvoyants, les associations de prise en charge des déficients mentaux, etc.) et si les collectivités (mairies et intercommunalités en général) ont lancé à partir de 2005 des opérations de remodelage de l’espace urbain qui préviennent les accidents, renforcent l’identification et la délimitation de zones où il faut « négocier » des passages spécifiques, il reste encore un important travail à réaliser sur deux plans. Il est évidemment possible de poursuivre et d’amplifier les aménagements de mise en accessibilité, alors que l’État a été contraint de reporter plusieurs fois la date limite de 10 ans après 2005, tant la tâche est gigantesque. Il est également possible de progresser sur la notion d’incidence d’accident, en soulignant qu’avec le vieillissement de la population, l’augmentation tendancielle du nombre de personnes concernées, leur plus grande propension à sortir, à travailler, il est possible qu’il y ait une augmentation des blessures créés par de petits incidents (liés au mauvais état du sol, aux ruptures de niveau, aux petites marches, aux escaliers non signalés…). (Marin-Lamellet C., et Sellam S., 2010)

Aussi, il ne faut pas traiter de manière trop cloisonnée les différents types de déficiences. D’ailleurs, au-delà des handicapés physiques, la focalisation des médias sur les avancées et les limites de l’application de la loi Accessibilité de 2005 a laissé dans l’ombre un autre collectif bien difficile à évaluer numériquement, qui englobe les personnes atteintes de troubles psychiques et cognitifs, et pour qui le fait de se repérer dans l’espace, de suivre une signalétique, de réserver un vélo en libre service ou de concevoir une chaîne de déplacement impliquant l’achat d’un billet auprès d’un automate constitue une série d’épreuves insurmontables. Le développement de solutions digitales pour la recherche d’itinéraire et l’achat des moyens de transport suppose souvent la possession d’un smartphone et de moyens de paiement par carte qui requièrent la mémorisation de codes numériques. L’étude « Communication, information, billettique dans les transports collectifs : quelles conséquences sur l’usage par les populations âgées ?. » (Keerle R. et al., 2013) montre que ces évolutions constituent des risques non pas d’accidentalité, mais d’exclusion pour la part de la population qui ne possède pas les compétences ou qui ne peut accéder aux apprentissages nécessaires pour se prendre en main, anticiper les déplacements, coordonner les modes, arbitrer sur les coûts… Autour de ce sujet apparaît donc une autre modalité de la vulnérabilité, qui n’est pas seulement liée à une caractéristique physiologique ou cognitive, mais une vulnérabilité qui serait plus largement sociale ou générationnelle.

A ce titre, les experts s’interrogent sur le fait de savoir comment les personnes âgées, dans la société aujourd’hui et demain, vont se déplacer, et si elles sont susceptibles de renforcer leurs habitudes automobiles, ou de basculer vers des mobilités actives, ou bien si elles vont s’enfermer dans le renoncement à la mobilité du fait d’un « décrochage » avec un environnement urbain trop complexe. On note d’abord que le vieillissement concerne les automobilistes eux-mêmes. Selon l’Observatoire national de la sécurité routière et selon les travaux de l’Inrets, les accidents de la route occasionnant des blessures chez les personnes âgées surviennent une fois sur deux lorsqu’elles sont en voiture, en tant que conducteur (33 %) ou passager (16%), et un peu plus d’une fois sur trois lorsqu’elles sont à pied (38 %). Plus l’âge moyen des conducteur va s’avancer, plus leur conduite est susceptible d’occasionner des accidents, pour eux-mêmes et pour les collectifs vulnérables (piétons et cyclistes, âgés ou pas). Il faut souligner que les conducteurs âgés sont plus grièvement blessés que les autres, et qu’ils ont plus de mal à se remettre après une collision : au-delà de 75 ans, 8 % des accidentés présentent des blessures sérieuses, voire très sérieuses. Si on considère maintenant le sujet des personnes âgées du point de vue de leur position en tant que piéton, les travaux de recherche sont également éloquents. Leur vulnérabilité dépend bien évidemment de critères liés au genre, aux catégories socioprofessionnelles, et aux itinéraires de vie et à l’état de santé général. Interrogé sur ce point, le Directeur de la Voirie de la Ville de Paris se refuse à constituer a priori une nouvelle catégorie générale de « vulnérables » (l’état physique à tel ou tel âge varie énormément d’un individu à l’autre, en termes de pertes de capacité sensorielle, de baisse de la vision, de difficultés de motricité…). Mais il faut prendre en compte le fait que ces personnes ont des difficultés à gérer à la fois leurs propres mouvements et l’observation de leur environnement : aussi se font-elle parfois bousculer, prendre à défaut, alors qu’elles respectent plutôt la règle. Elles constituent les deux tiers des piétons tués sur la voirie, alors qu’elles ne forment que 15 % de la population urbaine. La solution ne passerait-elle pas autant par des normes et des coûteux travaux d’aménagement de la voirie que par un accompagnement social, c’est-à-dire l’accompagnement d’une tierce personne plus jeune, plus valide, pour une mobilité adaptée ? Des villes italiennes comme Bologne pratiquent avec succès cette solution.

L’enjeu réel de ce chapitre est de souligner la nécessité de passer d’une approche figée de la vulnérabilité à l’appréhension d’un bouquet de vulnérabilités émergentes et systémiques, qui conditionne les pratiques de déplacement dans les villes demain. Une fois cette vision plus globale partagée, il ne faut pas considérer le développement des modes actifs avec appréhension : ces derniers exposent, certes, davantage les piétons et cyclistes à des occurrences d’accidents. Cependant, la perception souvent fantasmatique du risque et la peur diffuse de la densité de la circulation ne doivent pas constituer des freins au développement de la pratique. En outre, il faut rappeler que plus on compte d’usagers de ces modes actifs, moins il y a de risques et moins il y a de perceptions du risque… ce qui montre la possibilité d’une spirale positive. Le cadre législatif fait aussi progresser tous les usagers, y compris ceux qui ne sont pas à mobilité réduite, même si évidemment il faut renforcer sa mise en œuvre. En effet la loi projette, comme par ombre portée, une attention sur des collectifs plus larges : les femmes enceintes, les personnes âgées, les jeunes enfants, les déficients mentaux, tous ceux qui présentent un état qui les expose davantage que d’autres lorsqu’ils empruntent les voies de circulation. C’est par le management de la mobilité et par l’intégration de ces collectifs dans des cercles d’écoute et de concertation que des solutions très concrètes peuvent être trouvées. Enfin, une troisième dimension de la vulnérabilité se dessine aujourd’hui, et pourra s’amplifier dans les années à venir : elle regroupe les personnes les plus faibles économiquement et les plus dépendantes de l’automobile du fait de leur habitat enclavé (quartiers populaires ou sensibles, zones rurales à faible densité, éloignées des centres urbains), ou encore les personnes qui travaillent en horaires décalés dans les villes et qui sont sans solutions alternatives à l’automobilité. La prévision d’un choc des prix de l’énergie risque de les exclure en réduisant drastiquement leur mobilité et leurs chances d’accès à l’emploi. Voici une approche de la vulnérabilité bien éloignée de l’étymologie latine (l’idée d’exposition et de blessure), et pourtant –peut-être - la plus inquiétante, car elle ne se règle pas en légiférant.

Références

Blaizot S., Amoros E., Papon F. et Haddak M. (2012)Accidentalité à Vélo et Exposition au Risque (AVER) - Risque de traumatismes routiers selon quatre types d’usagers.

CERTU (2011) Plan d’accessibilité de Voirie et Espaces Publics

Ferrand, J., & Peyronnie, K. (2006). « Les accidents de la circulation à Vientiane (RDP Lao): un enjeu de santé publique nouveau et important. » Espace populations sociétés. (2006/2-3), 287-297.

Keerle R., Legendre A., Roux N., Gonguet N., David O., et al. (2013) Communication, information, billettique dans les transports collectifs : quelles conséquences sur l’usage par les populations âgées ?. 〈halshs-00854327v2〉

Keerle R. (2012) Vieillissement de la population et transports, Séminaire Deufrako, 30 mai 2012

Marin-Lamellet C., et Sellam S. (2010) « Les usagers vulnérables en situation de mobilité urbaine ». Conférence PRAC, mai 2010.

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