Chennai, une ville indienne récupératrice d’eaux de pluie

Manuel Marin, 2013

Cette fiche présente les expériences de récupération des eaux pluviales, à Chennai, en Inde, dans un contexte d’urbanisation galopante et d’exode rural massif qui impactent négativement la ressource en eau, dans ce pays émergent.

La ville de Chennai a commencé l’expérience de récupérer les eaux de pluie il y a 10 ans. Etant donné que l’eau des sources souterraines était de plus en plus utilisée et, inversement, que l’absorption d’eau de pluie par le sol commençait à diminuer, à cause de l’expansion de la ville et de son pavement, l’intervention pour rétablir le cycle naturel de recharge des aquifères était devenue urgente et les autorités ont réagi en conséquence. Depuis l’année 2001, des systèmes de récupération d’eau de pluie ont commencé à être installés dans les bâtiments existants et exigés dans les nouvelles constructions. L’eau de pluie récupérée est injectée dans le sous-sol à travers divers mécanismes, des plus simples aux plus complexes, en compensant l’extraction et en restaurant ainsi le niveau des aquifères. Depuis la mise en place de cette stratégie, les volumes d’eau ont remonté et aujourd’hui la situation est relativement stable. L’eau qui peut être extraite est, en tout cas, légèrement salée, dû à l’intrusion de l’eau de mer pendant la période où les niveaux sont à la baisse. La nécessité de réduire la présence de composants salins dans les aquifères est donc l’un des objectifs qui reste à atteindre dans la stratégie mise en place. La plupart de l’eau collectée est utilisée pour alimenter les gisements souterrains ; la partie restante est destinée à d’autres applications, industrielles et domestiques, ce qui permet de parler d’intégration de processus dans le contexte de l’écologie industrielle.

L’épuisement de sources souterraines avait commencé à se faire sentir à partir des années 90 dans la zone de Besant Nagar, dans l’état de Tamil Nadu en Inde, dont la capitale est Chennai ; la forte migration de population rurale vers la ville et l’urbanisation rapide étant les principales causes. D’une part, l’augmentation de la demande en eau, tant d’origine domestique (un individu en ville a besoin de deux fois plus d’eau qu’à la campagne) qu’industrielle, particulièrement du secteur de la construction, ont accéléré le rythme d’extraction de l’eau des gisements souterrains. D’autre part, le développement de la ville réduisait l’extension de la surface non-pavée, empêchant le filtrage de l’eau de pluie à travers le sol et perturbant ainsi la recharge des aquifères. A cela, il faut ajouter que les précipitations dans la région tombent en forme de rafales de courte durée et d’une grande intensité, rendant l’absorption plus difficile. Au début des années 2000, la situation est devenue critique, avec 65 % de l’eau de pluie s’écoulant vers la mer ou s’évaporant avant d’être absorbée par le sol. Afin de maintenir le rythme de croissance et même d’éviter une catastrophe hydrologique, les autorités ont décidé de mettre en place un système de recharge ‘artificielle’ des aquifères. Cela dit ce système artificiel n’est pas éloigné du cycle de la nature.

À 60 ans de son indépendance, l’Inde est un pays qui fait face à d’énormes problèmes de gestion des ressources et d’aménagement du territoire. À Chennai, l’initiative de récupération des eaux de pluie a démarré lentement, impulsée par un groupe d’activistes au moment le plus grave de la crise d’approvisionnement. Le gouvernement local avait mis en place des camions citernes pour distribuer de l’eau autour de la ville et, dans la période d’été, l’eau était amenée par train depuis la ville de Neyveli, distante de 200 kilomètres. Les premiers systèmes de récupération d’eau de pluie de Chennai ont été installés dans des bâtiments appartenant aux privés, sympathisants de l’initiative, motivés par le coût relativement faible et par l’efficacité de la solution. Le gouvernement a suivi cette première expérience et des systèmes de collecte d’eau de pluie ont commencé à apparaître dans les bâtiments publics, les écoles et les hôpitaux. Le pas suivant a été l’exigence d’intégrer ce type de systèmes aux bâtiments résidentiels, anciens et nouveaux. Cette initiative a constitué un fait sans précédent en Inde et peut-être dans le monde : le raccordement au réseau d’eau et d’égouts a été conditionné à la mise en place de systèmes de récupération d’eau de pluie dans chaque bâtiment.

La « Rain Centre », un bâtiment modèle situé dans la zone de Santhome, à Chennai, offre la possibilité aux visiteurs d’apprécier gratuitement et sur place le fonctionnement d’un système de récupération d’eau de pluie à plusieurs composants. Le personnel du centre renseigne sur les modalités d’installation de ces composants et propose deux méthodes à mettre en place dans un bâtiment standard. La première est une grille au niveau du sol, au pied de la porte principale, qui capte l’eau avant qu’elle coule vers le trottoir, tout en permettant le passage de piétons et de véhicules entrants et sortants du bâtiment. Un ralentisseur peut être installé afin d’augmenter l’accumulation de l’eau et son captage. Ensuite, un tuyau souterrain transporte l’eau collectée à un petit puits de 4 à 6 mètres de profondeur (pour arriver à la couche de sable du sol) au travers duquel l’eau est intégrée aux couches profondes.

La deuxième méthode consiste en la captation d’eau de la toiture. L’eau collectée passe à travers des tuyaux fermés pour arriver jusqu’à un filtre au niveau du sol. Le filtre doit être dimensionné pour accueillir les volumes d’eau qui arrivent. A la sortie du filtre, cette deuxième méthode permet de stocker l’eau dans des réservoirs ou des puisards existants sur le terrain (s’ils sont en bon état), ou de l’injecter dans le sous-sol à travers des puits de percolation. Seuls les surplus sont injectés conjointement. Le but de cette deuxième méthode est de récupérer le plus d’eau possible pour l’usage domestique, tel que la consommation, la chasse d’eau, l’irrigation du jardin potager, etc.

Afin d’évaluer l’impact de la mise en place de ces systèmes, le projet GROWNET (Grown Water Network), une initiative conjointe de l’IUGS (International Union of Geological Sciences) et l’UNESCO, a commandé une étude à l’Anna University of Technology. Les résultats montrent que, effectivement, la récupération et l’injection de l’eau de pluie sur les couches inférieures du sous-sol entre les années 2001 et 2005 a eu un effet positif dans la recharge des aquifères. Pour arriver à cette conclusion, la recherche a analysé une série de données de la demande en eau, des niveaux de 15 puits dans la région et des millimètres de pluie tombée dans les années avant et après la mise en place des systèmes de récupération d’eau. La recherche a mis en relation toutes ces variables selon la règle suivante : l’augmentation du niveau d’eau dans un puits d’une année à l’autre, moins la consommation, doit s’expliquer par la recharge du puits au cours de telle année. Cette équation a permis de déterminer le taux de recharge des aquifères et d’observer que, de 0,36 mètres cubes par m2 en 1995, il était passé à 0,65 en 2005, quatre ans après la mise en place des premiers systèmes de collecte.

Une analyse qualitative de l’eau a été effectuée en même temps, pour voir si la recharge des aquifères par la méthode d’injection d’eau de pluie affectait favorablement la composition de l’eau dans les sources. Des échantillons d’eau ont été pris régulièrement à partir de 11 puits distribués dans la ville de Chennai, entre novembre 2004 et avril 2005, période durant laquelle les systèmes de récupération d’eau de pluie étaient en fonctionnement. Ces échantillons ont été remis au laboratoire de chimie humide de l’Anna University, où a été effectuée la mesure de paramètres de qualité. La comparaison des mesures obtenues selon les rangs acceptés par la norme IS 10500-1991, a permis de conclure que l’intrusion de l’eau de mer avait causé un dommage considérable pendant l’époque où les niveaux d’eau douce dans les aquifères étaient les plus faibles ; l’ajout d’eau de pluie depuis 2001 n’avait pas contribué à améliorer cette situation. Pourtant, même si la qualité de l’eau ne la rend pas potable, sa quantité permet son utilisation durable pour d’autres fins.

La stratégie de mise en place de systèmes de récupération de l’eau de pluie à Chennai peut être qualifiée de réussite. Le problème d’épuisement des sources a pu se régler favorablement et la solution trouvée se situe dans le cadre de durabilité et de respect de l’environnement. Ce qui est remarquable dans ce cas, c’est que le système développé rétablit un cycle de la nature qui avait été interrompu par la croissance urbaine. C’est un processus qui se trouve à mi-chemin entre le naturel et l’artificiel, une sorte de « recharge assistée » des aquifères, pour laquelle très peu de matériel est nécessaire et qui permet un changement en profondeur de la ville et de la manière de vivre de ses habitants.

Références

  • Jebamalar A., Impact of rain water harvesting in Chennai city, GROWNET.

  • Chennai Metro Water

  • Chennai Rain Centre

  • Coelho J., Reddy S.K., Making Urban Rainwater Harvesting Sustainable: Lessons Learned in Chennai, India, Department of Environment, Technology and Social Studies - Roskilde University, Mai 2004.