Tunisie : une politique nationale d’efficacité énergétique

Nejib OSMAN, 2012

Collection Passerelle

La Tunisie compte parmi les pays en développement pionniers en matière de politique d’efficacité énergétique. Cette politique initiée depuis le milieu des années 1980 vise à relever trois principaux défis :

  • L’approvisionnement énergétique du pays au moindre coût.

  • L’amélioration de l’indépendance énergétique.

  • La contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Progressivement, l’efficacité énergétique est devenue l’un des principaux piliers de la stratégie énergétique du pays. En effet, avec l’augmentation des prix de l’énergie en 2004, la Tunisie a renforcé sa politique d’efficacité énergétique en mettant en place un programme ambitieux couvrant l’ensemble des secteurs concernés et privilégiant trois outils, à savoir : le dispositif institutionnel, le cadre réglementaire et les incitations financières.

L’objectif du présent article est de donner un aperçu sur la politique d’efficacité énergétique en Tunisie tout en mettant en relief les retombées positives de cette politique.

Les leviers de la politique d’efficacité énergétique

Le cadre institutionnel

La politique tunisienne d’efficacité énergétique s’est basée sur le renforcement du cadre institutionnel, avec la création de l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie (ANME)1 en 1986. L’ANME est un établissement public à caractère non administratif placé sous la tutelle du Ministère de l’industrie ayant pour mission de mettre en œuvre la politique de l’État dans le domaine de la maîtrise de l’énergie.

Le champ d’intervention de l’ANME englobe toutes les initiatives et actions visant à améliorer le niveau d’efficacité énergétique et à diversifier les sources d’énergie, telles que :

Le cadre légal et réglementaire

La politique volontariste de la Tunisie en matière d’efficacité énergétique s’est traduite aussi par la promulgation de nouvelles lois et l’adoption de textes réglementaires exprimant à la fois l’appui aux investissements dans ce domaine et l’intérêt attaché à la maîtrise de l’énergie en tant qu’axe prioritaire de la politique énergétique du pays.

Il s’agit en particulier de :

Les incitations financières et les lignes de crédit

Pour encourager l’investissement dans des projets importants de maîtrise de l’énergie, la Tunisie a opté pour les incitations publiques par le biais du FNME et l’implication des institutions financières par la mobilisation des lignes de crédits.

Le Fonds national de maîtrise de l’énergie

La loi 2005–82 constitue un pas important dans le choix d’une ressource extra budgétaire pour le financement du soutien public aux investissements de maîtrise de l’énergie. Cette loi a créé le FNME qui a pour objectif l’appui financier aux actions visant la rationalisation de la consommation d’énergie, la promotion des énergies renouvelables et la substitution de l’énergie. Ce fonds est géré par l’ANME et est alimenté par des taxes issues de la première immatriculation des voitures de tourisme dans une série tunisienne et de l’importation ou de la production locale d’appareils pour le conditionnement de l’air. Le FNME accorde des aides financières directes. Les actions éligibles sont :

Ces aides directes octroyées par le FNME sont complétées par des avantages fiscaux:

Les lignes de crédits

Pour accompagner le programme de maîtrise de l’énergie et encourager l’investissement dans le domaine de l’efficacité énergétique, deux lignes de crédits ont été mises en place :

L’Union européenne a aussi accordé à la Tunisie un don de 16 millions d’euros pour le renforcement des ressources financières du FNME et 2 millions d’euros pour la bonification de la ligne de crédit AFD.

Le programme d’efficacité énergétique

Depuis 2005, la Tunisie a opté pour une accélération de la politique d’efficacité énergétique avec un programme ambitieux s’articulant autour de multiples actions :

Les actions phares de l’ANME ont porté sur les contrats programmes, la diffusion des LBC et la cogénération.

Les contrats programmes, une mesure efficace pour le secteur industriel

Les contrats programmes représentent une activité principale de la politique d’efficacité énergétique. A l’issue de l’audit énergétique, les établissements appartenant aux secteurs de l’industrie, des transports et du tertiaire doivent signer un contrat programme pour réaliser les actions d’économie d’énergie. Ces établissements bénéficient d’une prime de 70 % du coût de l’audit et une subvention qui représente 20 % du coût de l’investissement.

L’effort le plus important a été consenti dans le secteur de l’industrie. Sur la période 2000–2011, 566 contrats programmes ont été signés dans le secteur de l’industrie.

Le bilan des réalisations met en relief l’importance des économies d’énergie et des gains financiers générés par les contrats programmes dans l’industrie. En effet, le coût de la tep économisée est estimé à 152 dinars (76 euros), alors que le temps de retour sur investissement est de l’ordre de deux ans sur la période 2004–2010.

Les actions d’efficacité énergétique dans l’industrie ont été réalisées grâce à l’accompagnement institutionnel, réglementaire, technique et financier fourni par l’ANME qui a mis en place une structure dédiée à l’efficacité énergétique dans l’industrie (Programme d’Efficacité Energétique dans l’Industrie–PEEI)

Sur la période 2005–2010, le FNME a accordé 27 millions de dinars (13,5 millions d’euros) pour appuyer l’investissement lié aux contrats programmes dans l’industrie. Le temps de retour sur investissement pour l’Etat tunisien est estimé à six mois.

L’éclairage efficace

L’usage de l’éclairage a connu une régression du taux de croissance passant de 7.7 % par an entre 1984–1989 à 2.8 % entre 2004 et 2009. Cette régression s’explique particulièrement par la forte pénétration des lampes basse consommation (LBC). Le taux d’équipement des ménages en LBC est passé de 4 % en 1999 à 26 % en 2009.

Le programme de promotion des LBC lancé par l’ANME a entraîné une baisse de la puissance appelée de l’ordre de 294 MW (Mégawatt) en 2010. Dans le secteur tertiaire, le parc a atteint 1,3 millions de LBC en 2010. Les ventes de LBC ont touché particulièrement les hôtels, les établissements de santé, les bureaux et le commerce. Les économies d’énergie cumulées générées par les ventes de LBC dans le secteur tertiaire ont permis d’éviter un appel de puissance électrique de l’ordre de 96 MW en 2010.

La cogénération

Pour accélérer le programme d’efficacité énergétique, l’ANME a créée en 2005 une Task Force cogénération qui a pour principal objectif de promouvoir la cogénération. Les principales tâches de cette

Task Force consiste à :

En 2011, la capacité installée cumulée a atteint 36.6 MW6.

Impacts de la politique d’efficacité énergétique

Baisse du taux de croissance de la demande d’énergie et pénétration du gaz naturel

La consommation d’énergie primaire est passée de 4.5 Mtep (millions tep) en 1990 à 7.9 Mtep en 2011, soit une croissance annuelle moyenne de 3 %. Entre 1990 et 2000, la consommation d’énergie primaire a évolué à un rythme annuel de 4 %, ce taux a été ramené à 1.6 % entre 2000 et 2011.

La structure de la consommation a connu un changement notable avec une augmentation de la part du gaz naturel et un repli des produits pétroliers. La pénétration du gaz naturel a été amorcée en 1995 avec l’entrée en exploitation du premier cycle combiné7pour la production d’électricité. Cette tendance s’est accélérée au milieu des années 2000 avec le développement du réseau de transport destiné à la consommation des secteurs industriel, tertiaire et résidentiel. La part du gaz naturel est passée de 26 % de la consommation d’énergie primaire en 1990 à 54 % en 2011.

Baisse de l’intensité énergétique

Sur la période 1990–2011, la consommation d’énergie primaire a connu une progression de 3 %, alors que le PIB a connu une progression de 4 % sur la même période.La déconnexion entre croissance économique et consommation d’énergie s’est traduite par une baisse de l’intensité énergétique. Cette baisse s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs :

Sur la période 1990–2011, l’intensité énergétique a connu une baisse annuelle de 1,6 %. Durant la première période 1990–2000, l’intensité énergétique a enregistré une baisse annuelle de 0.7 %, cette baisse s’est intensifiée pour atteindre 2.5 % par an entre 2000 et 2011. L’accélération de la baisse est due à un véritable changement d’échelle dans la politique d’efficacité énergétique avec la mise en place de deux programmes à savoir le programme triennal de maîtrise de l’énergie 2005–2007 et le programme quadriennal de maîtrise de l’énergie 2008–2011.

Renforcement de la politique d’efficacité énergétique : une nécessité pour la Tunisie

Malgré les efforts consentis en matière d’efficacité énergétique, le bilan énergétique national a accusé un déficit de l’ordre de 1 Mtep en 2011. Compte tenu des limites des ressources énergétiques nationales, ce déficit risque de s’aggraver durant les prochaines décennies. La Tunisie est appelée à renforcer encore plus sa politique d’efficacité énergétique de façon à agir sur la demande énergétique.

Plusieurs arguments militent aujourd’hui en faveur de ce renforcement : la réduction de la dépendance énergétique vis–à–vis des énergies fossiles, l’amélioration de la sécurité énergétique, la création d’emplois, la réduction de l’importation des énergies fossiles, l’amélioration de la balance des paiements et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Pour exploiter au mieux le potentiel d’efficacité énergétique, il est recommandé d’entreprendre les actions suivantes :

1 Consultez le site de l’ANME

2 Loi n°2004–72 du 2 août 2004.

3 Loi n°2005–106 du 19 décembre 2005

4 www.steg.com.tn

5 Esco : Energy service company

6 Soit 1 % de la capacité installée en Tunisie (Elle était de 3,4 GW en 2008)–source Enerdata (NDLR).

7 NDLR : une centrale à cycle combiné est une centrale fonctionnant au gaz naturel dans laquelle la chaleur dégagée lors de la combustion du gaz pour la production de l’électricité par l’alternateur principal est utilisée pour produire de la vapeur d’eau et entrainer un second alternateur. Ce procédé permet d’augmenter le rendement de la centrale (c’est–à–dire la quantité d’électricité produite par mètre cube de gaz burlé) de manière significative.

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