Une gestion urbaine renouvelée pour lutter contre l’exclusion

2010

Cette fiche explore le lien entre l’exclusion sociale et les quartiers informels pour essayer de réfléchir à la manière de permettre un accès universel aux services.

L’existence de quartiers dit informels ou illégaux est un phénomène structurel des villes en développement. Dans de nombreuses villes, le schéma type de l’exclusion est le suivant : « les groupes sociaux dont les revenus sont les plus bas se heurtent à des difficultés croissantes pour accéder au sol et au logement : ils tendent à être repoussés à la périphérie de grandes agglomérations ou dans des enclaves des zones centrales et péricentrales, dans des secteurs sur densifiés, dégradés. L’accroissement du prix du sol interdit pratiquement à ces groupes l’accession à la propriété du sol qu’ils habitent, du moins dans le cadre de filière formelles de production et d’attribution du sol urbain, qu’ils soient locataires ou squatters, la situation foncière de cette population est éminemment précaire. » Dans les villes du Sud, les études considèrent qu’entre 30 % et 70 % de la population peut être exclue de la ville formelle.

Face à l’échec des politiques publiques, des filières néo-coutumières se sont développées à partir des années 1990. Elles ont l’avantage de résoudre à court terme l’accès au sol et de garantir une certaine sécurité foncière. Toutefois, la principale faiblesse du système néo-coutumier est l’incapacité de produire des terrains équipés qui permettent un accès aux équipements et aux services urbains. De plus, l’intervention des pouvoirs publics dans les politiques d’équipements peut provoquer l’exclusion des populations les plus pauvres. Cette contradiction est mise en lumière par la contribution des chercheurs français à la préparation d’Habitat II : « La problématique de l’exclusion est en partie liée à celle de la gestion urbaine : la rigidité des systèmes publics formels rendent ces derniers inaccessibles à une part croissante de la population en situation de précarité. Face à l’incapacité des institutions d’inclure la totalité des habitants dans le mouvement de modernisation de la ville, la « société civile » élabore et met en œuvre des systèmes parallèles. Ces initiatives reposent d’une part sur le secteur informel, et d’autre part sur une entité infra-municipale, le quartier, espace d’organisation et de production de biens et services et espace de solidarité. C’est parce que ces initiatives s’exercent en dehors du cadre urbain légal qu’elles offrent une alternative, plus ou moins efficace, aux services publics déficients. Mais elles portent également un risque de dualisation sociale et spatiale (ville formelle/ville informelle), surtout si l’Etat et les collectivités locales se reposent sur leur succès. La recherche souligne la fragilité de ces situations et constate la difficulté de persuader les pouvoirs publics de bâtir des programmes permettant à la fois de définir un cadre politique, dans lequel se développeront les initiatives de la société civile, et de souligner la responsabilité des collectivités locales et de l’Etat, seule garante du caractère public des services urbains ».

Dès lors, la ligne est étroite pour développer une gestion urbaine qui permette une articulation entre pouvoirs publics et acteurs locaux formels et informels. Pour la Banque Mondiale, la gestion urbaine est une approche qui implique un élargissement du champ d’action des institutions multilatérales : « d’une intervention ciblée sur la population urbaine pauvres, ces dernières passent à un projet de modification des mécanismes de fonctionnement de la société urbaine dans son ensemble » et notamment du fonctionnement politique. La notion de partenariat est au cœur du dispositif mais située dans le cadre d’une démarche libérale, elle laisse une grande place aux formes de privatisations des services urbains observés au cours des années 1990. Gustave Massiah et J-F Tribillon propose de leur côté, une redéfinition de la gestion urbaine comme « une gestion directe de la ville réelle en marge des normes – en particulier d’équipement – et des procédures – en particulier de l’urbanisme et de la planification urbaine – classiques… » Ils proposent de voir la gestion urbaine comme une dé-bureaucratisation et une dé-technocratisation introduisant plus de participation dans la production de l’urbain, de telle sorte que les usagers de cet urbain aient plus d’influence sur sa production. » Le GRET a identifié certaines pistes de réflexions et d’actions pour une gestion urbaine renouvelée : « élaborer des réformes qui formalisent la responsabilité conjointe de l’Etat et des municipalités dans l’effort d’aménagement, définir des règles et procédures qui impliquent les acteurs sociaux, mettre en œuvre des opérations qui prennent en compte les besoins et contraintes des populations qu’elles ciblent, » Dans le même sens, Alain Durand Lasserve a proposé de s’intéresser à l’ensemble des filières et pratiques qui empruntent à la fois aux logiques formelles et informelles : « ces pratiques sont extrêmement souple, susceptibles d’épouser fidèlement les contours de la demande, même faiblement solvable ; elles sont évolutives, enfin, permettant de passer, selon la conjoncture, d’une forme d’intervention à une autre ».

L’évolution des pratiques et des conceptions de la gestion urbaine a nécessité pour les pouvoirs publics d’avoir des relais, ce qui a permis notamment la reconnaissance de nouveaux acteurs comme les ONG. Cette transformation a été de pair avec l’évolution des systèmes de régulation publiques liée notamment aux politiques de décentralisation et de développement municipal, soutenues par des programmes des agences multilatérales. C’est théoriquement sur les pouvoirs locaux que reposent désormais la capacité à gérer la ville et réguler les conflits qu’elles génèrent. Cette évolution a été une réponse à la crise de l’Etat, dans le contexte de la mondialisation. Si elle a pu paraître comme un cadre nouveau de régulation de la production des territoires urbains pour bâtir une grande cohérence et lutter contre l’exclusion, elle a également permis le développement de politiques néolibérales, sous couvert d’une technicisation des questions urbaines qui ne sont pas sans conséquences sur l’exclusion urbaine. Les travaux des membres de l’AITEC ont ouvert une voie pour repenser la gestion urbaine à l’écart des dérives des projets néolibéraux, il s’agit de ne pas la laisser se refermer.

Sources

Durand-Lasserve Alain, Le logement des pauvres dans les villes du Tiers Monde Crise actuelles et réponses, Revue Tiers Monde, n°116, 1988

GRET, Foncier, accès à l’habitat et aux services essentiels, Texte Complet

AITEC, Contribution des chercheurs français à la préparation d’Habitat II, 1995

DE PONTE Giulia, Evolution du discours sur la ville ; des institutions multilatérales d’aide au développement, Revue Internationale des sciences sociales, p 231 à 242