L’éducation en Finlande : les secrets d’une étonnante réussite

Chaque élève est important

Paul Robert, 2009

Auréolée du prestige de ses résultats aux évaluation internationales PISA (Program for International Student Assessment) de 2000 et de 2003, la Finlande était pour moi depuis bientôt 6 ans le sujet d’interrogations persistantes auxquelles n’étaient pas parvenues à répondre les informations que j’avais pu glaner au fil des conversations ou des lectures.

L’opportunité d’une visite d’étude du programme européen Arion, m’a permis de me rendre sur place en avril 2006. Organisée par M. Esa Räty, proviseur du lycée de Niinivaara de Joensuu, cette visite regroupait 18 responsables éducatifs venant de 14 pays, de la Norvège à la Turquie. Tous étaient motivés par le désir de comprendre les raisons de l’étonnant succès des élèves finlandais.

Le programme préparé par M. Räty nous a permis de visiter des établissements scolaires de tous niveaux : un jardin d’enfant, deux écoles primaires, deux collèges, deux lycées, un lycée professionnel, une université et un centre de formation continue. Nous avons également rencontré différents responsables locaux de l’éducation : Mme Janna Puumalainen, directrice des Affaires internationales de la municipalité de Joensuu, Mme Tuula Vihonen, directrice de l’éducation de Joenssu, Mme Johanna Kurki, responsable des projets européens Arion et Comenius au Bureau d’Etat de la Province orientale de Finlande.

Nous avons pu aussi discuter librement avec de nombreux professeurs et élèves ainsi qu’avec des chefs d’établissements.

Découvrant peu à peu la profonde originalité du système finlandais, nous en avons tous conçu une véritable admiration et l’envie d’en importer quelques uns de ses secrets dans nos pays respectifs.

La Finlande et PISA

Les résultats de la première étude PISA menée en 2000 furent accueillis en Finlande avec satisfaction mais aussi surprise. Certes, les finlandais avaient engagé depuis plus de 30 ans de profondes réformes de leur système éducatif. Mais ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’en constater les effets positifs de façon aussi indiscutable dans le cadre d’une étude comparative aussi vaste. Dès cette première campagne PISA, la Finlande arrivait en tête pour les performances en lecture de ses élèves parmi les 43 pays participants (les 30 pays de l’OCDE plus 13 pays associés). Elle arrivait à la 4ème place en maths et à la 3ème place en sciences. Figurant déjà parmi les tout premiers pays au monde pour l’efficacité de son éducation, la Finlande améliora encore sa position en 2003, et obtint la première place, parmi les 41 pays participants, dans les 3 matières déjà évaluées en 2000 et la seconde pour la résolution de problèmes, introduite dans cette nouvelle session.

La Finlande se pencha alors plus attentivement sur la question et publia un rapport analysant ses résultats à PISA en 2003 (ce qu’elle n’avait pas fait en 2000). Ce rapport met en évidence des caractéristiques dont l’intérêt va bien au-delà des scores bruts. En effet les différences entre garçons et filles y sont beaucoup moins fortes que dans n’importe lequel des autres pays participants. Les garçons y réussissent certes moins bien que les filles en lecture mais la différence est nettement moins marquée qu’ailleurs. Et en maths, contrairement à tous les autres pays les filles réussissent presque aussi bien que les garçons. Autre trait remarquable : la Finlande est le pays, après l’Islande, où l’impact des disparités sociales sur les performances des élèves est le plus faible. Très significativement, le quart le plus défavorisé, selon des critères socio-économiques, de la population d’élèves testés en Finlande se situe en mathématiques nettement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, toutes populations confondues. De la même manière, les différences entre établissements sont, là encore après l’Islande, les plus faibles de tous les pays évalués..

Autre enseignement remarquable de l’étude: la proportion d’élèves obtenant des résultats faibles (« low-achievers ») en mathématiques est nettement moins élevée en Finlande qu’ailleurs (6% contre 21% dans la moyenne des pays de l’OCDE). Donnée qui n’est sans doute pas sans rapport avec le fait que les élèves finlandais affichent une forte confiance en eux, en leurs propres compétences et en leur potentiel d’apprentissage. Enfin leur niveau d’anxiété par rapport à l’apprentissage des mathématiques apparaît nettement plus faible que dans les autres pays.

Ainsi il ressort de cette étude que la Finlande est un des pays au monde où les inégalités sont les mieux corrigés par l’éducation, où les différences de compétences entre garçons et filles sont les plus faibles et où les élèves ont un sentiment d’eux-mêmes très positif par rapport aux apprentissages. Il vaut donc la peine de chercher à comprendre comment ce pays a su apporter des réponses aussi pertinentes à des problèmes dont la France n’a, après 30 ans de collège unique, pas réussi à venir à bout.

Dans ce document :

Les clés du succès

A.« Chaque élève est important »

a) Un environnement chaleureux et accueillant

b) Des rythmes d’apprentissage adaptés aux enfants

c) Une détection précoce des handicaps et des troubles de l’apprentissage et des aides ciblées

d) Un taux d’encadrement élevé

e) Des élèves actifs et impliqués

f) Une liberté de choix encadrée

g) Une évaluation motivante

B. Des professeurs experts

a) Une profession valorisée

b) Un recrutement exigeant

c) Une formation initiale poussée

d) Un temps de travail modéré mais une définition de service élargie

e) Des conditions matérielles optimales

f) Une liberté pédagogique totale

g) Des professeurs experts associés à l’Université

h) Une formation continue ciblée

C. L’évaluation comme levier de changement

a) Un système en constante évolution

b) L’évaluation : une obligation légale

Le modèle finlandais peut-il s’exporter ?

Devant la remarquable réussite du système éducatif finlandais, on est bien sûr tenté de se demander si ce modèle pourrait être transposé ailleurs. Force est alors de constater que ce système en constante évolution est enraciné dans une culture marquée par le prix attaché à chaque personne, dans un pays vaste et peu peuplé, où l’habitat est très dispersé et où chacun doit apprendre à tracer sa propre voie dans un environnement hostile et à s’adapter à toutes sortes de conditions.

La langue finnoise elle-même, d’une grande complexité, est caractérisée par des déclinaisons à 14 cas! Et lorsqu’on demande la traduction d’expressions très simples on obtient souvent la réponse : « ça dépend »!

Il semble que les finlandais aient puisé dans ce terreau culturel profond leur étonnante et paradoxale capacité à élaborer un système caractérisé par un très haut degré d’organisation et par une flexibilité et une souplesse difficilement imaginable pour nous français.

Autre paradoxe finlandais : la revendication de valeurs morales et religieuses fortes, et affichées dans les discours, dans les programmes et jusque dans les salles de classes (où il n’est pas rares de voir des icônes), et parallèlement une très grande tolérance. Rien d’étouffant ni de contraint dans l’éthique finlandaise, mais au contraire le sentiment que l’affirmation de ces valeurs a essentiellement pour but de favoriser l’épanouissement de la personne.

Car c’est bien cela au fond que semble viser le système éducatif finlandais : aider chaque élève à accéder au statut de personne humaine pleinement responsable, et capable de prendre part en toute conscience à la société sans jamais cesser d’être soi-même. Contrairement aux idéaux républicains, qui, aussi généreux soient-ils, restent largement extérieurs à la personne, les valeurs morales que les finlandais promeuvent sont tissées au plus intime de l’être : l’honnêteté, la loyauté, la confiance très souvent affirmées comme essentielles par nos interlocuteurs sont des valeurs qui fondent une éthique personnelle et permettent d’envisager une société d’individus qui peuvent être pleinement eux-mêmes en respectant profondément autrui.

L’étonnante réussite de l’éducation finlandaise n’est donc pas seulement due à la prouesse d’une savante construction technocratique : elle a partie liée avec une langue, une culture, un peuple qui a fait du développement de la personne humaine dans toutes ses composantes le but de l’éducation. C’est ce qui fait que chaque élève a le sentiment d’avoir sa place, de pouvoir être lui-même et se développer librement. A ce compte, chacun peut donner la pleine mesure de ses capacités !

Malgré cette très forte « idiosyncrasie », il est cependant de nombreux aspects du système finlandais dont on aimerait pouvoir s’inspirer en France.

Sur le plan des moyens, les résistances au changement seront certainement beaucoup plus fortes. Dire que l’on peut réussir beaucoup mieux avec les mêmes moyens, n’est pas un discours généralement bien accueilli par les syndicats. La Finlande nous démontre pourtant que c’est possible. Elle a fait le choix de concentrer les dépenses d’éducation sur ce qui est vraiment au service des élèves - des taux d’encadrement élevés, des conditions matérielles optimales - et de faire des économies sur des postes qui nous paraissent incontournables : vie scolaire, inspection, administration (y compris centrale).

La Finlande a également fait la démonstration qu’un haut degré de décentralisation n’était nullement incompatible avec une très forte réduction des écarts entre territoires et que l’autonomie très grande accordée aux municipalités et aux établissements eux-mêmes était tout à fait profitable à l’amélioration générale du système.

Pour mettre en œuvre de tels changements, il faudrait assurément adopter en France une autre conception de la réforme : si l’éducation était vraiment une priorité nationale, reconnue et partagée, pourquoi un consensus, transcendant les oppositions politiques, ne pourrait-il pas se dégager qui permettrait enfin d’avancer dans une direction mûrement réfléchie, sans à-coups et sans retours en arrière ?

Références

  • Paul Robert, agrégé de lettres classiques et principal d’un collège public dans le Gard, a publié La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, 2de édition, ESF Éditeur, 2009