Evaluation de la performance du système éducatif français

Extraits du rapport de la Cour des comptes de 2021

Pierre Calame, March 2023

La Cour des comptes a rédigé en 2021 une note de synthèse de son évaluation de la performance du système éducatif français. En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne de l’OCDE, la performance du système scolaire français tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés.

Les réformes pédagogiques, l’accroissement des moyens, les résultats des évaluations sur les acquis des élèves n’ont pas encore suffisamment permis d’améliorer la qualité du système éducatif français. Environ 40 % des élèves en fin de primaire ne possèdent pas les connaissances fondamentales en lecture et en mathématiques qui leur permettraient de suivre une scolarité au collège dans de bonnes conditions. Dans les études comparatives internationales (PISA), la proportion d’élèves dans les groupes les moins performants est passée de 15 % en 2008 à 25 % en 2019, celle des élèves les plus performants 29 à 22 %.

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« Malgré de multiples recommandations, l’organisation scolaire n’a pas fait l’objet des transformations qui sont pourtant la condition d’amélioration des performances du système éducatif de notre pays, qu’il s’agisse de la capacité d’initiative des établissements, de l’usage opérationnel de l’évaluation des résultats scolaires ou encore des conditions d’exercice du métier d’enseignant dont l’attractivité continue de se dégrader en raison notamment du faible niveau des salaires, des conditions de formation, des modalités de travail et d’entrée dans le métier ». Le rééquilibrage des moyens au profit du premier degré qui aurait été décisif en matière de réussite éducative, reste lent. La dépense nationale par élève du premier degré restait en 2019 en deçà de la moyenne OCDE, celle par élève du second degré 100 % en revanche très supérieure en raison du coût élevé du lycée général ou technologique ».

Par ailleurs, « depuis 1980, une série de réformes a conduit à une diminution du temps de classe à l’école élémentaire. Annuellement, le volume total d’enseignement élémentaire pour l’ensemble des élèves était de 960 en 1980, il n’est plus aujourd’hui que de 860 ».

Les études de l’OCDE montrent « que le simple fait d’augmenter la dépense d’éducation n’entraîne ni une amélioration qualitative de l’enseignement, ni une hausse des résultats scolaires. Dans les pays dont les dépenses d’éducation dépassent le seuil de 43 300 € par élève pour le parcours scolaire entre six et quinze ans, les enquêtes PISA montrent que la relation entre dépense et performance perd de son intensité : dans de nombreux pays, le score en sciences sera quasi identique quel que soit le niveau de dépenses. C’est alors la qualité de l’organisation scolaire et sa capacité à s’adapter qui sont en jeu, ainsi que les modèles pédagogiques. La performance est désormais liée davantage à l’organisation éducative qu’à un niveau de dépenses et notamment aux conditions de recrutement et d’organisation du travail au sein des communautés enseignantes et éducatives qui en constitue le cœur. »

« Or, un constat n’est jamais démenti celui du caractère rigide, uniforme et intangible des règles qui régissent cette organisation, qu’il s’agisse de la place des écoles et établissements dans l’administration de l’Education nationale ou du cadre d’exercice du métier d’enseignant ou encore de l’importance et de l’emploi des évaluations pour piloter le système éducatif. En outre, la sélectivité des recrutements, notamment dans les matières scientifiques, est de plus en plus faible au point d’être problématique ».

« Les gouvernements successifs ont répondu aux difficultés de l’école par des réformes intervenues selon un rythme rapide portant surtout sur le cursus des élèves, en particulier dans le second degré,plutôt que sur l’organisation et le fonctionnement du système scolaire, pourtant déterminants pour accompagner le parcours des élèves. Les communautés éducatives peinent d’ailleurs à s’approprier ces réformes qui interviennent à un rythme soutenu, sans toujours prendre le temps de l’évaluation » « Cet empilement de réformes atteste certes l’attention portée au système éducatif, mais ne règle pas les difficultés ».

Les analyses comparées des systèmes scolaires comme celles que mène l’OCDE depuis maintenant 20 ans soulignent que les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d’un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leur performance et celle de leurs collègues.

« Pour produire leurs effets, les réformes pédagogiques ont besoin d’une refonte des modes d’organisation du système scolaire, touchant notamment l’autonomie des établissements et les prérogatives des chefs d’établissement. Notre système éducatif a une gestion trop centralisée et encadrée. L’école, le collège et le lycée ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour allouer les moyens en fonction d’un projet élaboré collectivement et correspondant aux besoins des élèves. L’autonomie des établissements scolaires est très encadrée, à la différence d’autres pays d Europe où le système éducatif est organisé autour des établissements. La France se caractérise par un système éducatif très centralisé lorsqu’il s’agit d’impulser une réforme, d’adapter les dispositifs éducatifs aux réalités locales, de gérer une situation de crise. Les responsables locaux sont dans une position relativement fragile. Seulement 10 % des décisions prises en matière éducative le sont au niveau des établissements, dont à peine 2 % en autonomie totale. L’OCDE place ainsi la France dans la catégorie des pays à décentralisation et déconcentration minimale alors que les recherches sur la performance éducative mettent en avant non la seule autonomie des établissements, mais la combinaison de leur autonomie et de leur responsabilisation comme un levier important d’efficacité. Une telle organisation favorise également la réduction des inégalités sociales et scolaires. Cette autonomie se caractérise en premier lieu par l’identité et le projet de l’établissement, ensuite par le travail collectif de la communauté enseignante et éducative et enfin par les chefs d’établissement disposant de prérogatives importantes. Certains pays de l’OCDE ont utilisé le système scolaire pour atténuer les inégalités. Or, en France, celles ci continuent à se creuser. De ce point de vue, la politique publique n’atteint pas ses objectifs. « 

« En dehors de son temps de cours, l’enseignant a de nombreuses activités, mais en l’état actuel du cadre réglementaire, leur intensité dépend de l’engagement de chaque enseignant. Alors que la participation des enseignants à la vie scolaire constitue un enjeu essentiel de prise en charge des élèves dans toutes les dimensions de leur vie à l’école, l’Éducation nationale ne dispose pas d’un cadre réglementaire qui engloberait le temps de travail dans l’établissement pour d’autres tâches éducatives, mais aussi pour l’accomplissement de missions indispensables à la continuité du service public. La concertation et le travail d’équipe peinent à s’installer dans les pratiques. Les raisons en sont multiples. D’abord, la formation initiale, dans le cadre du Master métiers de l’enseignement, n’accorde pas une place suffisante au travail collaboratif. Ensuite, le management est peu outillé pour favoriser ces pratiques d’autant plus que les emplois du temps des enseignants, focalisés sur les heures d’enseignement face aux élèves, est très rigide, ne comporte pas, sauf en éducation prioritaire, de temps dédié à la concertation et au travail collectif. Or, dans les pays de l’OCDE, la coopération entre les enseignants au sein d’un établissement présente une corrélation positive notable avec la performance des élèves. Ces pratiques collaboratives des enseignants sont moins fréquentes en France que dans d’autres pays. Les constats faits au cours du confinement ont révélé combien l’initiative des enseignants et des personnels de direction, est bridée par un système beaucoup trop rigide.

« La formation continue se déroule encore trop souvent sur le temps de classe au détriment des élèves et en pratique, est encore souvent perçue comme une prescription descendante, peu connectée aux besoins réels. Les crédits ouverts au titre de la formation continue ne sont d’ailleurs jamais consommés en totalité. Ils ne l’ont été qu’à hauteur de 70 % en 2019. Le ministère encourage les enseignants à se former durant les vacances scolaires. D’autres solutions seraient imaginables.

En ce qui concerne l’évaluation, la Cour des comptes a conclu qu’elle n’avait pas été conçue au sein de l’Education nationale pour devenir, grâce à elle, une organisation apprenante tirant les enseignements de ses succès comme de ses échecs. Au niveau européen se diffusentdes démarches d’évaluation des établissements et non d’évaluation des enseignants pris individuellement. De même, est encouragé et favorisé la participation de tous les acteurs du système éducatif élèves, parents d’élèves, élus au processus d’évaluation externe et d’auto d’évaluation des établissements. « Or, l’évaluation de l’établissement en tant que telle, selon une optique plus large que les résultats scolaires prenant en compte le climat scolaire, les relations avec les familles, l’orientation, etc. est longtemps restée un angle mort du système français », « une telle évaluation n’a de sens que si les établissements peuvent mettre en œuvre des projets éducatifs comportant un certain degré de diversification et différenciation de leur approche. C’est particulièrement vrai pour l’éducation prioritaire, où les efforts pour répondre au plus près au profil des publics scolarisés devraient être intensifiés. La réticence à différencier a priori des politiques éducatives pour des groupes d’élèves à l’occasion de dispositifs expérimentaux n’a pas été surmontée. »