Gaz : les nouveaux centres d’extraction d’Afrique

février 2023

Association Climate Chance (Climate Chance)

En Afrique, l’extraction gazière évolue : nombre de nouveaux sites de préproduction sont proposés dans des pays qui jusqu’ici n’exploitaient pas les combustibles fossiles. Cette tendance s’inscrit en opposition du consensus scientifique mondial qui prône l’arrêt de la construction de nouvelles infrastructures d’exploitation de combustibles fossiles

À télécharger : gem-changing-of-the-guard_french_update.pdf (700 Kio)

Le tracker de l’extraction mondiale de gaz et de pétrole (GOGET) de Global Energy Monitor (GEM) recense des données sur 421 projets d’extraction, dont 79 aux étapes de préproduction. Traditionnellement, ce sont au Nigéria, en Égypte, en Libye et en Algérie que se trouvent les réserves et les sites de production de gaz les plus prouvés. Néanmoins, les données du GOGET montrent que 84 pour cent des nouvelles réserves en préproduction se situent chez de nouveaux entrants sur le marché du gaz africain : le Mozambique, le Sénégal, la Tanzanie, la Mauritanie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Maroc. Ces nouvelles réserves se chiffrent à plus de 5 137,5 milliards de mètres cubes (mmc), qui généreraient environ 11,9 milliards de tonnes d’émission de CO2. Aussi, les répercussions potentielles sur les communautés et écosystèmes locaux alimentent l’opposition à la production sur ces champs. Sur le court terme, ces pays devraient stimuler le développement des activités gazières, car « le Mozambique, la Mauritanie, la Tanzanie, l’Afrique du Sud et l’Éthiopie représenteront plus de la moitié de la production gazière de l’Afrique d’ici 2038 ». Si tous ces nouveaux projets d’exploitation de champs gaziers sont sanctionnés, la production de gaz africaine augmenterait d’un tiers d’ici 2030. Le développement de l’extraction gazière et de l’infrastructure d’exportation nécessiterait un investissement sur site vierge de 329 milliards de dollars. Or, comme la grande majorité de ces développements de champs gaziers est destinée à l’exportation, ils n’auront que peu d’effet sur le faible taux d’électrification du continent. Le mix énergétique de l’Afrique, quant à lui, sera exposé à la volatilité des marchés du gaz. L’investissement africain dans le développement d’infrastructures d’extraction sur des sites vierges s’accompagnera certainement de graves conséquences pour la santé et l’environnement des populations locales. Le changement climatique risque de s’aggraver, alors que la capacité d’investissement de l’Afrique dans sa propre transition énergétique et l’électrification de ses communautés sera plus faible. Ce résumé présente les acteurs émergents du marché du gaz africain, les champs clés dont l’exploitation est proposée, mais aussi le coût et la structure de propriété des projets. Pour conclure, il montre qu’à cause de la destination des exportations de ces sites gaziers, l’Afrique en retirera des bénéfices très limités lorsqu’il s’agit d’offrir l’accès à des énergies propres, abordables et fiables à tous.

Nouveaux entrants sur le marché et tendances émergentes

Historiquement, l’Algérie, le Nigéria, la Libye et l’Égypte concentrent la majorité des réserves et de la production de gaz en Afrique. Selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (Energy Information Administration ou EIA), ces quatre pays réunissaient 78 pour cent des réserves gazières africaines en 2021. Entre 1970 et 2021, ils concentraient 92 pour cent de la production de gaz en Afrique. La découverte de nouveaux gisements de gaz, dans l’océan Indien, au large des côtes du Mozambique et de la Tanzanie, et dans l’océan Atlantique, à proximité de la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, a permis à de nouveaux acteurs de faire leur entrée sur le marché du gaz africain. Dans un rapport, la Chambre africaine de l’énergie décrit l’Éthiopie, la Mauritanie, le Mozambique, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tanzanie comme les « prochains centres de gaz naturel ». D’après les données de Rystad Energy, le Mozambique serait en passe de devenir le deuxième plus gros producteur de gaz de l’Afrique en s’attribuant 18 pour cent du gaz du continent entre 2020 et 2050. De son côté, Oil Change International estime que l’Algérie, l’Égypte, la Libye et le Nigéria domineront encore la production de gaz à court terme, mais que le Mozambique et d’autres nouveaux concurrents représenteront plus de 50 pour cent de la production gazière africaine d’ici 2038. Parmi les nouveaux entrants sur le marché, le Mozambique possède le plus faible taux d’électrification : seuls 30 pour cent de sa population bénéficie d’un accès à l’électricité. On observe une situation similaire en Tanzanie, en Mauritanie et en Éthiopie, où les niveaux d’électrification atteignent respectivement 40, 47 et 51 pour cent. Par comparaison avec les autres nouveaux concurrents du marché, le Sénégal et l’Afrique du Sud présentent des niveaux d’électrification relativement élevés : 70 pour cent et 84 pour cent de leur population respective ont accès à l’électricité. Malgré les faibles niveaux d’électrification et les défis de la fourniture d’une électricité abordable et fiable, les besoins du secteur énergétique sont négligés sur le plan national. La majorité du gaz issu de ces nouveaux projets n’est pas destinée à la consommation intérieure, car en préproduction, de nombreux sites d’extraction de gaz sont associés à des terminaux d’exportation de GNL. D’ici 2022-2025, l’Algérie et le Nigéria devraient être à l’origine de la majorité des volumes de gaz exportés. La Guinée équatoriale, l’Égypte, le Mozambique, le Sénégal et la Mauritanie se partageraient le reste.

Intérêt étranger pour le gaz africain

Toutes ces nouvelles explorations s’expliquent en grande partie par les efforts de l’Union européenne pour trouver des sources de gaz extérieures à la Russie. En 2021, la consommation de gaz de l’UE était issue à 90 pour cent de l’importation, dont moitié provenait de la Russie. L’Afrique, et notamment l’Algérie avec 12,6 %, représentait un cinquième des importations de gaz de l’UE. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’UE s’efforce d’atteindre l’objectif d’indépendance vis-à-vis du gaz russe d’ici 2030. Toutefois, personne ne sait combien de temps l’UE va encore s’intéresser au gaz africain. Les nouveaux entrants sur le marché pourraient donc se retrouver endettés pour des actifs difficilement utilisables à l’échelle nationale sans investir massivement dans le développement d’infrastructures. Plus de 97 pour cent des nouvelles infrastructures GNL prévues en Afrique sont construites pour l’exportation, principalement vers l’Europe et l’Asie. Selon Amos Wemanya, analyste principal chez Power Shift Africa, « de la Mauritanie au Mozambique, l’addiction aux combustibles fossiles de l’Europe motive en grande partie les nouveaux projets de GNL ». Néanmoins, conformément à la loi européenne sur le climat, l’ensemble de l’UE doit réduire la demande de gaz de 35 pour cent par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2030. En outre, « REPowerEU », le plan proposé par la Commission européenne en mai 2022, à condition d’être entièrement appliqué, impliquerait également une réduction de 52 pour cent de la demande en gaz de l’UE à l’horizon 2030 par rapport à 2019. L’intérêt actuel de l’Europe pour le gaz africain résulte clairement d’une crise de l’offre de court à moyen terme, alors que les projets de développements africains ne généreront de volumes conséquents qu’à la fin des années 2020. L’éventualité que ce gaz ne trouve pas acquéreur est donc bien réelle. Par ailleurs, la croissance pressentie du GNL asiatique ne s’est pas encore concrétisée, car les pays autrefois menacés d’exclusion du marché du GNL à cause des prix envisagent de s’y repositionner au vu de la tendance décroissante actuelle.

Projets clés des nouveaux concurrents du marché

À court terme, plusieurs projets clés devraient favoriser l’augmentation des volumes produits sur le marché du gaz en Afrique. Coral South, le premier projet d’unité flottante de gaz naturel liquéfié (FLNG) au Mozambique, a été mis en service en 2022. Après la réception d’une décision finale d’investissement, le deuxième projet, Golfinho-Atum, aussi au Mozambique, a entamé sa phase de construction. Parmi les autres projets d’extraction de gaz en préproduction figurent les projets Grand Tortue Ahmeyim, Zafarani et Mamba, respectivement situés en Mauritanie, au Sénégal et au Mozambique. Ces projets entraîneront d’importantes répercussions sur les communautés et la biodiversité locales.

Estimation des investissements nécessaires pour les infrastructures d’extraction de gaz prévues

D’après les données de Rystad Ucube, l’investissement sur site vierge placerait les nouveaux entrants sur le marché du gaz africain sur un pied d’égalité avec les acteurs historiques en termes de dépenses d’investissement dans la production de pétrole et de gaz. L’investissement sur site vierge devrait s’intensifier dans la seconde moitié de la décennie, la décision d’investissement pour nombre de projets étant attendue à cette période. Selon les données de GEM, l’ensemble des dépenses d’investissement dans les terminaux de GNL en développement s’élèverait à 103 milliards de dollars, dont 92 % financeraient les terminaux d’exportation de GNL. Les cinq principaux pays africains qui développent des terminaux d’exportation sont la Tanzanie, le Mozambique, le Nigéria, la Mauritanie et le Sénégal. À l’exception du Nigéria, tous ces pays figurent parmi les nouveaux entrants sur le marché qui aujourd’hui dynamisent l’extraction de gaz en Afrique.

Tendances de la propriété des champs gaziers en cours de développement

Les données de GEM montrent que la majorité des réserves des nouveaux champs gaziers d’Afrique appartient à des entreprises au siège social situé en Europe. Les entreprises publiques algériennes et mozambicaines Sonatrach et Empresa Nacional de Hidrocarbonetos (ENH) sont les seules entreprises africaines à se classer dans le top 10 des propriétaires de réserves de nouveaux champs gaziers africains. Si l’on combine les parts des entreprises asiatiques, nord- américaines et européennes, elles représentent plus de la moitié du volume des réserves des nouveaux champs gaziers détenus par les dix premières entreprises qui interviennent en Afrique. Les entreprises britanniques et françaises BP et TotalEnergies sont les plus gros exploitants des nouvelles réserves de gaz en Afrique. En 2021, 25 pour cent de la production d’hydrocarbures de TotalEnergies provenait de l’Afrique. Au vu de la prédominance des multinationales, la majorité des bénéfices issus de ces projets ne profitera pas au continent africain.

Conclusion

L’Algérie, le Nigéria, la Libye et l’Égypte resteront des acteurs importants de la production de gaz en Afrique, mais il est inévitable que la part des nouveaux arrivés sur le marché s’élargisse. Toutefois, de nombreux champs d’extraction de gaz en développement ne cachent pas leurs liens avec des terminaux d’exportation de GNL, qu’ils soient actuels ou nouveaux. Une grande partie du gaz issu des nouveaux projets devrait quitter l’Afrique, certainement pour rejoindre l’Europe ou l’Asie. L’investissement dans les terminaux d’exportation de GNL reste une priorité dans les pays africains, malgré la demande intérieure insatisfaite et l’accès limité à l’électricité. Tant la demande intérieure croissante de satisfaction des besoins énergétiques de l’Afrique, que l’effacement progressif de la fenêtre d’opportunité d’exploitation des marchés européens et asiatiques, remettent en question la réussite à long terme et la durabilité des plans des nouveaux concurrents du marché.

Méthodologie

Global Energy Monitor (GEM) est un organisme de recherche à but non lucratif dont le but est d’informer sur les projets énergétiques du monde entier. En 2022, Global Energy Monitor a lancé son tracker du gaz en Afrique (Africa Gas Tracket ou AGT). C’est une base de données en ligne qui identifie et cartographie les principaux gazoducs, centrales au gaz (de minimum 50 MW), terminaux de GNL et sites d’extraction de gaz. Après sa dernière mise à jour, le tracker inclut 64 GW d’usine au gaz en développement, 75 mtpa de capacité de terminal GNL en développement, 22 600 km de gazoduc en développement et 60 zones d’extraction de gaz en phase de préproduction. L’AGT utilise les pages wiki en note de bas de page pour documenter chaque gazoduc, centrale au gaz, terminal de GNL et site d’extraction. Il est mis à jour deux fois par an.

GOGET est un ensemble de données mondial sur les ressources en pétrole et en gaz et leur développement. Il inclut des informations relatives aux unités découvertes, en développement ou en fonctionnement dans le monde entier, en répertoriant à la fois les actifs traditionnels et non traditionnels. L’ensemble de données suit l’état, la propriété, la production et les réserves de chaque unité, selon la disponibilité de ces informations. GEM estime l’investissement dans les terminaux de GNL en développement en additionnant les dépenses d’investissement pour chaque projet d’une même région. Quand la recherche secondaire ne permet pas d’accéder aux données des rapports relatifs aux coûts d’un projet, GEM produit ses propres estimations de coûts en se fondant sur les moyennes mondiales et régionales. Les coûts des terminaux nord-africains et subsahariens sont estimés de façon distincte quand suffisamment de données existent pour confirmer la moyenne régionale. Sinon, les estimations de coûts sont déduites des moyennes mondiales. Pour les terminaux d’importation de GNL, les coûts sont estimés à 269,7 millions de dollars par mtpa pour les infrastructures sur terre et 134,7 millions de dollars par mtpa pour les unités flottantes. Pour les terminaux d’exportation, les coûts sont estimés à 544,8 millions de dollars (pour l’Afrique du Nord) et 623,6 millions de dollars (pour l’Afrique subsaharienne) pour les infrastructures sur terre, et 567,5 millions de dollars par mtpa pour les unités flottantes. Les émissions ont été calculées à l’aide de l’outil Oil Climate Index Plus Gas (OCI+) pour un baril de pétrole brut du champ Zohr d’Égypte : 394 kg CO2e/bep, en utilisant un PRG de 100 ans pour le méthane. Puis, les valeurs d’OCI+ d’intensités d’émissions ont été multipliées par des valeurs estimatives des réserves des champs, en s’appuyant sur les données du GOGET. Pour en savoir plus, reportez-vous à la page de renvoi du tracker et la synthèse de la méthodologie. Consultez la page de téléchargement de données pour obtenir des données primaires d’AGT.

Références

En savoir plus

Pour de plus amples informations, contactez Christine Juta, gestionnaire du projet Africa Gas Tracker, à l’adresse Christine.Juta@globalenergymonitor.org