Entre AOM locale et AOM régionale, coordonner les politiques de covoiturage en région Pays de la Loire

septembre 2023

Forum Vies Mobiles

La Région Pays de la Loire s’est illustrée comme la deuxième région ayant enregistré le plus de trajets de covoiturage sur le RPC en 2022. Ce dynamisme s’explique notamment par une politique régionale d’incitations financières (dispositif Covoiturage Pays de la Loire), complétée par des politiques développées localement par les AOM (autorité organisatrice de la mobilité) du territoire, parmi lesquelles Nantes métropole et Angers Loire Métropole. Les résultats de ces dispositifs soulignent la nécessité d’intégrer davantage de conditions aux incitations et de déployer des politiques au-delà des ressorts territoriaux des agglomérations, montrant ainsi le besoin d’une coordination entre les intercommunalités et la Région.

Personnes interrogées :

Prise de compétence inédite des intercommunalités des Pays de la Loire pour se saisir du sujet mobilité, au sein de la région la plus multi-motorisée de France

La région des Pays de la Loire se caractérise par un aménagement du territoire équilibré, comprenant trois agglomérations de plus de 250 000 habitants (Nantes, Angers et Le Mans) et plusieurs villes moyennes (Laval, La Roche-sur-Yon, Cholet, Saumur, Saint-Nazaire, La Baule), structurant un réseau dense de petites villes (dossier territorial SGAR Pays de la Loire, 2016). La région compte 68 aires urbaines (pôles de plus de 1 500 emplois et leur couronne) qui s’étendent sur 52 % du territoire régional contre seulement 43 % en moyenne au niveau national. Toutefois, la croissance démographique se concentre avant tout dans le département de la Loire-Atlantique et en particulier Nantes métropole, illustrant le phénomène de métropolisation 1.

Malgré un développement territorial relativement équilibré et la présence d’un tissu important de villes moyennes et intermédiaires, la région est la plus multi-motorisée de France, c’est-à-dire celle comptant le plus de ménages possédant plus d’une voiture. Pour Sébastien Bourcier, chef de projet Mobilités à la Région Pays de la Loire, cela s’explique en partie par un phénomène propre à l’Ouest de la France : « l’usine à la campagne ». « En conséquence, on a des flux dans tous les sens, et ce n’est pas propice au déploiement des transports collectifs. »

Depuis la LOM, l’organisation de la mobilité a connu un changement important, puisque la quasi-totalité des communautés de communes (52 sur 54) a pris la compétence mobilité et est devenue AOM sur son ressort territorial. Il s’agit de la région de France où cette prise de pouvoir a été la plus importante. Pour accompagner cette dynamique, la Région a un rôle d’organisation et de coordination de la mobilité entre les EPCI et à échelle régionale.

Variation des dispositifs d’incitations financières au covoiturage et des modalités d’attribution en fonction des ressorts territoriaux

A l’échelle de la région Pays de la Loire, différentes politiques de covoiturage cohabitent, avec des conditions variant selon les dispositifs (voir tableau ci-dessous). Des modalités d’exclusion de certains trajets visent à ne pas cumuler les aides entre les différents dispositifs.

Au début de l’année 2021, la stratégie régionale des mobilités est votée par le Conseil régional. Elle inclut notamment le soutien à la pratique du covoiturage et à l’autopartage parmi ses objectifs, en complément du transport à la demande, et en partenariat avec les intercommunalités. 4 millions d’euros sur trois ans sont dédiés au développement des mobilités partagées. « Il y a des origines-destinations complexes à traiter efficacement avec la seule solution des transports en commun, elle ne pourra pas répondre à tous les besoins. » explique S. Bourcier. D’autres enjeux sont mis en avant, comme celui de la congestion aux heures de pointe, ainsi que celui du rapport coût efficacité du covoiturage.

La région des Pays de la Loire a développé deux axes principaux pour soutenir le covoiturage, en souhaitant cibler les trajets domicile-travail ou domicile-étude :

Le dispositif démarre en janvier 2021 avec Blablacar Daily, puis la convention ouverte permet d’intégrer les trois autres opérateurs cités. La première campagne inclut des modalités de fonctionnement ouverte et le niveau d’indemnisation par passager peut être élevé : de 2 euros par passager et jusqu’à 5 euros maximum. Par la suite, en février 2023, de nouvelles modalités sont intégrées : l’indemnité passe à 1 € par passager et jusqu’à 3 € maximum, pour un gain mensuel maximum de 120 € par conducteur. La distance minimale est élevée à 5 km, et plafonnée à 80 km. Enfin, dès le départ, le dispositif exclut de l’indemnisation les trajets internes au ressort territorial des métropoles de Nantes, Angers, Le Mans et de l’agglomération de Cholet. Cette exclusion répond avant tout à la volonté de ne pas cumuler les aides, car une partie de ces collectivités mènent déjà des politiques incitatives au covoiturage. On note par ailleurs un certain engagement sur la thématique du covoiturage dans la région : un questionnaire réalisé par le Cerema et la Région auprès des AOM au 2e trimestre 2022 a révélé qu’il s’agissait d’un axe de travail pour l’ensemble des départements, métropoles et agglomérations, et pour la moitié des autres EPCI interrogés 2.

La Métropole de Nantes se caractérise par un engagement de long terme sur la thématique du covoiturage, bien antérieure à la LOM. Dès 2004, dans la dynamique de créations de Plan de déplacement entreprise (PDE), un site internet de mise en relation est créé et mis à disposition des entreprises souhaitant proposer cet outil à leurs salariés. La Métropole fait partie des collectivités bretonnes et ligériennes à l’origine de la création de la plateforme régionale OuestGo. Par la suite, au renouvellement de la délégation de service public (DSP) du réseau de transport public pour la période 2018 – 2025, l’opérateur de transport propose d’intégrer dans son offre globale une offre de covoiturage. « Le discours, c’était qu’on allait proposer aux conducteurs de voiture d’être des conducteurs du réseau de transports en commun. C’est un discours attirant, qui a convaincu nos élus » se rappelle Gilles Farge, de la Direction des services de mobilité de la Métropole de Nantes. De plus, l’offre peut être proposée immédiatement auprès des abonnés au réseau de transport en commun, ce qui permet un enrichissement de l’offre très rapide.

Ainsi, le dispositif Covoit’Tan est mis en place à partir de la fin de l’année 2019. L’opérateur Klaxit a été choisi à l’issue d’une consultation pour proposer son application comme support de l’offre Covoit’Tan dans la Métropole. La Collectivité développe une politique d’incitation financière associée à Covoit’Tan, valable uniquement pour les trajets réalisés à l’intérieur de Nantes métropole. Ainsi, le passager paye son trajet comme s’il utilisait les transports en commun de la TAN ou bénéficie de la gratuité s’il possède un abonnement à la TAN illimité (Libertan). Le conducteur est quant à lui rémunéré à hauteur de 2 euros par passager, quel que soit le nombre de km (+ 0,10 € par km au-delà de 20 km). Le dispositif est prolongé jusqu’à fin 2023.

En parallèle, Nantes métropole travaille également à la mise en place d’une voie réservée au covoiturage.

Un dispositif analogue de soutien aux covoitureurs est développé par Angers Loire Métropole. L’opérateur Klaxit a d’abord démarché la collectivité, qui a facilement accepté notamment parce qu’une partie du dispositif était alors financé directement par l’opérateur via les CEE. Le dispositif d’aide aux conducteurs, à hauteur de 2 euros par passager, est mis en place à partir de janvier 2021. Par la suite, l’AOM confie une mission d’animation et d’aide au covoiturage à l’opérateur de transport RATP Dev, à laquelle la Collectivité assigne une somme forfaitaire de 400 000 euros pour la période 2022 – 2023. L’offre de covoiturage doit notamment être intégrée au calculateur d’itinéraire Irigo. Les modalités d’incitations financières sont étoffées. Alors que pour le premier dispositif, peu de critères sur les trajets conditionnent l’obtention de la subvention par le conducteur, des critères sont ajoutés pour le second dispositif dans lequel s’engage plus fortement la Collectivité :

Ainsi, des politiques de covoiturage cohabitent sur un même territoire, avec des conditions variant d’une AOM à l’autre, comme en témoigne le tableau ci-dessous. Sur l’ensemble du territoire des Pays de la Loire, d’autres EPCI ont contracté des partenariats avec des opérateurs de covoiturage. Ceux-ci ont également passé des contrats directement avec de grandes entreprises de la région (le Puy du Fou, Pasquier, Airbus Saint-Nazaire…).

Bilan des trois dispositifs d’incitation au covoiturage

En 2022, la Région Pays de la Loire a été la deuxième région enregistrant le plus de trajets de covoiturage sur le RPC, après l’Île-de-France, et la deuxième de France en nombre de trajets rapportés au nombre d’emplois, après la Normandie. Elle totalise sur l’année plus d’un demi-million de trajets. Parmi ces trajets, 421 142 ont été incités par le dispositif régional, pour un coût au trajet moyen de 3,94 € (incluant la gratification au conducteur et la commission plateforme), et 0,13 € par voyageur.km. En 2023, entre janvier et mai, les nouvelles modalités d’indemnisation diminuent le coût au trajet moyen : 339 109 trajets ont été incités, pour un coût au trajet moyen de 2,67 € (soit 0,09 € par voyageur.km). Pour Covoit’Tan, le coût au trajet moyen s’est élevé à 2,22 €3, soit 0,24 € par voyageur.km. Cette différence de coût entre les deux dispositifs s’explique notamment la distance moyenne des trajets (30 km pour Covoiturage Pays de la Loire, 9,2 km pour Covoit’Tan).

Le nombre de trajets enregistrés témoigne d’un très faible usage comparativement au nombre de trajets quotidiens. Pour la région, début 2023, malgré le constat d’une augmentation du nombre de trajets par rapport à 2022, les trajets incités ont représenté environ 0,4 % des km parcourus vers le travail ou les études dans la région, en excluant les trajets internes aux 4 principales agglomérations non incités par le dispositif 4 Le dispositif Covoit’Tan a enregistré en moyenne 155 trajets par jour ouvré entre juin 2022 et mai 2023, soit environ 0,02 % des km parcourus pour les trajets domicile-travail quotidiennement. De plus, le nombre de trajets par plateforme est bien plus faible que les 28 000 trajets domicile-travail réalisés quotidiennement en covoiturage informel selon l’Enquête ménage déplacement de 2015. Pour Gilles Farge, « le covoiturage qui passe par les plateformes est microscopique ». Selon lui, il faut tout de même proposer ces plateformes, car « ne pas en avoir, c’est ne pas être en capacité de dire à quelqu’un qui souhaite covoiturer qu’il peut trouver des passagers ou un conducteur ». Pour autant, « si on veut pousser à la pratique du covoiturage, ce ne sont pas forcément les plateformes à mettre en avant en premier. Ce qu’il faut mettre en avant c’est plutôt de l’animation, de la communication, de la sensibilisation, peut-être de la restriction. Des choses beaucoup plus massives. »

Le deuxième retour d’expérience est la nécessité de davantage cibler les dispositifs pour éviter la concurrence avec les transports en commun existants. Un certain nombre de trajets enregistrés dans la région sont internes aux agglomérations de Nantes et d’Angers, soit du très court covoiturage. La distance moyenne des trajets de Covoit’Tan s’élève à 9,2 km, du fait d’un ciblage du dispositif pour les trajets internes à la Métropole de Nantes. De plus, rendre gratuit les trajets uniquement pour les abonnements Libertan illimités ne cible pas les autosolistes, mais les usagers des transports en commun. À Angers Loire Métropole, Virginie Caballé, Directrice des transports, constate également « de gros volumes de covoiturage sur des flux qu’on gère ou qu’on saurait gérer autrement [par d’autres modes : modes actifs, transports en commun]. »

Dans leur globalité, les trajets enregistrés par Covoiturage Pays de la Loire reflètent cependant une importante couverture territoriale, en particulier sur des trajets non couverts ou mal couverts par les transports en commun. S. Bourcier constate que 60 % des trajets sortent des métropoles de Nantes et d’Angers le matin et rentrent vers la métropole le soir, alors même dans les pratiques de déplacements globales, ces trajets qualifiés de « divergents » ne pèsent que pour 40 % des pratiques. Selon les personnes rencontrées pour cette étude de cas, plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer :

Un défi de coordination interterritoriale pour correspondre aux besoins et à la pertinence du covoiturage

Pour G. Farge, le dispositif Covoit’tan a surtout permis de réfléchir en constatant qu’il ne répondait pas aux besoins et à la réalité des déplacements. « En analysant l’EMD, on a constaté que presque la moitié des actifs de la métropole résident à l’extérieur. Sur le RPC, on a aussi constaté que sur 3 trajets, un seul est interne à Nantes métropole, puis il y en a un qui sort et un qui rentre sur la métropole. Covoit’Tan n’était disponible que pour les trajets internes et n’était gratuit que pour les abonnements illimités Libertan, or très peu de personnes ne résidant pas à Nantes métropole possèdent cet abonnement. De plus, on a aussi constaté que ce n’était pas possible de mutualiser en l’état le dispositif à l’échelle du bassin de vie, avec les EPCI périphériques. » Ainsi, l’offre Covoit’Tan s’est additionnée à l’offre existante de transports en commun internes à Nantes Métropole tandis que les non-résidents de la Métropole n’avaient que très peu d’intérêt à utiliser le service.

V. Caballé constate également une pertinence du covoiturage pour des personnes résidant à l’extérieur de l’agglomération. « On a des réflexions sur RD 347 qui connait quelques congestions, on a des demandes d’élargissement du réseau pour y faire face. Mais il suffirait d’avoir 200 véhicules en moins pour faciliter l’écoulement, le covoiturage pourrait le permettre. C’est une route qui arrive de l’extérieur de l’agglo et c’est dans le périmètre de l’agglo qu’on a la congestion. On mène des réflexions pour développer le covoiturage avec d’autres EPCI. »

Développer des dispositifs de soutien au covoiturage limités au périmètre des métropoles et des agglomérations ne semblent pas pertinents. De plus, ces différents dispositifs rendent difficilement compréhensible la politique covoiturage pour les employeurs ou les usagers, car chaque dispositif correspond à un ressort territorial particulier, avec ses propres modalités d’éligibilité aux incitations financières.

Si une coordination interterritoriale, entre les EPCI, et entre les EPCI et la Région, est nécessaire, elle reste un défi : « La LOM donne des outils, mais la répartition de la charge des compétences et les modèles de gouvernance ne sont pas forcément dictés. C’est à nous de les construire » selon S. Bourcier. La région a acté, en 2023, le premier Contrat opérationnel de Mobilité (COM) pour coordonner les politiques de mobilité à l’échelle d’un bassin de vie (Centre Loire Atlantique) entre une métropole, deux communautés d’agglomération et huit communautés de communes. Le Département de Loire-Atlantique et SNCF Gares et Connexions sont également signataires du Contrat. Parmi les missions prioritaires de 5 prochaines années, le COM s’est notamment fixé l’expérimentation de lignes de covoiturage.

  • 1 Les données sont extraites de Dossier territorial SGAR Pays de la Loire, 2016 et CESER Pays de la Loire, 2019. Schéma régional des mobilités. Transformer les mobilités en Pays de la Loire. ceser.paysdelaloire.fr/wp-content/uploads/RAPPORT-COMPLET-CESER_ETUDES_2019_mobilite_web.pdf

  • 2 30 collectivités ont répondu à ce questionnaire, dont les résultats mentionnés ici proviennent du support de présentation des Rencontres de la mobilité durable du 14 octobre 2022.

  • 3 Sur la période allant de juin 2022 à mai 2023.

  • 4 On a considéré d’une part les km en covoiturage incité (4100 trajets par jour ouvré en moyenne et une distance moyenne de 30 km en mars 2023) et d’autre part les km parcourus vers le travail ou les études, à partir des 8 millions de trajets quotidiens réalisés en interaction ou hors des 4 principales agglomérations (correspondant au ciblage du dispositif). 33 % de ces trajets sont liés au travail ou aux études. La distance moyenne utilisée est celle des trajets domicile-travail (12 km). Ces données sont issues du Schéma régional des mobilités du CESER Pays de la Loire (2019).

Références

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