Le quartier spontané de Fitiribougou

Confrontés à des problèmes de pauvreté, de sécheresse, … des habitants s’organisent et s’approprient des terres pour s’y installer et y créer un quartier

Pascale Thys, September 2001

Habitat et Participation ASBL

Cette fiche décrit la création et l’évolution d’un quartier spontané de la banlieue de Bamako, et la mise en place de tontines, associations d’épargne collective, qui ont permis à des familles peu aisées de s’installer et de construire un logement pérenne et légal dans le quartier.

Cette fiche a été réalisée avec le concours d’Adama Traoré, qui a interviewé le chef du village et une dizaine de chefs de familles de Fitiribougou.

Contexte

Bamako, capitale du Mali, qui en 1970 comptait 600.000 habitants, en compte aujourd’hui 1.500.000. Auparavant, la majeure partie de la population était concentrée au centre, puis il y a eu affluence au niveau de la périphérie. En cause, la croissance démographique, l’exode rural dû à la sécheresse, la pauvreté, l’évolution des mentalités1

Origines du projet

Devant faire face à de nombreuses difficultés (pauvreté, sécheresse, …), des habitants, entre autre, du centre de Bamako, ont créé des quartiers spontanés en périphérie de la capitale du Mali et ce en toute illégalité. Ainsi est né le quartier de Fitiribougou.

Pour améliorer leurs conditions de vie, diverses tontines2 se sont créées, soit à l’initiative d’habitants comme celles du groupe de femmes Bencadi, qui signifie « l’union fait la force »3, soit à l’initiative de coopérants comme la caisse d’épargne Djemeni.

Objectifs du projet

Le premier objectif est l’occupation de terres et la construction d’habitats par et pour des personnes défavorisées.

En ce qui concerne la tontine, son objectif est l’organisation solidaire des habitants pour améliorer leurs conditions de vie.

Population concernée

A la création du quartier, les personnes concernées étaient celles qui avaient besoin d’un logement (ruraux, citadins pauvres, …). Aujourd’hui la composition sociale et la répartition des revenus des quartiers spontanés reconstitue plus ou moins les clivages qui existent dans les autres quartiers4, bien que certains abritent des populations plus pauvres.

Montage financier

La tontine se compose de l’apport de chacun des membres et de coopérants occidentaux.

Montage légal

La législation malienne est assez complexe en matière d’urbanisme.

A Bamako, l’habitat spontané (installation progressive sans autorisation sur une terre) abrite 55% des ménages malgré un puissant arsenal juridique qui ne s’applique pas5. Outre le fait que l’offre de logement est inférieure à la demande, une des problématiques est la difficulté de concilier le droit coutumier6 avec les règles juridiques communes.

Au Mali, à peine 2% des propriétaires sont détenteurs d’un titre foncier enregistré au domaine. Tous les autres propriétaires de Bamako qui ont obtenu un terrain de l’État détiennent une lettre d’attribution (1e étape) ou un permis d’occuper (2e étape après la construction du terrain)7.

Toutes les terres immatriculées au nom de l’État, toutes les terres non immatriculées et les terres sans maître, sont propriétés de l’État. Avant toute attribution, il faut immatriculer le terrain pour habitation. La vente d’un terrain ne peut se faire qu’après viabilisation et obtention du titre (mais la majorité des propriétaires n’ont pas de titre foncier).

Concernant la tontine, il n’y a pas de réglementation. Elle est basée sur la confiance et la solidarité des membres.

Partenaires du projet

Concernant les tontines, les habitants du quartier et, dans certains cas certains coopérants comme l’ONG AREC-DEV pour la tontine Bencadi.

Déroulement du projet

Les premiers arrivés à Fitiribougou n’eurent pas trop de difficulté pour s’installer : « J’ai acheté mon lot avec le chef du village M. Sanou Diakité en 1978 à 15.000 F malien8. J’ai commencé à construire petit à petit. A cette époque il n’y avait pas de difficulté au niveau des autorités, car c’était la forêt. J’étais le premier à venir habiter Fitiribougou. Les chasseurs en passant prenaient de l’eau chez moi. Je n’ai pas eu beaucoup de difficulté comme ceux qui sont venus après moi »9.

Après quelques années, la situation s’est détériorée. « Quand les autorités ont vu que le quartier commençait à se développer elles ont fait déguerpir10 les occupants en démolissant au moins deux cent foyers. Seuls les premiers arrivés pouvaient rester. Les victimes de cette première expulsion sont restés à la merci des intempéries naturelles. Après plusieurs démarches sans suites favorables, nous sommes revenus et nous avons loué sur place. Mais c’était encore plus dur pour un pauvre qui peine à trouver à manger. Alors les gens ont commencé à construire en cachette. Les travaux étaient exécutés entre le crépuscule et le petit matin. C’est pourquoi le quartier s’appelle « Fitiribougou » qui signifie littéralement « Case du crépuscule ». Peu après j’ai bénéficié d’une aide de coopérants français avec laquelle j’ai construit deux chambres et une cuisine pour ma famille. Depuis, le quartier s’est reconstruit petit à petit jusqu’à nos jours11 ».

Une partie des parcelles a été confiée par les autorités à l’agence ACI (l’Agence de Cession Immobilière qui vend des terrains aux enchères).

Après l’expulsion, une association « la commission du quartier » s’est mise en place en 1991. Son rôle est de veiller sur le quartier et coordonner les relations entre autorités et habitants.

Le gouvernement a donné l’autorisation de faire le bornage. Une fois effectué, on n’accepta plus de construction illégale. Cela s’est passé juste après le coup d’État de 1991 afin de calmer et de satisfaire un grand nombre de personnes. Depuis 1995, Fitiribougou est loti.

Les tontines

Appelée aussi AREC (association rotative d’épargne et de crédit), la tontine est une association de personnes qui, unies par des liens familiaux, d’amitiés, de profession, de clan ou de région, se retrouvent à des périodes d’intervalles plus ou moins variables afin de mettre en commun leur épargne en vue de solutionner des problèmes particuliers ou collectifs12.

Le système est simple : un groupe de personnes, à date fixe, versent une certaine somme. Au bout de x temps, le contenu du pot commun est « donné » à l’un des membres du groupe. Les versements continuent jusqu’à ce que tous les membres aient pu bénéficier de la somme déterminée. Le nombre de personnes, la somme versée, la durée du cycle, les dates de cotisations, peuvent varier.

En ce qui concerne la tontine de Bencadi, l’argent récolté sert, entre autre, à l’assainissement du quartier, à l’exploitation d’un hectare de produits maraîchers (vente et auto-consommation), au paiement d’un maître pour organiser le suivi des élèves, à la prise en charge de frais de scolarisation pour familles démunies, à la valorisation de déchets plastiques.

La mission de la caisse d’épargne Djemeni est de répondre de façon pérenne aux besoins en service financier des populations qui n’ont pas accès aux banques. La caisse appartient à ses membres, elle est coopérative et démocratique. Elle est dirigée par des organes élus en assemblée générale des membres (il y a 370 adhérents). L’adhésion est libre et volontaire.

Djemeni assure, entre autre, l’octroi de crédit en vue d’aider les « déguerpis » à sécuriser leurs nouvelles affectations foncières en leur permettant d’accéder aisément à un fond gratuit pour transformer leur lettre d’attribution en titre foncier (une parcelle de recasement est attribuée aux « déguerpis » qui doivent régler des droits pour avoir un titre définitif). Mais les plus démunis ne peuvent régler ces droits et vendent leur lettre à des spéculateurs fonciers13.

Vous pouvez consulter la fiche proposition qui analyse la situation en région Wallonne en tirant les apprentissages du cas du quartier de Fitiribougou

1 « les jeunes générations n’expriment plus le besoin de vivre au sein de la grande famille. (…) Chacun veut s’affranchir (…) puisque le centre est saturé, il faut se tourner vers les périphéries », Farmata Traore, In « Environnement : l’urbanisation un mal nécessaire », Ina/Info-Matin.

2 Voir plus loin.

3 Ndione A. 2000, pp.19-20

4 Rondeau C. 2000, p.14

5 ibid., p.2

6 ou droit d’usufruit : on ne dispose pas de la chose, mais on a le droit de l’utiliser et d’en percevoir les fruits. Dans les textes on dit que la terre appartient à celui qui l’exploite.

7 Rondeau C. 2000. p.3

8 500 FB (Francs belges)

9 Sékou Djenta, Direction Medersa (école coranique) à Fitiribougou

10 expulser

11 Moussa Traoré, cuisinier.

12 Bibliographie sur les tontines

13 Filiging Diakite, Controverse sur le « recasement » en commune V du district de Bamako sur le site d’Afribone

Sources

Abdoul Daff S., Feugas F. (coord.) 2000. Pour un partenariat entre habitants et collectivités locales en Afrique, FPH, France

Timbaleck Traore H. 2000. « A Fitribougou, un quartier de Bamako, les habitants occupent leur quartier jusqu’à la légalisation », In Pour un partenariat entre habitants et collectivités locales en Afrique, FPH. pp.17-18

Ndione A. 2000. « Les femmes du « quartier du Crépuscule » se battent pour garder leur toit », In Pour un partenariat entre habitants et collectivités locales en Afrique, FPH.

Rondeau C. 2000. L’appropriation foncière informelle à Bamako : une stratégie d’insertion urbaine pour les uns et d’accumulation foncière pour les autres, GIM, Québec

CNUEH. 1993. Situation actuelle du logement au Mali, Nairobi

Ortoli P. Le micro-crédit un outil pour quel développement ?

Harsch E. 1996. Micro-crédit : une arme contre la pauvreté

MacIsaac N. Le sommet mondial sur le micro-crédit : possibilités de programmes améliorés pour la micro-entreprise ?

To go further

Pour entreprendre en Afrique

Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture

Mouvement Droit Paysan

Ecommune Libre de la Vieille Valette. Le collectif de la Valette occupe et gère une vallée abandonnée. Le projet est financé par la tontine

Financité

Amazone

Grameen Bank, Bangladesh

INAISE – Association Internationale des Investisseurs dans l’Economie Sociale – Réseau d’échange d’expériences, d’informations afin de démontrer que l’argent peut aussi un moyen d’accomplir des changements sociaux et environnementaux