L’expérience d’occupation des terres en région wallonne

Retour sur l’expérience du quartier spontané de Fitiribougou

Pascale Thys, September 2001

Habitat et Participation ASBL

Pour faire écho au quartier de Fitiribougou, cette fiche propose de s’intéresser à ce qui se passe dans la région wallonne et ce qui pourrait être reproduit.

Le projet de Fitiribougou s’est axé sur l’occupation de terres par des personnes confrontées à certains problèmes (pauvreté, sans logement, …) afin d’y construire leur habitat, mais surtout à l’organisation populaire et solidaire des habitants du quartier afin de créer des conditions de vie favorables et pérennes.

Exemples des actions mises en œuvre dans la région wallonne

Occupation de terrains et construction d’habitats

En Région wallonne, on ne peut pas construire n’importe où et n’importe quoi1. La plupart des rénovations et/ou constructions sont soumises à des permis d’urbanisme. L’administration veille et, en cas d’infraction, il arrive que des amendes soit perçues, voire une démolition de ce qui a été construit illégalement. Par exemple, à Frahan, dans la vallée de la Semois c’est tout un camping qui a été évacué et rasé, ou encore la démolition d’une annexe d’un restaurant à Vitrival2.

L’expérience d’occupation des terres peut s’apparenter à l’installation des résidents permanents dans les établissements de séjour. Elle peut aussi faire penser chez nous aux « réquisitions de maisons abandonnées »3 par des personnes sans-abri, mal logées, expulsées,… appelées aussi squats.

Diversité des squats

Il existe plusieurs types de squat. Certains, comme « le 111 » à Louvain-la-Neuve ou « Jonruelle » à Liège sont des lieux où leurs habitants, entre autres, promeuvent le droit au logement et organisent des activités (table d’hôtes, concerts, débats, …). A Jonruelle il est même question de rachat du bâtiment par ses occupants. Ces lieux font l’objet de nombreuses négociations avec les différents acteurs (occupants, propriétaires, autorités, …) ;

Les expériences de squat légal sont encadrées. Il s’agit d’un bâtiment mis à disposition par les autorités publiques pour accueillir un squat. Deux ou trois personnes de références (associatif) gèrent le squat. Une « convention » est établie avec les occupants, entre autre, pour qu’ils s’impliquent dans l’entretien des lieux (mise en ordre, sécurité, …).

Le squat est un moment à utiliser pour favoriser la resocialisation, retisser des liens et réapprendre à habiter dans un logement. Cette expérience a permis à plusieurs personnes d’entreprendre des démarches pour réintégrer un logement.

Deux de ces squats ont été expérimentés dans la ville de Charleroi : il s’agissait d’un bâtiment voué à la destruction et prêté durant quelques mois, tandis que le second a été mis à disposition suite à une réaction constructive des autorités de la ville (bourgmestre et président de Centre Public d’Aide Sociale (CPAS)) en réponse à une occupation de l’hôtel de ville par des personnes sans abris4.

On peut aussi citer l’occupation d’églises par les personnes sans papier en 1999.

Le système de tontine

Il est important de remarquer que le système présenté ici ne doit pas être confondu avec la clause de la tontine en droit immobilier. Ici, la clause de la tontine unit des conjoints non marié lors de l’achat d’une maison. En cas de décès le conjoint survivant pourra jouir de l’entièreté du bien, voire devenir propriétaire et en cas de « divorce », et si la maison est revendue, il faut l’accord des deux parties. Cette clause évite de payer les droits de succession de 30 à 80% sur la part du conjoint5.

La tontine, signalée dans cette expérience malienne, est un système assez ancien. On en retrouve des traces dès le 2e siècle après Jésus Christ en Asie. Le mot vient d’un banquier italien, Lorenzo Tonti (1630-1695) qui a mis en place un emprunt d’État pour renflouer les caisses, emprunt basé sur une association de personnes et instauré sous Louis XIV en France.

Le système de la tontine à l’africaine est principalement développé dans les communautés africaines vivant en Région wallonne et ce aussi bien pour des échanges financiers (par exemple pour la constitution d’un acompte lors de l’achat6 ou de la rénovation7 d’un logement) que pour des échanges de biens et de services. De plus, les membres de ces communautés sont aussi les acteurs d’une économie locale de proximité qui permet, entre autre, de faire vivre les différentes communautés et de participer à la vie socio-économique des quartiers où ils résident. En effet, une personne originaire du Ghana, par exemple, trouvera les produits de son pays dans les magasins tenus par des concitoyens, ira se faire coiffer chez les coiffeurs concitoyens, … Des supermarchés qui ont vu là un nouveau potentiel de clientèle se sont lancés, avec plus ou moins de réussite, dans la vente de produits « exotiques ».

Divers exemples existent en matière d’épargne mise en commun pour solutionner des problèmes particuliers ou collectifs et ce avec différents statuts et appellations (institutionnalisé ou non ; profitant directement aux membres du groupe épargnant ou non ; microcrédit8 ; financement alternatif ; …).

Épargne collective institutionnalisée

Le plus « célèbre » est notre système d’imposition qui permet de produire des services pour la collectivité.

A un autre niveau, la Caisse d’Épargne de la ville de Tournai (CET) est le seul établissement public belge de crédit (gestion des carnets d’épargne). 95% des 44.000 comptes appartiennent à des Tournaisiens. La ville se sert de sa part des bénéfices (37 millions sur 54 en 1999) pour, entre autre, financer des projets sportifs ou culturels9.

Certaines sociétés d’habitations sociales pratiquent le système du fonds de solidarité. Un pourcentage du loyer des locataires va dans un fonds de solidarité ce qui permet, par exemple, d’octroyer des primes pour les mariages, … ou encore une aide d’urgence pour permettre à une famille sinistrée à la suite d’un incendie de se reloger.

La reprise d’entreprise par, entre autre, des ex-salariés comme, par exemple, dans le cas de la société New Tube Meuse en région liégeoise. Des anciens salariés de NTM ont participé au capital de départ pour fonder une entreprise d’économie sociale MTM - Mécaniques et tuyauteries de la Meuse10.

Micro-crédit et financement alternatif

L’asbl Amazone11 a créé un prix biennal pour promouvoir l’emploi du microcrédit par les femmes. Ce prix est accordé aux entreprises créées à l’aide d’un microcrédit inférieur à 1.250.000 FB.

Le réseau Financement Alternatif gère les placements et produits financiers éthiques ou solidaires12 comme l’épargne Cigale, la sicav Alter Vision Balance Europe (banque Fortis) et Dynamo (banque Triodos). Ce qui permet au Réseau Financement Alternatif de soutenir des projets novateurs d’économie sociale.

Des micro-crédits sont octroyés par la Fondation Roi Baudouin et le Crédal13 à des projets ayant peu ou pas d’accès au crédit bancaire.

A l’instar des Cigales françaises14, les associations d’épargne de proximité, comme Le Pivot, L’Aube, La Bouée, Les Écus Balladeurs, et La Fourmi Solidaire, permettent de donner un coup de pouce à des projets sociaux ou alternatifs qui n’ont pas ou difficilement accès au crédit bancaire. Les prêts de 50.000 à 500.000 FB sont octroyés sans intérêt ou avec un intérêt minime.

Éléments à reproduire issus des tontines

Occupation de terrains et construction d’habitats

Comme dit plus haut, il serait très difficile d’occuper des terres et de s’y installer « illégalement »15. Par contre les communes peuvent, en toute légalité, réquisitionner tout immeuble abandonné depuis plus de six mois afin de le mettre à la disposition de personnes sans abri16. Mais les préalables indispensables à la réquisition limitent de manière importante sa mise en œuvre17. Il est aussi possible, pour les opérateurs immobiliers, de pratiquer la « réquisition douce », à savoir négocier avec le propriétaire la gestion et l’occupation des lieux selon certaines conditions18.

Les mêmes situations vécues par des personnes de pays différents peuvent aussi être une source d’échange d’expériences. Par exemple, des échanges se sont déroulés entre paysans sans terre du Brésil et des personnes mal logées de Charleroi.

Adaptation de la tontine « africaine » dans la région wallonne

Le système de tontine « à l’africaine » est basé sur une culture de la solidarité entre humains, de solidarité avec sa communauté et de contrôle social et ce sans passer obligatoirement par une institutionnalisation du procédé.

Ici le système doit être adapté à notre culture « individualiste » et à notre système législatif assez bien développé.

De même qu’un travail doit être réalisé pour évaluer quels seraient les avantages de la tontine mise en œuvre par un public défavorisés. Peut-être serait-il intéressant d’initier des expériences à l’intérieur de « communautés » comme au niveau des campings et parcs résidentiels, par exemple.

Quelques bases et pistes de travail

Le système s’applique aussi au travail et à l’échange de services. Les SELs (Système d’Échanges Locaux) le mettent en pratique sous cette forme. Ce qui, au niveau législation en matière de chômage, pose parfois quelques problèmes19. Il est pratiqué depuis longtemps chez les fermiers, par exemple. Dans ce cas, chacun des membres bénéficient de la force de travail des autres membres, ou encore de biens (par exemple : les moissonneuses).

L’Agence de Développement Local de Pont-à-Celles à créé un Club Créateurs d’Emplois. Le CCE est composé d’une 20aine de bénévoles qui mettent à disposition des porteurs de projets leurs compétences et expériences.

Les pratiques de nos voisins français, comme, par exemple :

Mais aussi , des Rmistes ont reversés une partie de leur prime de Noël pour soutenir des projets du Sud comme, par exemple l’achat d’une ambulance pour les femmes démunies d’un quartier de Montevideo, le travail réalisé par la Grameen Bank au Bangladesh (micro-crédit accordé à des « pauvres »)…

Une étude sur le développement du potentiel économique des quartiers en difficultés propose quelques mesures pour attirer les ressources dans les quartiers, dont le système de la tontine22 et la coopération avec des banques pour la collecte et l’utilisation de l’épargne des habitants des quartiers.

Il y a aussi le « microcrédit confiance », comme par exemple ce CPAS qui a autorisé un minimexé (recevant un revenu minimum, équivalent du RMI en France) à partir suivre une formation à l’étranger tout en conservant son minimex23. Ou encore le nouveau statut en test qui permet à un demandeur d’emploi d’entrer et de sortir d’une coopérative en cas d’échec et de retrouver son statut initial de demandeur d’emploi. L’entrepreneur y est salarié à temps partiel tout en préservant ses allocations proportionnellement au revenu dégagé par ses activités24.

Au niveau financement

1 Différents textes et prescriptions sont à respecter comme, entre autre, le Code Wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et du Patrimoine (CWATUP) ; les plans de secteurs ; les Plans Communaux d’Aménagements (PCA) ; le Règlement Général sur les Bâtisses en Site Rural (RGBSR) ; les règlements en matière de lotissement…

2 LH, CM et DP, p.2

3 Bulletin de liaison, p.1

4 Pour plus d’informations sur ces expériences voir « Solidarités Nouvelles »

5 Pour plus d’infos voir la définition juridique des tontines

6 Exemple donné par le CIRE dans le cadre d’une action initiée avec le Fonds du logement pour aider des familles nombreuses à acheter leur logement

7 A Verviers, il existe une caisse sociale (tontine) mise en place par des Rwandais.

8 « Le microcrédit est une petite somme prêtée par un organisme financier, à un individu afin que celui-ci puisse retrouver un mieux-être social », Christophe Guéné.

9 Detaille S. 2000.

10 Morenville C. 1999.

11 Centre de congrès et de rencontres pour l’égalité entre hommes et femmes qui, entre autres, héberge et soutient des organisations féminines, est une plaque-tournante d’informations.

12 Les placements éthiques et/ou solidaires sont un investissement dans des produits financiers qui, à côté du rendement pur, sont également sensibles à des plus-values dans les domaines de l’écologie, de la culture et de l’économie sociale. Ces placements font directement référence à la notion de développement durable. Un produit financier éthique et solidaire est un produit financier qui investit son capital dans des entreprises qui respectent des critères bien précis, et qui de plus finance des projets à plus-values sociales via la rétrocession d’une commission vers le secteur associatif

13 Le Crédal est une coopérative de crédit alternatif et agence conseil agréée en économie sociale. Crédal propose et promeut des produits d’épargne solidaire.

14 la Cigale est un club d’investisseurs qui a pour fonction de collecter l’épargne de ses membres et de l’investir dans des entreprises industrielles ou commerciales dont les modes de fonctionnement vont dans le sens d’une lutte contre l’exclusion et d’un effort en faveur de la justice et de la paix. Il est régi par une circulaire de la Direction générale des impôts.

15 Bien que des exceptions existent notamment dans les campings et parcs résidentiels ou encore en matière de lieux d’accueil pour les gens du voyage.

16 Nouvelle Loi Communale, art.134bis

17 Sambon J. 2000. p.149

18 Code du logement, article 80

19 La législation est contraignante puisqu’elle empêche les chômeurs et minimexés d’avoir d’autres revenus, excepté pour les artistes.

20 Le Mouvement Paysan agit aussi au niveau de l’autoconstruction, l’occupation des lieux à l’abandon, l’échange de savoirs, les chantiers collectifs…

21 Fauconnier P. 2001. pp.140-142

22 Association Européenne pour la Revitalisation des Quartiers en Crise

23 Lormont-Ugeux G. 2001, p.9

24 Alter Echo. 2001.

25 Petrella F., Pollénus J-P. 2001, p.5

26 Alter Echo. 2001, pp.4-5

Sources

LH, CM et DP, « Plus d’infractions que de démolitions », In La Libre Belgique, samedi 5 et dimanche 6 décembre 1998, p.2

Guéné C., cité par Pascal Laviolette. 2001. « Des sous pour un job », In Traverses, n°163, mars 2001, p.3

Detaille S. 2000. « Tournai. Un cas unique dans le paysage bancaire belge et même européen », In Le Soir, Nouvelles locales - Hainaut, mercredi 6 décembre 2000

Morenville C. 1999. « MTM en Belgique : un exemple d’entreprise reprise par des salariés », In Le courrier européen des innovations sociales, n°1, septembre 1999

Sambon J. 2000. « Les instruments de lutte contre les logements inoccupés : l’exemple de la Région wallonne », In Revue de Droit communal, 1/2

Bulletin de liaison Front commun SDF, Bruxelles-Flandre-Wallonie, n° 26, mai 1999, Bruxelles, p.1

Russo P-D., Verley R. 1995. « Cigales, des clubs d’épargnants solidaires pour investir autrement », FPH-Fédération des cigales, Paris.

Fauconnier P. 2001. « Ces fous qui réveillent nos campagnes », In Le Nouvel Observateur, France, 7-13 juin 2001

Approches intégrées de développement urbain par l’Association Européenne pour la Revitalisation des Quartiers en Crise.

Lormont-Ugeux G. 2001. « Job’In, un filet pour un exercice périlleux », In Traverses, n°163, mars

Alter Echo. 2001. Chômeur-entrepreneur, c’est aujourd’hui possible, SEE Newsletter, n°8, 7 mai

Petrella F., Pollénus J-P. 2001. « De bonnes idées à retravailler…", In Traverses, n°163, mars

Alter Echo. 2001. CME, Soconet, entreprise de nettoyage créée par deux minimexées, devient coopérative à finalité sociale, n°90, 29 janvier

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