La clubbisation n’est pas la sécession

Eric Charmes, octobre 2015

Gérer une commune comme un club résidentiel ne veut pas dire faire sécession. Ce serait même plutôt le contraire. De fait, les habitants d’une commune résidentielle sont dans une relation de dépendance étroite à un espace qui dépasse largement les limites de leur commune. Plus encore, une commune ne peut pas devenir un club résidentiel sans devenir en même temps totalement dépendante de son environnement, pour les achats quotidien, le travail, la vie sociale, l’éducation supérieure, etc. Les périurbains sont conscients de cette relation de dépendance et ils cherchent moins à la dénier qu’à la contrôler. Mettre en avant le sécessionnisme est un contresens.

Pour saisir cela, la célèbre typologie d’Albert Hirschman est très utile. Elle recense trois types de comportements politiques possibles lorsqu’on est confronté à une réalité déplaisante : sortir de la scène (exit), prendre la parole (voice) ou accepter la situation (loyalty). Faire sécession c’est sortir de la scène, mais ce n’est généralement pas ce que font les périurbains. Lorsqu’une commune périurbaine s’oppose à des projets d’intérêt métropolitain, ses habitants cherchent moins à sortir de la scène qu’à prendre la parole. Cette prise de parole mérite d’être prise en considération, plutôt que d’être disqualifiée moralement. En réduisant la défense du cadre de vie à de l’égoïsme local, on peut être certain de susciter des réactions d’opposition franche. Les habitants se sentent mis en accusation, ce qui suscite en eux une attitude défensive – attitude qui vient en retour renforcer les discours de ceux qui stigmatisent l’égoïsme des périurbains.

La question n’est donc pas de savoir si, en devenant un club résidentiel, une commune fait ou non sécession d’avec la métropole, mais de voir comment elle peut trouver sa place à l’intérieur de la métropole en tant que composante de cette dernière. Une commune peuplée de cadres et centrée sur la fonction résidentielle et la vie familiale ne peut vivre en autarcie : elle dépend d’un pôle urbain où se concentrent les emplois les plus qualifiés ; d’un bourg proche pour les achats, les services et les équipements de la vie quotidienne ; de banlieues populaires où loge la main d’œuvre de la métropole, etc.

Iris Young (2000) a proposé d’intéressantes analyses sur la manière de surmonter les problèmes soulevés par la fragmentation des métropoles étasuniennes en de nombreuses municipalités. Pour la philosophe, le problème est moins de mettre en cause l’entre-soi à l’échelle des quartiers que de mettre en débat les conséquences à l’échelle des métropoles de l’entre-soi et des politiques municipales déterminées par des intérêts très localisés. Dans cette perspective, les embouteillages peuvent avoir plus d’importance que les qualités du peuplement des quartiers pavillonnaires. De fait, les périurbains sont nombreux à prendre conscience des liens qui les unissent à une métropole lorsqu’ils demandent des infrastructures routières pour mieux circuler et lorsqu’on leur proposer de faire passer la nouvelle route qu’ils réclament près de leur domicile.

De même, les périurbains sont nombreux à avoir pris conscience des effets systémiques du malthusianisme qu’ils réclament à leurs élus municipaux lorsqu’ils constatent les difficultés rencontrées par leurs enfants ou les personnels municipaux pour se loger (voir Les résistances à la clubbisation). Cette prise de conscience contribue largement à l’évolution des esprits sur le logement social. Des projets de construction existent ainsi dans de nombreuses communes, même aisées. Certes, peu de logements sont construits et ils visent surtout les jeunes couples issus de la commune, les personnels communaux et les personnes âgées, mais ils existent. La chose est d’autant plus remarquable que les communes périurbaines n’ont pas d’obligation dans ce domaine, la loi n’imposant la construction de logements sociaux qu’aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 habitants en Ile-de-France) situées dans une agglomération de plus de 50 000 habitants. C’est dans cette prise de conscience des interactions entre politiques locales et dynamiques métropolitaines que réside la possibilité d’une coopération au sein des espaces métropolitains, pas dans une dénonciation d’une sécession qui n’existe pas.

Références

YOUNG Iris M. 2000, Inclusion and democracy, Oxford University Press.