Peut-on construire la citoyenneté autour de l’auto-gestion d’ouvrages collectifs ?

Le Projet d’Appui aux Dynamiques de Quartiers et d’Amélioration du Cadre de Vie à Yeumbeul

Sidiki Abdoul Daff, May 1999

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Cette fiche a été réalisée à partir d’entretiens avec les membres de l’ANBEP, le 14 Février 1999 à Yeumbeul. Elle revient sur la manière dont l’association a développé l’auto-gestion des équipements et des ouvrages publiques, en impliquant les habitants et en particulier les femmes et les jeunes. Malgré des difficultés de communication avec la mairie et ses partenaires, cette expérience a permis la promotion de la citoyenneté, l’amélioration du cadre de vie et l’accès aux services essentiels (eau, assainissement…).

Yeumbeul est situé dans le département de Pikine, banlieue de Dakar (Sénégal). Cette localité a connu un développement démographique fulgurant et atteint aujourd’hui 120 000 habitants. Ce quartier est confronté à différents problèmes :

L’Association nationale pour le bien-être des populations (ANBEP), créée en 1991 par des notables et des jeunes, a pour objectifs de renforcer la participation des populations aux activités sanitaires, et leurs capacités en matière de développement par le biais de l’éducation et de l’encadrement des jeunes et des femmes. Ainsi l’ANBEP, en s’appuyant sur les capacités d’auto-organisation des habitants, organise l’évacuation des ordures, des cours de soutien scolaire aux élèves et des campagnes de sensibilisation sur certaines maladies courantes. Dans certaines activités elle bénéficie du soutien d’ONG ou d’organismes internationaux.

En 1995 l’action de l’ANBEP connaît un tournant qualitatif avec le projet d’appui aux dynamiques de quartier et d’amélioration du cadre de vie (PADAEC), conçu par Enda-Ecopop, qui vise à « consolider une démarche participative de lutte contre la pauvreté et de promotion de la citoyenneté dans les quartiers défavorisés de la banlieue Nord de Pikine ».

L’ANBEP, partenaire opérationnel du PADAEC, est impliquée dans le processus d’élaboration et d’exécution des projets qui tournent autour de l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable par la création de bornes fontaines et de branchements sociaux, de l’assainissement du cadre de vie (création de latrines, de puisards et ramassage des ordures), de la sensibilisation sur les MST et la protection de l’environnement.

Pour la concrétisation des ouvrages, la main d’œuvre est fournie par le quartier, ce qui permet aux jeunes d’acquérir des revenus et une certaine qualification professionnelle pouvant faciliter leur insertion sociale. Ainsi des animateurs-relais ont été formés sur les questions de MST, de gestion de l’environnement, des modules sur les techniques de gestion et de comptabilité élaborés à l’intention des groupements de femmes qui bénéficient des prêts tournants initiés par l’association. Les écoles du quartier ainsi que les enseignants sont mis à contribution.

Ce projet a beaucoup amélioré les conditions de vie des habitants avec la mise en place d’un réseau d’assainissement et d’approvisionnement en eau potable. Il a aussi apporté une certaine réponse à la question de la précarité en permettant à certaines catégories sociales vulnérables (femmes et jeunes) d’avoir des sources de revenus.

Si l’ANBEP avec ses partenaires a réussi, c’est par la synergie qu’elle a su créer en impliquant tous les secteurs par un système de communication différencié et approprié (vieilles personnes, jeunes, femmes, enseignants, etc) reposant sur le quartier, qui est vécu par les habitants comme un espace commun à protéger et à valoriser. De fait l’association s’érige en autorité locale reléguant la mairie au second plan.

En effet les relations avec la ville (Commune de PIKINE) et la commune d’arrondissement (Yeumbeul Nord) sont marquées par la méfiance : l’ANBEP est perçue comme une rivale dans la mesure où elle empiète sur les compétences de service public en réalisant certains services dévolus à celle-ci. La situation est d’autant plus compliquée que certains membres influents de l’association sont impliqués dans les luttes politiques locales. L’ANBEP met ainsi à nu la carence du pouvoir local. Ainsi, à certains moments, le maire a fait arrêter des travaux des puisards, prétendant ne pas être au courant. Récemment l’ANBEP, bien que fortement représentative des populations, n’a pas été invitée au Forum de la commune d’arrondissement (présence des associations, des ONG, des élus etc.) dans le cadre du Projet de ville de PIKINE. Or ce forum devait élaborer le Programme d’Action Prioritaire de la commune d’arrondissement, un programme stratégique de développement. De plus ces assises ont été co-organisées par la mairie et l’ONG internationale partenaire de l’ANBEP. Face à ces difficultés l’ONG joue un rôle de médiateur pour rapprocher les deux parties.

D’ailleurs le lancement de la 2ème phase du PADAEC (1999-2000) s’est fait en présence des maires, ce qui est une amorce de dialogue et le PADAEC envisage un changement d’échelle en intégrant le projet dans le programme de la Ville de PIKINE en accord avec les maires.

Commentaire :

La citoyenneté est perçue à travers le PADAEC comme une dynamique concrète de terrain autour de projets collectifs pris en charge par les populations. Cette démarche permet de créer les conditions minimales d’écoutes par la mise en place d’un cadre de vie relativement décent. Mais l’auto-gestion et l’auto-organisation autour d’ouvrages d’utilité ne saurait être synonyme de citoyenneté même si par ailleurs elles contribuent à sa construction. Il s’agit de leur donner du sens en les articulant à la capacitation des habitants afin qu’ils puissent sommer le pouvoir d’assumer son rôle. C’est ainsi seulement qu’on en arrivera à une situation où les deux acteurs se partageront les rôles à travers le dialogue.

Le rôle des ONG et des organismes internationaux dans le financement pose problème quand on sait que l’essentiel des fonds est apporté par eux alors que les populations n’apportent qu’une somme symbolique (dans le cas du PADAEC cela équivaut à 5%) qui n’a aucune influence sur le déroulement du projet. Le danger à terme est le péréclitement des ouvrages avec le retrait des bailleurs car l’effort principal de création est externe. L’argument invoqué pour justifier ce système est la pauvreté or, le constat est que les populations se cotisent pour la construction d’ouvrages très coûteux sans aucune intervention externe (ex : la construction et l’équipement d’une mosquée).

De fait les bailleurs de fonds se substituent à l’État. La responsabilité de l’État est occultée, ce qui est un frein à l’épanouissement de la citoyenneté.

Ainsi se posent un certain nombre de questions sur le rôle des ONG ou des organismes internationaux face à la carence de l’état et à la capacité d’auto-prise des populations.

Sources

CERPAC (Centre d’Études et de Recherches Populaires pour l’Action Citoyenne)

L’ANBEP

To go further

Bulle S. Gestion urbaine et participation des habitants : quels enjeux, quels résultats ? Le cas de Yeumbeul, Sénégal

LEGROS O. 2003. Le gouvernement des quartiers populaires. Production de l’espace et régulation politique dans les quartiers non réglementaires de Dakar (Sénégal) et de Tunis (Tunisie), Thèse en Géographie, Université François Rabelais - Tours

Expérience genre et eau n°5 : Projet de développement social des Quartiers (DSQ), Yeumbeul/Malika, Sénégal. Expérience présentée par Seydou Sow, consultant en gestion urbaine, spécialiste « villes en développement ». Pour cette action, il était chargé de projet au sein de l’ONG Enda Tiers-Monde (Programme Ecopop).