Les enjeux territoriaux : vers un nouveau modèle territorial ?

Séquence 2.1 du MOOC

Marie Fare, novembre 2017

Cette séquence revient sur les défis environnementaux, sociaux, économiques et symboliques contemporains invitant les acteurs à inventer un nouveau modèle territorial pour faire face à ces enjeux.

À télécharger : 2_les_monnaies_complementaires_dans_les_dynamiques_territoriales3.pdf (890 Kio)

Contexte de crise

S’il ne s’agit pas de revenir en profondeur sur le contexte économique actuel, rappelons ici quelques facteurs démontrant le caractère insoutenable et non souhaitable de notre modèle de développement, c’est-à-dire finalement un contexte de crise systémique à la fois économique, sociale, environnementale et culturelle.

Tous ces facteurs trahissent comment, dans les champs économique, social, démocratique et symbolique, nos sociétés se trouvent face à des défis qu’elles doivent relever.

Le besoin de repenser notre modèle de développement

Cette crise nous invite à repenser notre modèle de développement et à inventer un nouveau projet de société ancré dans la démocratie, le bien-être individuel et collectif, la coopération, le partage équitable des ressources, la participation citoyenne et le « faire commun » (Bollier, 2014).

En d’autres termes, cette transformation touche à l’ensemble des sphères économique, sociale mais surtout culturelle et symbolique, notamment en déconnectant la consommation matérielle du bien-être censé en découler. Il est plus que temps d’imaginer des solutions innovantes capables de répondre aux défis contemporains. Cela suppose de repenser le « faire société », nos façons d’agir et d’être et d’enclencher une véritable transition écologique, sociale et démocratique. Les territoires et leurs acteurs sont la clé de voûte de l’implication citoyenne et de la démocratie par la mise en œuvre d’expérimentations concrètes comme « les monnaies complémentaires », ouvrant ainsi la voie vers une transformation de nos sociétés.

Le rôle de la monnaie face à ces enjeux

A cet égard, la monnaie constitue un puissant levier de changement, il s’agit d’ouvrir ici un double débat.

Repenser l’organisation monétaire

Le premier débat porte sur l’intérêt – et peut-être l’urgence - de penser autrement la monnaie, c’est-à-dire dans sa capacité transformatrice. Les monnaies sociales et complémentaires, par la grande variété et richesse de leurs pratiques, nous invitent à repenser l’organisation monétaire. Leurs logiques bottom-up (par le bas, ascendante), intégrant l’imbrication entre les différentes échelles du pouvoir monétaire mais à partir d’un dispositif pyramidal renversé, remettent à l’ordre du jour la question de la démocratie comme nécessairement au cœur d’un système économique posant des principes de relocalisation (du débat, de l’économie et de la finance, de la production, etc.). Ce faisant, elles interrogent et remettent en cause l’imaginaire monétaire dominant en ouvrant la voie à une pluralité monétaire (pluralité des institutions, pluralité des souverainetés, pluralité des usages, des formes, des objectifs, des impacts). En effet, la plasticité des systèmes monétaires à l’échelle d’un territoire ou d’une communauté – ainsi que les possibilités ouvertes par l’utilisation des principes monétaires à des fins définies par des groupes spécifiques d’acteurs, y compris de citoyens – reste trop peu étudiée.

Plusieurs facteurs contribuent à entretenir cet angle mort (Séance 1) : la représentation commune de la monnaie comme objet de souveraineté coupé des dynamiques citoyennes ; le champ d’influence encore trop restreint de la plupart des monnaies sociales et complémentaires ; leur dimension souvent folklorique, conviviale et joyeuse, qui tranche avec le sérieux de la fonction monétaire et son inscription dans l’univers bancaire et technocratique.

La monnaie comme levier de changement

Le second débat porte sur les chemins qu’empruntera cette transition, sur le rôle et la place des territoires, ainsi que sur les formes nouvelles d’expression et d’action adoptées par la démocratie. En cela, les territoires sont de plus en plus reconnus comme des échelles pertinentes pour penser et impulser des transformations, au travers d’articulations revisitées avec les autres échelles territoriales. Ces réflexions – et pratiques - innovantes réclament une véritable stratégie de développement territorial pratiquant mieux l’hybridation d’outils-leviers multiples et combinables, l’interaction pragmatique et politique d’acteurs aux intérêts divers voire divergents, tout en repensant les modes de gouvernement afférents, recomposant ainsi le tissu matriciel de nos rapports sociaux.

En réaction à la crise systémique que nous traversons, de nombreux acteurs développent dans des territoires des initiatives (nouveaux indicateurs territorialisés de richesses, circuits courts, finance solidaire, etc.) qui interrogent et transforment nos rapports à la richesse, à l’échange, à la consommation, à la production ou encore au travail : ces territoires constituent ainsi des espaces clés d’expérimentation, sur lesquels des processus concrets de transition voient le jour.

Le territoire est le lieu propice pour répondre à la crise systémique dans la mesure où il constitue « la brique de base » (Theys, 2002) permettant de déployer l’action collective tout en tenant compte des spécificités territoriales et en opérationnalisant la possibilité d’élaborer de manière partagée les conditions du « faire société ». Il s’agit alors ni plus ni moins que de construire les fondements d’une société nouvelle à travers la territorialisation des activités et des enjeux systémiques.

Dans cette perspective, le territoire est pensé différemment du paradigme dominant relatif à l’attractivité et à la compétitivité : les territoires ne pourraient connaître un processus de développement que s’ils sont attractifs, c’est-à-dire que s’ils offrent des conditions suffisantes pour attirer des acteurs (entreprises) et des capitaux (investisseurs) capables d’exporter leur production du fait de leur compétitivité. Les territoires sont ainsi mis en concurrence afin d’augmenter leur attractivité. La dynamique territoriale qui en résulte est exogène et repose sur la localisation de firmes exportatrices. Au contraire, dans une conception où l’accent est mis sur la proximité et la soutenabilité, le territoire apparaît comme lieu de vie, de résidence comprenant un ensemble d’activités socioéconomiques à vocation locale.

Les monnaies complémentaires sont diverses, tant dans leur architecture monétaire que dans les moyens mobilisés et les démarches mises en place. Cependant elles partagent des mobiles communs, comme le soutien à des dynamiques territoriales socioéconomiques et politiques, l’instauration de nouvelles pratiques économiques reposant sur de nouvelles normes (sociales et environnementales) et le développement de la capacité d’agir des individus et des communautés. Des finalités que nous développerons dans la séquence suivante. S’il est relativement aisé de voir dans le développement et l’émergence de ces différentes monnaies une réponse à la crise économique, certaines d’entre elles s’inscrivent résolument dans un projet politique plus vaste, transformateur, où il s’agit d’interroger en profondeur le faire société. Si nous avons choisi de concentrer notre propos sur ces monnaies complémentaires, c’est bien parce qu’elles permettent de repenser la place des territoires, de la monnaie et nos rapports à l’économie. L’enjeu est en effet qu’elles participent à construire une société socialement juste, écologiquement responsable, humainement décente et politiquement démocratique.

Références

BOLLIER D., 2014, La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer. Accès à l’ouvrage

THEYS J., 2002, « L’approche territoriale du “développement durable”, condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires, Dossier 1, 2002 : « Approches territoriales du développement durable ». Accès au dossier