Les banques de temps et les monnaies temps

Séquence 3.3 du MOOC

Pascale Caron, Lucile Marjollet, Catalina Duque Gómez, novembre 2017

Les banques de temps et la monnaie-temps fonctionnent sur l’échange de services entre personnes. Elles se basent sur deux idées clés : une heure de temps vaut une heure de temps, peu importe le type de service échangé, et tout le monde à quelque chose à apporter. Elles jouent un rôle important de cohésion sociale, d’insertion et d’amélioration de la qualité de vie.

À télécharger : 3.3_fiche_analyse_banques_de_temps.pdf (280 Kio)

Définition : les banques de temps

Une banque de temps est un réseau d’échange qui permet aux particuliers d’échanger entre eux des services. Le réseau opère avec une monnaie complémentaire qui permet de valoriser des échanges. La particularité par rapport à d’autres monnaies complémentaires, c’est la monnaie-temps qui mesure la valeur des services échangés. Au lieu de les valoriser par une monnaie classique comme l’euro, une banque de temps comptabilise le temps passé à fournir un service : la monnaie-temps.

Le principe de valorisation des monnaies-temps est radicalement différent par rapport aux autres types de monnaies complémentaires : on considère qu’une heure vaut une heure, quelque soit le service fourni. Pour reprendre les critères évoqués par Jérôme Blanc (voir « Comment coexiste la pluralité des monnaies »), il s’agit donc d’une monnaie inconvertible – le temps est uniquement convertible en temps – et qui fonctionne en circuit fermé – le temps ne peut être échangé qu’au sein de la banque de temps –.

Les origines et sa dissémination

La première monnaie-temps, la « Timedollar », a été créée à Miami (Floride, Etats-Unis) par Edgar Cahn, qui faisait le constat d’un délitement des liens sociaux et d’une baisse des budgets publics rendant difficile l’accès à des services pour les plus démunis. Cette idée s’est répandue à partir des années 1990 : en Italie, au Royaume Uni, au Canada, …

Les banques de temps prennent aujourd’hui différentes formes, avec des liens plus ou moins forts avec des Fondations, des collectivités locales et des services sociaux. Les Accorderies, nées au Québec, constituent aujourd’hui un des principaux réseaux de banques de temps qui ont pour objectif de lutter contre l’exclusion et la pauvreté.

Le fonctionnement

Le fonctionnement d’une banque de temps est très simple. Chaque membre possède un « compte temps », aujourd’hui géré principalement sur internet. Ce compte lui permet de faire des demandes de services et de répondre aux demandes des autres membres. Une fois que l’échange a lieu, le demandeur va transmettre à la banque de temps un « chèque temps », qui va permettre de créditer du temps sur le compte de l’offreur. Le principe est le même que pour un compte bancaire, avec un crédit et un débit. Mais la monnaie-temps n’est pas spéculative, et ne permet pas d’accumuler des richesses indéfiniment. Son seul objectif est de marquer l’échange entre des personnes.

L’offre de services est très diverse et traverse toute la vie quotidienne des personnes. Une banque de temps répond aux besoins des personnes : de l’aide pour des petits travaux (entretien, jardinage, etc.), des échanges autour du bien-être, maternité, esthétique, accompagnement (courses, promenade, lectures..), garde d’animaux, apprentissage de langues, musique, conseils en littérature, informatique, bureautique. Les domaines sont très variés et dépendent des compétences des membres de chaque banque de temps.

D’un point de vue légal, les échanges de services entre membres de la banque de temps sont légaux tant qu’ils ne sont pas liés à son activité professionnelle, qu’ils restent ponctuels et de courte durée. Le cadre légal existe en France grâce à la reconnaissance des SEL, c’est-à-dire des Systèmes d’Echange Locaux. Bien que différents, car les banques de temps n’échangent pas de biens, c’est le cadre légal des SEL qui s’applique. C’est le procès de 1998 – où trois membres du SEL Pyrénéen ont été condamnés par le tribunal de grande instance de Foix (Ariège) pour travail clandestin (Laacher, 1998 ; Sénat, 1998) – qui a amené les acteurs à clarifier la nature des échanges de services et de biens possibles au sein des SEL.

Les apports au développement local

Les apports des banques de temps au développement local concernent différentes dimensions. Gill Seyfang (2006) a proposé d’évaluer l’apport de la banque de temps britannique « Stonehouse Time Bank » en termes d’inclusion sociale sous trois dimensions ou « niveaux de citoyenneté » : économique, sociale et politique. Comme le montre l’exemple du réseau des Accorderies en France (voir la fiche de cas), les membres sont principalement des personnes qui connaissent ou ont connu une situation de précarité. D’une part, la banque de temps contribue à l’amélioration de la qualité de vie des populations, leur permettant d’avoir accès à des services qu’ils ne pourraient pas payer (« citoyenneté économique »). Tout en jouant, d’autre part, un rôle central dans la lutte contre l’exclusion : ce sont des lieux de socialisation, de construction de la solidarité et de valorisation de chacun (place au sein de la société, apports au collectif : « citoyenneté sociale »). Elles contribuent également à renforcer le pouvoir d’agir des membres (« citoyenneté politique »), en les intégrant aux processus décisionnels et gestionnaires des structures et en leur redonnant confiance en eux pour prendre en main leur destin. Elle leur permet de s’identifier comme des acteurs du changement et porteurs de valeurs partagées.

Par ailleurs, les banques de temps interrogent deux éléments fondamentaux : la valeur accordée à certaines activités et le modèle de développement local et son influence sur la capacité des acteurs locaux à satisfaire leurs besoins. En premier lieu, les banques de temps accordent une valeur à certaines activités du quotidien (tenir compagnie, faire des courses, aider aux devoirs,…) et à des compétences (écoute, empathie, …) qui sont sous évaluées par la sphère commerciale. Ce qui est particulièrement important en termes de reconnaissance du travail quotidien (domestique et communautaire) apporté par les femmes (Seyfang, 2006 ; Lenzi, 2007).

Deuxièmement, la nature des services échangés au sein des banques de temps reflètent les difficultés qu’ont certaines populations à accéder à des services d’aide à la personne, d’alphabétisation, de formation aux outils informatiques, etc. Ces échanges sont d’autant plus importants dans des contextes de crise où le chômage est particulièrement élevé. Le cas de la banque de temps d’Athènes (Grèce) est particulièrement parlant à ce sujet, puisqu’elle permet l’accès à des soins spécialisés (psychologiques, médicaux) à une population confrontée à un marché du travail très tendu (voir le court documentaire d’Arte, 2012). Les banques contribuent ainsi à combler des défaillances des services publics, du marché des services (monétarisé) et de l’emploi.

Le rôle des collectivités locales

Les banques de temps ont un fort ancrage territorial. Par leur nature, les échanges ont lieu entre habitants d’un territoire délimité : qui peut être à l’échelle d’un quartier, d’une commune ou d’un bassin de vie. Leur développement et pérennisation représente une opportunité pour les collectivités locales qui visent à diversifier les programmes de lutte contre l’exclusion et, de manière plus générale, à favoriser l’expérimentation et à élargir leur approche du développement local (renforcement du capital social et culturel). En effet, comme cela a été constaté pour les SEL en général, leur succès repose dans le portage citoyen des initiatives et la pérennisation grâce à un soutien logistique institutionnel (mise à disposition de locaux, financement de l’équipe d’animation, reconnaissance dans le cadre des politiques sociales, etc.). Le principal rôle des collectivités locales est de soutenir les initiatives citoyennes liées des banques de temps et non d’initier des banques de temps de manière descendante.

Références

Fare Marie, 2009, « L’Accorderie (Québec) : un dispositif de monnaie sociale singulier? », Économie et Solidarités, 40(1-2), 2–16. Accès à l’article

Laacher Smaïn, 1998, « L’État et les systèmes d’échanges locaux (SEL). Tensions et intentions à propos des notions de solidarité et d’intérêt général. », Politix, vol. 11, n°42, Deuxième trimestre 1998. pp. 123-149. Accès à l’article

Lenzi Catherine, 2007, « Entre vie privée et espace public, l’échange de travail contre du travail, quelle mobilité des temps ? Le cas des SEL français et des banques du temps italiennes. », in Claire GAVRAY (dir.), Femmes et mobilité, Université de Liège, FERULg, Cortext, 2007. pp 181-200. Accès à l’article

Seyfang Gill, 2006, « Les banques de temps au Royaume Uni : construire des communautés viables », Monetary Regionalisation conference, Septembre 2006. Accès à l’article

Sénat, 1998, « Statut des systèmes d’échanges locaux (SEL) », Question écrite n° 05794 de M. Emmanuel Hamel (Rhône - RPR), JO Sénat du 29/01/1998 - page 287. Accès à la question

En savoir plus

Roux Anne-Sophie et Dagron Tiénot, 2017, « Time Bank : une monnaie alternative qui remplace l’argent par du temps », We Demain.fr. Accès à l’article

Des exemples de banques de temps :

Des vidéos :

  • Arte, 2012, Génération Solidarité : la Banque du Temps. Accès à la vidéo

  • La chaine youtube : Monnaies En Débat

  • Reseau Accorderie, 2011, L’Accorderie: système d’échange de services. Accès à la vidéo

  • Accorderies Quebec, 2013, « Le temps, une richesse ». Accès à la vidéo