Les monnaies complémentaires à vocation environnementale : le regard de l’ADEME

Séquence 3.6 du MOOC

Catalina Duque Gómez, Interview de Valérie Weber-Haddad, économiste à l’Ademe, novembre 2017

On entend par « monnaies complémentaires à vocation environnementale » les différents dispositifs qui visent à favoriser un comportement plus vertueux sur le plan environnemental ou qui visent à produire des aménités environnementales. Ces dispositifs expérimentaux ont fait l’objet d’une étude menée par l’Ademe en 2016. Il s’agit de comprendre leur fonctionnement et d’explorer leur potentiel de levier dans le cadre des politiques de développement durable.

À télécharger : 3.6_entretien_ademe1.pdf (400 Kio)

Le rôle de l’Ademe et son intérêt pour les monnaies complémentaires

Pour répondre à votre question, le mieux est sans doute de rappeler les missions de l’Ademe telles qu’elles sont définies dans le Code de l’Environnement : « l’ADEME est un des opérateurs clés de l’Etat pour entraîner la société dans la transition écologique et énergétique, vers un modèle économe en ressources, plus sobre en carbone, avec un impact soutenable pour l’environnement, et moteur du développement économique et social ».

Dans le cadre de ses missions, l’ADEME assure notamment une expertise et une fonction de conseil sur le financement de la transition écologique et énergétique (TEE). Par ailleurs, l’Agence assure une veille sur les innovations sociales et peut apporter son soutien aux innovations jugées les plus prometteuses pour accompagner le déploiement de la TEE. Le sujet des monnaies locales complémentaires est ainsi au carrefour de ces deux thématiques suivies par l’ADEME « financement de la TEE » et « innovations sociales ».

C’est dans ce cadre que nous avons lancé une étude sur les monnaies locales complémentaires environnementales (MLCE) qui a fait l’objet d’un rapport publié fin janvier 2017.

Les monnaies complémentaires « environnementales »

Dans notre étude, nous les avons définies comme des monnaies qui visent à favoriser un comportement plus vertueux sur le plan environnemental ou qui visent à produire des aménités environnementales. C’est donc un type d’objectif et non un type de monnaie particulier. Notre étude montre que ces objectifs sont poursuivis dans trois grandes catégories de monnaie complémentaire.

Fonctionnement des MC à vocation environnementale en fonction des 3 catégories (Ademe, 2017, p.25)

La première représente les monnaies locales « vertes » : elles flèchent la consommation vers les acteurs économiques plus respectueux de l’environnement. Les utilisateurs de ces monnaies sont encouragés à effectuer leurs achats au sein d’un réseau de partenaires sélectionnés pour leur engagement environnemental et leur ancrage sur le territoire de diffusion de la monnaie. Parmi les exemples en France, on peut mentionner des monnaies locales comme Sol Violette, Eusko, Héol.

La deuxième catégorie représente les monnaies « de récompense » : elles ont vocation à encourager les citoyens et les entreprises à adopter un comportement plus respectueux de l’environnement, via l’adoption d’éco-gestes (tri des déchets, mobilité durable, production d’énergies renouvelables, etc.). Parmi les exemples en France, on peut mentionner des monnaies comme EcoSyst’M, Solar Coin, Compte CO2.

La troisième catégorie regroupe les monnaies « d’échanges » : elles encouragent les échanges « peer to peer » pour favoriser la mutualisation des ressources, le réemploi et la seconde vie des produits ainsi que les échanges de services ou de produits plus respectueux de l’environnement. Parmi les exemples en France, on peut mentionner les systèmes d’échange locaux (les SEL) ou MyTroc.

L’impact environnemental des monnaies complémentaires

L’étude a évalué quatre monnaies locales complémentaires environnementales sur le plan environnemental et économique, 3 en France et une à l’étranger :

L’analyse transversale de ces quatre monnaies locales complémentaires environnementales fait ressortir un décalage fréquent entre les ambitions affichées et les résultats réels ; cela s’explique notamment par le caractère récent des dispositifs et l’absence de méthodologie de suivi et de mesure des impacts.

On peut constater des coûts de mise en œuvre élevés pour des bénéfices économiques difficiles à capter. Les coûts importants auxquels font face les dispositifs de monnaies locales complémentaires environnementales constituent la principale cause d’arrêt des dispositifs. Le lancement de la monnaie est particulièrement coûteux et un certain temps est nécessaire pour que le nombre d’utilisateurs et de prestataires de la monnaie augmente et que de nouveaux partenaires s’associent au dispositif. Un soutien financier extérieur est donc indispensable à la monnaie, au moins dans ses premières années. De plus, les bénéfices socio-économiques liés aux monnaies locales complémentaires (augmentation du chiffre d’affaires des prestataires, augmentation du pouvoir d’achat pour les consommateurs, création d’emplois, etc.) sont difficilement quantifiables, ce qui rend peu aisé la définition d’un modèle économique.

On peut également constater que les impacts environnementaux restent difficiles à mesurer et sont à l’heure actuelle, quand il est possible de les quantifier, de faible ampleur. Les dispositifs étudiés en France demeurent des dispositifs récents et de petite taille, avec un nombre d’utilisateurs réduit et par conséquent des impacts environnementaux eux aussi assez faibles.

Le renforcement de l’impact environnemental des monnaies complémentaires

L’étude a permis de dégager des facteurs de succès pour les monnaies locales complémentaires environnementales :

Si les impacts réels des monnaies complémentaires sont actuellement difficiles à mesurer sur le plan environnemental et apparaissent de faible ampleur, les MLCE constituent un outil au potentiel très intéressant pour la transition énergétique et écologique :

Deux pistes d’action se dégagent pour l’ADEME, en lien avec sa mission d’accompagnement de la transition écologique et énergétique sur le territoire :

En Bretagne, la Direction régionale de l’ADEME soutient le fonctionnement d’une monnaie locale (l’Héol) en cofinançant un poste salarié qui anime et coordonne les actions de l’association créée en juin 2015. Le bilan réalisé par l’association en juin 2017 montre de réels changements de comportements induits par la monnaie locale en faveur de la TEE :

En Normandie, la Direction régionale de l’ADEME est actuellement associée à l’étude de faisabilité de la monnaie régionale que le Président de Région souhaite voir mise en œuvre à partir de début 2018. La prise en compte du développement durable de manière transversale (en ce qui concerne les prestataires, le fonds de réserve, le suivi et l’évaluation) fait partie des objectifs de cette première expérimentation à une échelle régionale. Cette future monnaie régionale aura un format numérique et devra notamment trouver la meilleure articulation possible avec les deux autres monnaies locales préexistantes sur le territoire (l’Agnel à Rouen et le Grain au Havre).

Références

Ademe, Vertigo Lab, 2017, Les Monnaies Locales Complémentaires Environnementales. État des lieux, impacts environnementaux et efficacité économique. 175 p. Accès au rapport

En savoir plus

L’Agnel à Rouen et Elbeuf

Le Grain au Havre

L’Héol sur le Pays de Brest

Le Sol-Violette à Toulouse

Le programme Eco-mileage

Le dispositif EcoSyst’M

Le Compte CO2