Les monnaies hybrides

Séquence 4.3 du MOOC

Wojtek Kalinowski, November 2017

L’Institut Veblen pour les réformes économiques (Veblen)

Les « monnaies hybrides » sont des dispositifs qui répondent à plusieurs catégories de monnaies complémentaires, comme c’est le cas de Sonantes. Nous revenons ici sur la nature de ces innovations et leurs défis en nous appuyant aussi sur le cas de Sardex.

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Nous venons de parler de la monnaie Sonantes, qui est un exemple d’une monnaie « hybride ». Nous avons vu que derrière ce terme, on retrouve l’idée de croiser les différents types de monnaie. Dans le cas de Sonantes, cette monnaie est à la fois une monnaie de crédit réservée aux entreprises et une monnaie locale accessible à tout le monde. Dans cette séquence, nous allons poursuivre et commenter cette question d’hybridation. C’est une question importante, car de nombreux projets cherchent aujourd’hui des voies pour innover, pour trouver des synergies, pour mieux connecter des initiatives.

Difficultés : différence entre barter et monnaie locale

Fusionner des modèles différents au sein d’un dispositif unique peut poser des problèmes techniques particuliers. Car chaque monnaie possède à la base sa logique propre. Dans l’exemple de Sonantes que nous venons de voir, quelle est la différence entre le barter et la monnaie locale ?

La différence fondamentale est la suivante. Dans le cas du barter, le circuit monétaire commence dans la relation commerciale qui relie les entreprises entre elles. Le barter est un circuit monétaire « B2B », autrement dit une monnaie « business-to-business ». Et la monnaie interne du réseau est une monnaie de crédit : elle permet aux membres du barter de s’endetter. Mais ces dettes n’engagent que le réseau lui-même : un barter ne peut pas servir à s’endetter au sein du réseau et à utiliser cet argent à l’extérieur, dans le circuit monétaire classique. Pour que le réseau fonctionne, l’offre doit donc trouver sa demande à l’intérieur du circuit. C’est pour ça que cette monnaie n’est pas convertible en euro : si vous avez accumulé des avoirs, ces avoir doivent être dépensés au sein du réseau.

De son côté, une monnaie locale n’est pas une monnaie de crédit : nous avons vu plus haut que son émission est gagée à 100%. Pour chaque Eusko, Gonette ou Sol-Violette que vous mettez en circulation, vous avez mis de coté un euro dans un fonds de réserve. En principe, la sortie du système est parfaitement possible : vous vous présentez à la caisse d’émission avec votre monnaie locale, la caisse d’émission la récupère et vous rend vos euros en puisant dans le fonds de réserve. Nous l’avons vu dans le cas de l’Eusko : une entreprise peut récupérer les euros, même si elle a une pénalité de 5% au moment de la reconversion. Car dans le cas d’une monnaie locale, le circuit monétaire commence par les particuliers : les habitants convertissent les euros en Eusko et veulent ensuite les dépenser auprès des commerçants. Alors naturellement, la première question du commerçant sera « mais alors, qu’est-ce que je fais avec les Eusko après ? ». Les promoteurs de la monnaie vont lui expliquer qu’il peut la dépenser à son tour dans le réseau de ses prestataires, mais ce réseau reste encore à construire. En plus, nous ne savons rien sur les relations commerciales du commerçant : certains s’approvisionnent localement tandis que d’autres sur les marchés externes. En règle générale, la part locale des approvisionnements est faible, tout simplement parce que notre modèle économique actuel ne valorise pas assez l’économie locale. Relocaliser la production prendra du temps, même dans les secteurs qui s’y prêtent le mieux, comme l’agriculture, les énergies renouvelables et les services.

En pratique, les promoteurs de la monnaie locale n’ont pas d’autre choix que d’autoriser la reconversion en euros. Évidemment, tout le travail de développement du réseau vise à limiter cette conversion, et maintenir la monnaie en circulation. Mais on ne peut pas le garantir, surtout au début du projet, quand le réseau des prestataires est encore fragile.

En résumé, dans un cas, les membres du réseau peuvent s’endetter mais la conversion n’est pas possible. La monnaie circule uniquement à l’intérieur du réseau, sans possibilité de sortie. Dans l’autre cas, la monnaie locale communique avec l’euro, avec des entrées et des sorties du système, mais cette communication est protégée par le fonds de réserve.

Combiner les deux peut poser des problèmes, et nous avons vu la solution dans le cas de Sonantes : supprimer en pratique le droit de sortir du réseau, y compris pour les entreprises. Ce choix est possible dans la mesure où le réseau de prestataires commerciaux est déjà étoffé.

L’exemple de Sardex

En résumé, l’hybridation n’est pas toujours facile mais elle offre de nombreux avantages. Que le circuit commence par les particuliers ou par les entreprises, finalement on peut avoir les deux dans le même réseau. Prenons l’exemple de la monnaie Sardex en Sardaigne, lancée en 2013.

Cette monnaie a démarré comme un barter classique, autrement dit une plateforme d’échange réservée aux entrepreneurs sardes. Le Sardex est vite devenu un succès auprès des entreprises locales, car il répond à un vrai besoin, le besoin de crédit à court terme. La situation est donc différente de celle de Sonantes, où la fonction barter du dispositif reste marginale par rapport à la fonction de monnaie locale.

Et pourtant, les gestionnaires de Sardex ont eux-aussi choisi d’intégrer les particuliers dans le circuit. Car les entreprises ont tout intérêt à associer les particuliers : chaque particulier qui adhère représente une demande supplémentaire qui sera réservée aux entreprises membres du barter. Dans le cas de Sardex, cette adhésion concerne uniquement les salariés des entreprises membres du barter : les salariés reçoivent des avances sur salaire qu’ils peuvent dépenser au sein du réseau.

Pour finir, remarquons qu’il n’est pas toujours nécessaire de fusionner les différentes monnaies au sein d’un dispositif unique. Il existe au moins deux autres façons pour créer des synergies : on peut combiner les échelles, mais on peut aussi regrouper les acteurs locaux au sein d’une même démarche territoriale.

Combiner les échelles

Commençons par la question des échelles. La plupart des monnaies locales restent très locales. C’est à la fois une force et une faiblesse. Une force, car c’est à l’échelle locale qu’agissent les collectifs citoyens qui sont les véritables promoteurs des circuits locaux. Une faiblesse, parce que l’envie de développer le territoire ne se résume pas aux échanges locaux. Il faudrait changer d’échelle, mais sans retomber dans les travers d’une monnaie unique comme l’euro.

Une solution peut alors consister à créer une plate-forme régionale pour relier les différentes monnaies locales entre elles De telles plate-formes n’existent pas encore mais l’idée est souvent évoquée parmi les porteurs de projet. Et une expérimentation est actuellement préparée dans le réseau des monnaies locales en Belgique.

Synergies locales

Enfin, la deuxième façon est de regrouper les initiatives locales sous le même toit, sans pour autant fusionner les dispositifs. C’est le cas de l’association « La monnaie autrement » à Chambéry, qui accueille une Accorderie locale, donc une banque de temps, et une monnaie locale.

Du point de vue d’un territoire, il est tout aussi important d’avoir un réseau de SEL très local, une banque de temps qui marche et une monnaie locale : ces besoins sont complémentaires. Et les entreprises locales auraient tout intérêt à participer à un barter, mais l’échelle n’est pas forcément la même que pour les autres dispositifs.

La nature de l’hybridation

En résumé, il existe au moins trois façons de créer de la synergie et de renforcer les dispositifs existants :

Sources

Alternatives Economiques, 2016, Réinventons la monnaie, Dossier d’Alternatives Economiques en partenariat avec l’Institut Veblen. Accès au dossier

Amato M., 2016, « Sardex, plus qu’une monnaie pour les PME ! », Dossier d’Alternatives Economiques. Accès à l’article

To go further

Le site de Sardex

Riché P., 2016, « Sardex, une petite monnaie qui monte », Nouvel Obs. Accès à l’article