Quelles solutions en faveur de la relocalisation de la création de richesses ?

2014

Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV)

Alors qu’un grand nombre de collectivités locales européennes sont amenées à repenser leur financement et la gestion de leurs ressources face aux défis posés par les crises, certaines vont encore plus loin en remettant en cause certains « fondamentaux » du développement urbain. Dans ce troisième et dernier chapitre, il s’agit de mettre en valeur des initiatives cherchant activement à redessiner une autre approche du financement des territoires en plaçant le soutien à l’économie locale inclusive et solidaire au cœur des nouvelles préoccupations.

Comment remettre le local au cœur de son propre développement économique ? Comment créer un modèle économique qui génère des bénéfices financiers et extra-financiers pour la société, inclusifs et durables ? De quels leviers disposent les collectivités locales européennes dans ce but ? Suivant quel modèle coopératif ? Quel rôle pour les acteurs de l’économie et de la finance sociales et solidaires ? Comment identifier les externalités positives d’un projet, les quantifier et déterminer le niveau d’aide publique à mettre en œuvre ? Comment dépasser le stade expérimental ou isolé de ces initiatives pour assurer une prise en charge globale, unifiée et collective du développement économique local ? Autant de questions auxquelles les études de cas analysées ci-après s’attacheront à répondre.

À télécharger : innover_localement_pour_financer_les_territoires9.pdf (1,5 Mio)

Ces dernières cherchent toutes à favoriser le développement du tissu économique et social local grâce aux ressources endogènes du territoire, en utilisant pourtant des voies très différentes : de l’approche associative des biens communs du Community Land Trust Bruxelles à l’étude statistique des marchés publics à Manchester, en passant par la création de zones d’échanges privilégiées entrainée par une monnaie locale complémentaire à Brixton. Leur point commun repose essentiellement sur leur finalité, l’enracinement du tissu local dans son territoire. Elles ont été choisies en tant qu’exemples de politiques publiques locales menées en faveur de la relocalisation de la création de richesses transposables par n’importe quelle collectivité locale et représentent des expérimentations où les collectivités locales ont joué un rôle moteur important dans leur élaboration et leur conduite.

Vers une nouvelle approche du développement local… et global

De plus en plus présentes et se faisant écho les unes aux autres, de nombreuses démarches participent à la transformation des territoires : villes comestibles, villes en transition ou encore indicateurs alternatifs de richesse ou de bien-être. Ces dynamiques ont en commun de contribuer à alimenter la réflexion autour des concepts des biens communs et du droit à la ville, prônant souvent la rupture pour une transition sociale, écologique et démocratique. Animée prioritairement par des logiques de solidarité actives, ces initiatives invitent à un renouveau de la pensée économique locale. Pour le sociologue français Jean-Louis Laville, ces alternatives ont une fonction de transformation 1. Favorisant une approche endogène, orientée vers le territoire, ces initiatives viennent compléter les schémas classiques de financement (dotations, transferts, fiscalité locale, Partenariats Publics Privés ou encore recours au marché) ou d’optimisation de la gestion des dépenses (coopérations approfondies, réduction de la dépendance énergétique des territoires, révision des échelons territoriaux…) analysés dans les chapitres précédents. Elles laissent la place à une autre façon de produire, redistribuer, évaluer la richesse sur un territoire où l’économie locale catalyse le développement territorial : il s’agit de (re)prendre conscience et d’utiliser des potentialités économiques locales importantes parfois occultées par la mondialisation et son corollaire, la financiarisation de l’économie. Entrant en résonnance avec les systèmes de gestion territoriale, ces démarches suscitent l’intérêt des autorités locales qui les accompagnent et déploient des stratégies, outils et instruments financiers, économiques ou de suivi complémentaires permettant de transformer les modalités d’organisation de l’autorité locale ou des institutions rattachées, de promouvoir un accès équitable aux services publics et d’engager un nouveau cycle dynamique de relations avec ses habitants, en d’autres termes, une culture de la participation 2. Lieux propices à l’expérimentation et à la coopération, les territoires urbains expérimentent, développent et accompagnent des pratiques de développement local intégrées et inclusives. Loin d’exclure ou de marginaliser les plus pauvres, ces initiatives engendrent un renouveau du développement urbain dans lequel chacun trouve et a sa place.

Repenser la gouvernance des territoires, resituer le rôle des collectivités locales pour soutenir l’économie locale

Les trois études de cas présentées dans ce chapitre sont des exemples de la transformation en cours du rôle des collectivités locales dans la gestion des territoires et de la gouvernance des services publics urbains, actuellement tiraillés entre des impératifs de performance et une réflexion plus large sur leur durabilité, conceptualisée par des courants comme la coproduction 3 ou l’économie sociale et solidaire (ESS). La coproduction consiste à impliquer opérateurs professionnels et bénéficiaires de services à tous les stades de la provision de ce dernier (de la conception à la distribution, en passant par le contrôle et l’évaluation) afin d’améliorer son efficacité et réduire les coûts. Elle est souvent mise en parallèle avec l’ESS qui, selon le Ministère des Finances français, désigne « un ensemble d’entreprises […] dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. Ces entreprises adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs4». Une autre définition, plus courante ailleurs en Europe dont le Royaume-Uni et que l’on pourrait qualifier d’entreprenariat social, distingue les organismes de l’ESS des autres en ce qu’ils partagent la même finalité, celle de poursuivre l’objectif de l’intérêt général et non le profit. En cela ces organisations rejoignent les préoccupations des collectivités territoriales. Il n’y a donc pas de définition de l’ESS unanimement partagée en Europe mais bien des définitions variables selon les traditions économiques et sociales. Malgré ces différences, l’ESS est une réalité européenne : ce secteur représente 10 % de l’emploi dans l’UE 5. Elle apporte un nouveau regard et de nouvelles solutions à des défis que les approches classiques ne parviennent pas à résoudre en relocalisant les enjeux globaux, facilitant de la sorte leur appropriation par des acteurs (citoyens, associations, entrepreneurs et élus locaux) qui n’auraient pu le faire au-delà de l’échelle locale. Dans ce cadre de reconfiguration de la gouvernance des services publics (coproduction) et du rôle des acteurs privés dans la poursuite de l’intérêt général (ESS), les collectivités locales se retrouvent au centre d‘intérêts qui convergent vers le développement local durable. Au niveau international, la Commission Européenne et l’OCDE portent cette nouvelle vision enracinée à l’échelle locale (« place-based approach 6 ») et souhaitent renforcer les leaderships locaux forts 7. Tout l’enjeu des politiques et stratégies innovantes qui émergent dans les villes et territoires européens est donc de favoriser le déploiement des valeurs et principes de l’économie sociale et solidaire dans un contexte international encore peu conforme avec les principes de cette dernière.

Des initiatives concrètes en faveur du développement économique local, moteur du développement territorial

Fort est à parier que dans un contexte économique et social en mutation, l’ensemble des collectivités locales européennes devront trouver de nouvelles sources endogènes de financement du développement économique local. Ce chapitre suggère une autre approche des territoires et de la ville durable et la perspective d’un nouveau modèle socio-économique ancré dans la réalité quotidienne. Dans des sociétés durablement marquées par une crise multiforme, les collectivités et territoires locaux peuvent en effet initier des politiques qui refondent les stratégies classiques de développement grâce aux liens endémiques préexistants entre les acteurs d’un même territoire et sans engendrer de coût supplémentaire à moyen et long terme pour la collectivité. Le développement économique local dépend largement de l’action conjointe et concertée de l’ensemble des parties prenantes sur un territoire (élus, entreprises locales, associations…). Pour ces acteurs urbains, une politique de développement local endogène permet d’amplifier et d’ancrer la richesse créée dans le territoire, et d’y consolider la cohésion économique et sociale. A l’image du renforcement de la politique de passation de marchés publics favorisant les acteurs locaux, des monnaies locales complémentaires, ou encore du développement des Community Land Trust étudiés dans ce chapitre, l’objectif est donc d’apporter aux collectivités locales, les moyens de structurer un partenariat gagnant-gagnant avec les acteurs locaux afin de créer des opportunités de développement. Chacun à leur manière et dans leur contexte, ces dispositifs ont démontré leur utilité et leur pertinence. Cependant, parce que ce sont des politiques innovantes prenant le contre-pied des grandes tendances mondiales de l’économie, elles se heurtent encore souvent à des incompréhensions ou préjugés qui peuvent freiner leur mise en œuvre. Ainsi, alors que le tiraillement fait foi entre compétitivité internationale et développement économique local, une nouvelle notion émerge, celle de la « viabilité 8 » des systèmes. Prenant en compte intrinsèquement les externalités positives et négatives d’une action, d’un projet de développement, cette notion de viabilité ouvre de nouvelles perspectives. L’heure n’est pas (qu’) au verdissement de l’économie mais aussi à la recherche d’une juste organisation et participation territoriales.

1 Pour plus d’information, visitez le blog de Jean-Louis Laville

2 « Basic services for all in an urbanizing world » - Annexe sur les métropoles - Rapport GOLD III

3 Pour en savoir plus, rdv sur www.fmdv.net ou Citego.org

4 Le portail de l’économie et des finances (modifié le 08/11/2013) Qu’est-ce que l’économie sociale et solidaire ? Centre de documentation économies & finances

5 Manon Désert (avril 2014):L’économie sociale et les élections européennes : enjeux et perspectives. Pour la solidarité, collection working papers

6 F. Barça (2009) An Agenda for a Reformed Cohesion Policy - A place-based approach to meeting European Union challenges and expectations. Independent Report prepared for Danuta Hübner, Commissioner for Regional Policy

7 Principes de Barcelone, promus par le programme LEED de l’OCDE : G.Clark (2009) Recession, Recovery and Reinvestment: The Role of Local Economic Leadership in A Global Crisis

8 « Rivalité des puissances ou humanisation, il faut choisir » : notion de viabilité de Xavier Ricard p 158 – Revue Projet « quel travail sans croissance ? » - oct-déc 2013