La réhabilitation thermique des bâtiments existants, un enjeu majeur pour la Chine

Michel RAOUST et Aymeric NOVEL, 2012

Collection Passerelle

La consommation énergétique des bâtiments représentait en 2008 environ 28 % de la consommation totale d’énergie finale de la Chine. Cette consommation est très contrastée, entre des villes très énergivores et des régions rurales où la consommation d’énergie reste faible, assurée principalement dans les logements par la biomasse. L’urbanisation croissante et la demande accrue de confort associée à une augmentation du pouvoir d’achat poussent les consommations d’énergie à la hausse. Les constructions neuves en milieu urbain voient leur efficacité énergétique s’améliorer grâce à l’impact des réglementations thermiques de plus en plus contraignantes et à un meilleur taux d’application de ces dernières, même s’il reste encore des progrès énormes à accomplir. Par contre, le parc des bâtiments existants représente un gisement considérable d’économies d’énergie. Il y a plus de 7 milliards de m2 de logements en zones urbaines dont une grande partie pourrait faire l’objet de mesures simples d’économies d’énergie !

Avec le 12ème Plan quinquennal, la Chine entend réduire de 17 % son intensité carbone avant 2015 et elle s’engage également à faire passer à 11,4 % (contre 9,6 % actuellement) la part des énergies non–fossiles dans son « mix énergétique ». Ces deux objectifs sont définis à l’échelle nationale et sont en voie de déclinaison par province puis par ville. Bien que ce processus vertical prenne habituellement un temps difficile à estimer en Chine, nous savons que le gouvernement pousse qualitativement la réhabilitation énergétique du parc immobilier existant. En effet, si le 11ème plan avait mobilisé des investissements dans l’industrie pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre, le 12ème plan quinquennal devrait permettre d’englober tous les secteurs de l’économie – dont celui du bâtiment – afin d’atteindre une meilleure efficacité énergétique. Le plan prévoit par exemple de développer considérablement les mécanismes de marché type ESCo (Energy Services Company) qui existent déjà mais qui doivent pouvoir se généraliser à des périmètres d’intervention élargis.

D’autres thèmes abordés sont les certifications environnementales des bâtiments avec utilisation de matériaux régionaux ou recyclables, de bois certifié, de sources d’énergies propres, avec incitation aux transports dits « doux » ou à une meilleure gestion de l’eau. Mais l’efficacité énergétique est clairement un objectif prioritaire car très directement liée aux émissions de carbone. Cela étant, il ne semble pas y avoir d’objectifs en volume total d’énergie consommée ou d’émissions ce qui rend encore incertain le processus de déclinaison d’objectifs précis aux échelons inférieurs. Le danger est que cela soit mal fait ou, plus simplement, que cela reste très flou. En tout cas, le « crédo » utilisé ici par les autorités est celui d’économie à faible teneur en carbone dont le volume relève en revanche d’autres priorités du pays.

Les aides publiques et le cadre réglementaire pour la réhabilitation thermique des bâtiments

Les textes réglementaires encadrant la pratique de la réhabilitation thermique des bâtiments ne sont pas encore aussi fournis que ceux d’autres secteurs car la réhabilitation n’est qu’une préoccupation récente au niveau de l’administration. Plusieurs directives régissent toutefois la pratique de la réhabilitation, aussi bien dans le secteur résidentiel que dans le secteur tertiaire. Les principaux textes existants sont :

DB37/T 847–2007 : Spécifications techniques pour la réhabilitation des bâtiments tertiaires.

DB37/T 848–2007 :Spécifications techniques pour la réhabilitation des bâtiments résidentiels.

JGJ 129–2000 : Spécifications techniques pour les économies d’énergie dans les bâtiments résidentiels disposant de systèmes de chauffage.

JGJ 176–2009 : Spécifications techniques pour les économies d’énergie dans les bâtiments non résidentiels.

Les autorités ont mis en place un système de subventions pour encourager les travaux d’économies d’énergie dans les bâtiments existants. Ce système revêt encore une certaine opacité et il se propage progressivement de ville en ville. Les subventions fortes s’appliquent au résidentiel alors que le secteur non résidentiel se voit attribuer des subventions portant sur les intérêts des prêts contractés (50% de l’intérêt du crédit pour un bâtiment public local, et 100% pour un bâtiment public national).

Pour le résidentiel, une subvention en fonction de la surface et du lieu s’applique. On sépare les zones du sud et du nord. Au sud, les principales provinces concernées sont Shanghai, Chongqing, Jiangsu, Zhejiang, Anhui, Jiangxi, Hubei, Hunan, Sichuan, Henan, Guizhou et Fujian.

Les actions éligibles aux subventions sont les améliorations des fenêtres et des portes vitrées, des protections solaires et de l’isolation extérieure. La subvention est calculée par la formule suivante :

Subvention= base régionale*∑ (surface de réhabilitation par item* taux de pondération de l’item)

(note : 1 euro = 8 yuan)

La base régionale distingue trois régions :

  1. région Est : 15yuan/m2

  2. région Centre : 20yuan/m2

  3. région Ouest : 25yuan/m2

Le taux de pondération de l’item est :

  1. fenêtre et porte externe : 30 %

  2. protection solaire : 40 %

  3. isolation extérieure : 30 %

Au nord, les principales régions concernées sont Beijing, Tianjin, Hebei, Shanxi, Mongolie intérieure, Liaoning, Jilin, Heilongjiang, Shandong, Henan, Shaanxi, Gansu, Qinghai, Ningxia, Xinjiang. Les actions éligibles aux subventions sont la réhabilitation de l’enveloppe, le comptage du chauffage et le contrôle de la température, la réhabilitation de la source de production de chaleur et l’équilibrage du réseau. La subvention est calculée par la formule suivante :

Subvention= base régionale*[∑ (surface de réhabilitation par item*taux de pondération de l’item)* 70% + surface de réhabilitation*coef. d’économie énergétique*30%]*coef. de progression

La base régionale est séparée en deux catégories :

  1. La zone froide extrême : 55yuan/m2

  2. La zone froide : 45yuan/m2

Le taux de pondération de l’item est :

  1. enveloppe du bâtiment : 60%

  2. comptage du système de chauffage et contrôle de la température : 30 %

  3. Réhabilitation de la source d’énergie et équilibrage du réseau du chauffage : 10 %

Le coefficient d’économie d’énergie est défini selon les économies constatées après réhabilitation.

Le coefficient de progression est séparé en trois niveaux :

  1. Terminer les travaux de réhabilitation avant 2009 : 1,2

  2. Terminer les travaux de réhabilitation avant 2010 : 1

  3. Terminer les travaux de réhabilitation avant 2011: 0,8

La réhabilitation thermique des logements en Chine du Nord

De 1998 à 2009, un vaste programme de coopération a été mené entre la France et la Chine, portant sur l’efficacité énergétique des bâtiments. Ce programme a été financé par le Fonds français de l’environnement mondial (FFEM) et piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Un volet de ce programme a concerné la réhabilitation thermique de bâtiments résidentiels en Chine du Nord.

A Harbin, capitale du Heilongjiang, l’opération de réhabilitation a porté sur cinq bâtiments totalisant 18 892 m2. Les interventions comprenaient l’isolation par l’extérieur (entre 5 et 8 cm d’isolant), le calfeutrement des fenêtres, l’amélioration de la régulation. Des économies de chauffage de 50% ont pu être constatées. Le coût de la réhabilitation, 1941 Yuan/m2, a été entièrement compensé par la vente d’appartements créés en surélevant les bâtiments existants.

A Heihe, ville du Heilongjiang située à la frontière russe, la réhabilitation a porté sur deux bâtiments totalisant 6 000 m2. Elle comprenait la pose d’isolation extérieure (6 cm), l’isolation des toitures et le remplacement de certaines fenêtres. Les occupants ont payé 50% du coût de remplacement des fenêtres, le solde a été payé par la ville. L’isolation par l’extérieur a été payée par la ville. Une campagne de mesure a eu lieu en hiver 2006 qui a confirmé l’objectif d’économie de chauffage de 50 % malgré l’absence de dispositifs de régulation automatique du chauffage Ces deux opérations ont été un succès et ont incité les autorités locales à encourager des opérations similaires.

La réhabilitation thermique du CFFCME

Toujours dans le cadre du programme franco–chinois dirigé par le FFEM et l’ADEME visant à réaliser des économies d’énergie dans les bâtiments en Chine, les autorités chinoises ont souhaité mettre en avant des expériences pilotes, informer les entreprises et les utilisateurs et former des techniciens et ingénieurs aux économies d’énergie.

Dans ce contexte, le Lycée Maximilien Perret a participé à la réhabilitation du bâtiment qui accueille, à Pékin, le Centre de formation franco–chinois aux métiers de l’énergie (CFFCME), en vue de l’utiliser à des fins pédagogiques. Le CFFCME occupe une surface de 4 000 m2 au sein de l’université de Génie Civil et d’Architecture de Pékin (UGCAP).

Le projet de réhabilitation thermique du CFFCME est un projet à vocation démonstrative. Les économies d’énergie visées sont importantes, de l’ordre de 60–70 % sur les consommations de chauffage. Il s’agit d’un projet exemplaire qui vise à mettre en valeur les bonnes pratiques. L’objectif qualitatif est de montrer qu’il est possible d’atteindre le niveau de performance énergétique d’un bâtiment neuf conforme à la réglementation thermique chinoise actuelle (version 2005) en réhabilitant un bâtiment caractéristique des pratiques constructives de 1980.

De ce fait, les caractéristiques de cette opération de réhabilitation thermique sont les suivantes : performance énergétique, garantie de qualité, garantie de tenue dans le temps, qualité de mise en œuvre.

L’opération de réhabilitation inclut la mise en place d’isolation extérieure en polystyrène expansé–120mm (l’utilisation de ce matériau vient d’être interdite en Chine suite à un très grave incendie largement médiatisé), le remplacement des vitrages simples par des doubles vitrages à basse émissivité, la mise en place d’une ventilation mécanique (VMC) et la régulation du chauffage.

Le coût total de cette réhabilitation thermique est de 200 000€, soit 50€/m². Au taux de change actuel cela représente 400 yuan/m², ce qui est dans la tranche haute des coûts de réhabilitation en Chine. Cela est dû à la performance visée qui est plus haute que d’habitude ainsi qu’à la mise en place de la VMC qui n’est pas un lot inclus dans ce type de réhabilitation en Chine jusqu’ici. Toutefois, cela reste un coût très bas par rapport aux opérations de ce type en France.

Le programme pilote de réhabilitation thermique des bâtiments tertiaires à Wuhan

De 2007 à 2009, un programme de recherche ambitieux a été mené à Wuhan, ville de 9 millions d’habitants, quelques années en avance sur le 12ème plan quinquennal, pour cadrer la réflexion sur la réhabilitation énergétique des bâtiments dans cette région de Chine. Ce programme a été financé par le département de la recherche de l’Agence française de développement et l’Ademe. La réhabilitation thermique des bâtiments avait démarré plus tôt dans le nord, où les opérations sont plus simples et les économies plus faciles à obtenir. Wuhan se trouve au début de cette zone de Chine où l’hiver existe encore mais où la saison de climatisation est le problème principal et aucune action concrète n’avait été menée à ce jour sur ce thème. Des ESCOs2 existaient bien mais elles appliquaient des programmes d’efficacité énergétique à des points particuliers de la gestion électrique.

Les tâches ont été réparties en 3 groupes : Technico–économique, institutionnel et financier. Le travail recensé ci–dessous concerne l’aspect technico–économique. Les thèmes suivants ont été abordés :

Les études faites ont concerné les bâtiments administratifs et les grands bâtiments tertiaires (Surface>20 000m²). Selon l’étude effectuée dans le cadre d’un recensement de 389 bâtiments, sur un parc total de bâtiments tertiaires de 74 814 700 m², cette portion représente environ 30 000 000 m² (environ 40% des bâtiments tertiaires). C’est également la portion la plus énergivore par rapport aux bâtiments tertiaires de plus petite taille. En Chine, les statistiques de consommations montrent que cette catégorie de bâtiment consomme entre 70 et 300 kWh/m²/an. Il y a une disparité selon le type de bâtiment. La consommation moyenne des bâtiments tertiaires à Wuhan est de 170 kWh/m²/an. Par comparaison, la consommation moyenne d’énergie finale des bâtiments tertiaires en France est de 260 kWh/m2/an. Selon le recensement effectué à Wuhan, nous obtenons les informations suivantes : selon la catégorie de bâtiment, la consommation change de manière significative. On peut donner les consommations représentatives relevées (en kWh d’énergie finale par m2 et par an) :

Consommation d’énergie selon les types de bâtiments
Passerelle, 2012

Partant de ces constats sur la consommation énergétique, des études plus précises ont été faites pour comprendre la structure des usages de l’énergie et définir des programmes de travaux pertinents par type de bâtiment. Les graphiques ci–dessous montrent diverses répartitions de la consommation pour divers types de bâtiments tertiaires :

Consommation d’énergie immeuble de bureaux - Total = 252 kWh/m2/an
Passerelle, 2012
Consommation d’énergie hôtel 5 étoiles à Wuhan - Total = 89 kWh/m2/an
Passerelle, 2012

Il est évident que la structure des consommations est très différente et que le total l’est également. La nature des économies diffère par type de bâtiment mais nous avons identifié 3 niveaux génériques de réhabilitation qui en moyenne sur le parc tertiaire de Wuhan sont définis ainsi :

  • Réhabilitation légère sur les systèmes uniquement : 13 % d’économiepour un temps de retour < 5 ans.

  • Réhabilitation moyenne impliquant l’enveloppe du bâtiment : 19 %d’économie pour un temps de retour   7 ans.

  • Réhabilitation lourde incluant toutes les améliorations sur les systèmes et l’enveloppe : 25 % d’économie pour un temps de retour environ de 9 ans.

La conclusion logique de ces études est que ce sont les collectivités locales qui doivent amorcer le mécanisme des opérations qui offrent le maximum d’économies d’énergie mais qui ont aussi des temps de retour longs du point de vue des investisseurs privés. Les économies d’énergies doivent être perçues par les municipalités comme des agrégats de petites économies. Dans l’hypothèse où

40 % des bâtiments tertiaires étaient réhabilités, nous avons calculé les enjeux à 3 échelles : la ville de Wuhan, la province du Hubei et le bassin du Yangzi.

  • Echelle de Wuhan : 11,2 Mds yuans d’investissements pour 1,4MtCO2/an évitées

  • Echelle du Hubei : 39,5 Mds yuans d’investissements pour 4,9MtCO2/an évitées

  • Echelle du Yangzi : 134 Mds yuans d’investissements pour 16,4MtCO2/an évitées

Pour atteindre ces sommes d’économies il est nécessaire de faire des programmes pilotes pour enclencher un mécanisme de masse et de mettre en place une organisation à l’échelle de la ville pour gérer toutes ces opérations et vérifier les économies d’énergie obtenues. Sur la base des conclusions du programme de recherche, la ville de Wuhan a décidé de lancer le premier programme pilote en réhabilitant 30 bâtiments municipaux totalisant plus de 624 000 m2. L’Agence française de développement (AFD) a octroyé un prêt de 20 millions d’euros à la ville pour financer les investissements correspondants. Une double originalité caractérise ce programme : le sujet de la réhabilitation thermique des bâtiments tertiaires, encore peu courant en Chine, et la garantie de performance. En effet, les entreprises qui répondront à l’appel d’offres devront s’engager sur une performance d’économies d’énergie qui, globalement, sera de l’ordre de 30%. Les documents d’appel d’offres, en cours de rédaction, décriront très précisément le mécanisme de calcul et de vérification des économies. Le « CPE » (Contrat de Performance Énergétique) appliqué à cette échelle est une grande première en Chine. Le programme de Wuhan, en cas de succès, aura de nombreuses suites à Wuhan et dans la province du Hubei, ainsi que dans toute la Chine, les autorités nationales le considérant comme un programme phare.

1 NDLR : soit environ 24€/m2

2 Esco: Energy service company

Sources

Ouvrage de référence: « La réhabilitation énergétique des bâtiments – Enjeux et méthodes – Programme de recherche dans la province du Hubei en Chine », Bernard Laponche, José Lopez, Michel Raoust, Aymeric Novel, Nils Devernois– Agence française de Développement, Focales 08, novembre 2011.

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