Entreprise d’intérêt général : de l’utopie à la réalité ?

Michel BERRY, juillet 2018

École de Paris du management

En s’attaquant à un irritant (pain point) non résolu par le marché, nombre de startuppeurs ont donné une image plus sociétale de l’entrepreneur, mais les modèles plus globaux et plus vertueux semblaient hors de portée de l’entreprise commerciale. Le cas Akuo Energy et l’invention de l’« agrinergie » ouvrent de nouvelles perspectives à un nouveau type d’entreprenants.

Un entrepreneur en mission ?

Éric Scotto vit dix ans au rythme frénétique des start-up de l’internet, monde qu’il quitte en 2001. « Les vacances que je me suis accordées furent l’occasion de découvrir un livre extraordinaire qui me fit l’effet d’un détonateur, Éco-économie – Une autre croissance est possible, écologique et durable de Lester Brown. Il y préfigure un capitalisme qui serait au service de ce que l’homme a de plus essentiel : une alimentation saine, une eau potable, un air pur, des énergies propres, des réserves halieutiques protégées… En mettant l’ensemble des ressources capitalistes au service de cette nouvelle économie, affirme-t-il, peut-être avons-nous une chance de changer le monde. »

Il crée Perfect Wind en 2003, société de production éolienne puis Akuo Energy en 2007, pour se diversifier dans toutes les formes d’énergies renouvelables et se développer dans le monde. Dix ans plus tard, elle est présente dans trente pays sur tous les continents.

L’invention de l’« agrinergie » : un modèle économique inclusif ?

Son implantation à La Réunion en 2007 l’amène à innover dans ses relations avec les territoires. Le monde agricole devenait hostile aux installations solaires, consommatrices d’espace sur un territoire agricole restreint : deux permis de construire accordés par le préfet lui sont aussitôt retirés. C’est alors qu’Akuo Energy fait une proposition originale : mettre 50 % de ses parcelles gratuitement à disposition d’agriculteurs ayant besoins de s’installer. C’est un succès, mais cette solution consomme encore 50 % des ressources agricoles, et elle a plus tard une autre idée.

Les cyclones détruisant régulièrement 90 % de la production, elle propose d’installer des serres anticycloniques munies de panneaux solaires et mises à disposition gratuitement de maraîchers et d’horticulteurs. En finançant un outil que les agriculteurs ne pouvaient s’offrir et en assumant même leurs salaires pendant trois ans, le temps de leur reconversion, elle permet aux agriculteurs de passer à des cultures bio, voire à de la permaculture.

Des déclinaisons à l’infini

Cette idée d’associer les territoires aux projets peut se décliner à l’infini, avec de la pisciculture, de la permaculture ou de l’agriculture biologique, comme l’explique Éric Scotto :

« Des agriculteurs de Nouvelle-Calédonie nous ont sollicités pour les aider à développer des installations comparables à celles de La Réunion. Nous nous y sommes implantés sous la forme d’une joint-venture avec le distributeur local Enercal. L’Indonésie, également séduite par cette solution, nous a demandé de la déployer dans son archipel. Nous sommes aujourd’hui parmi les leaders sur son marché. Nous transposons donc le modèle réunionnais sur une multitude d’îles de la planète.

En métropole, nous déclinons notre logique de territoire dans d’anciennes carrières, espaces souvent transformés en bases de loisirs dénuées de tout modèle économique pérenne. Nous transformons actuellement l’ancienne carrière de Piolenc, près d’Avignon, en une centrale photovoltaïque de 17 mégawatts, jouxtant une ferme Akuo produisant en bio et en permaculture.

Dans les pays du Sud, nos “oasis d’Akuo” seront dotées de systèmes solaires décentralisés de désalinisation de l’eau de mer à destination de l’agriculture. Il est ainsi possible d’imaginer de nouveaux modèles pérennes au gré des spécificités des territoires, en collaborant avec les collectivités locales. »

Jouer le long terme : un discours adapté à toutes les formes de patrimoine ?

Ces projets coûtent bien sûr plus cher que des installations limitées aux dispositifs de production d’énergie. Cela suppose que les actionnaires acceptent un retour sur investissement moindre, et que les banques suivent. Éric Scotto explique aux actionnaires que cette démarche procède d’un raisonnement à long terme et que les avantages qu’elle procure aux territoires des avantages sécurisent les projets de l’entreprise. « Une mutuelle se souciera par exemple des impacts latents de notre action locale, qui sont structurants et sécurisants pour l’avenir d’un territoire – et donc de la sécurisation qu’elle pourra en tirer dans le futur. Progressivement, nous parvenons à attirer un nombre croissant d’investisseurs. Cela reste un combat, mais plus aisé aujourd’hui qu’à nos débuts. »

La révolution énergétique pour tous

Éric Scotto est un entreprenant, dans le sens où c’est un entrepreneur qui poursuit une finalité sociétale. Il est aussi convaincu que la transition énergétique doit prendre une forme participative.

« L’investissement participatif est aussi un vecteur d’adhésion à des solutions innovantes. Il suscite aujourd’hui un véritable engouement. Les citoyens sont désireux d’investir dans des modèles durables sur leur territoire et d’y soutenir l’emploi, ceci en bénéficiant d’une rentabilité. Nous avons créé à cet effet la plateforme Akuo Coop, qui est en passe de devenir un véritable outil de financement de la transition. »

Références

Le Jardin des entreprenants, Entreprise d’intérêt général : de l’utopie à la réalité ?, 2018

Compte-rendu rédigé par Sophie JACOLIN, issu du séminaire « Économie et sens », disponible sur le site de l’École de Paris du management, Énergies renouvelables, financement durable et projets de territoires, le 28 juin 2017

En savoir plus

Lire le Manifeste des entreprenants

Lester R. Brown, Eco-Economie. Une autre croissance est possible, écologique et durable, éd. du Seuil, coll. Science humaine, 2003, 448p