La transition énergétique valorise le paysage de la vallée de la Bruche

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Le territoire de la Haute-Bruche est situé dans le nord-est du massif Vosgien, dans le département du Bas-Rhin. La vallée de la Bruche est encadrée par deux massifs d’origines géologiques différentes, composés de reliefs élevés aux formes arrondies au sud-est et de hauts plateaux délimités par de fortes pentes au nord-ouest. Quatre grandes unités de paysage témoignent de la diversité géomorphologique de la vallée. Les paysages y ont été façonnés par des conditions naturelles particulières et par l’adaptation des peuplements humains qui se sont calqués assez fidèlement aux unités naturelles. Depuis la première charte communale en 1984, la vallée de la Bruche développe son projet énergétique : démarche de circuit court, travail sur le grand paysage pour le maintien des espaces naturels. Sobriété d’espace dans la requalification de plusieurs sites industriels. C’est un projet permanent, encore en cours à travers l’élaboration d’un PCAET. Les porteurs du projet sont la Communauté de communes de la Vallée de la Bruche et le Pôle d’Équilibre Territorial et Rural (PETR) Bruche-Mossig.

À télécharger : 2017_rrr_fiche_projet_cc_vallee_bruche_paysages.pdf (370 Kio), vallee_bruche_paysage.pdf (3,5 Mio)

Évolution des paysages de la vallée de la Bruche : diversité géologique et histoire industrielle

1 – Une histoire récente marquée par l’industrialisation

Jusqu’au XIXe siècle, la population vit principalement d’agriculture et de travaux forestiers. L’habitat groupé traditionnel et les pratiques collectives agricoles présentes jusqu’au milieu du XXe siècle, témoignent d’une forte vie communautaire. Ces modes de vie sont aujourd’hui encore d’actualité et perceptibles dans les paysages de la vallée. On retrouve des formes urbaines singulières et une architecture unitaire dans chacun des villages. Chaque unité naturelle possède une logique agraire particulière. Très tôt, des activités artisanales, minières, puis industrielles se développent dans la vallée, profitant des ressources du sol, de l’eau et d’une main-d’œuvre abondante. Le XIXe siècle marque un développement extraordinaire de l’industrie textile et métallurgique qui marque le paysage rural.

2 – L’évolution des paysages à l’ère de la désindustrialisation

Le paysage connaît une profonde mutation à partir de la Seconde Guerre mondiale. L’industrie entre en crise à partir des années 1950 et disparaît lentement de la vallée. La majorité des ouvriers, jusqu’alors ouvriers-paysans, partent travailler à Molsheim et à Strasbourg. L’agriculture est peu à peu abandonnée. Les communaux s’enfrichent ou sont boisés, principalement par des résineux. L’espace rural se ferme et perd sa lisibilité. La « modernisation » venue de l’extérieur entraîne des modifications profondes du mode de vie et des références patrimoniales et culturelles. L’architecture caractéristique se voit remplacée par des maisons standardisées. L’espace urbain et collectif de la vallée change. « Alors que l’espace rural retourne à la friche et à la forêt, l’espace urbain éclate en petits morceaux individuels où chacun crée son propre “sam’ suffit”. Le paysage s’émiette et devient illisible au profit d’une abondance matérielle » Etude paysagère de la vallée de la Bruche – Tome 1 : diagnostic – 1992.

La communauté de communes de la vallée de la Bruche : animatrice de la politique des paysages

L’évolution préoccupante des paysages de la Bruche provoque à partir des années 1980 une réaction politique visant à sauvegarder l’agriculture et les paysages de la montagne. En 1980 est créé le premier Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple (SIVOM) du pays de la Haute-Bruche qui débute un nouveau développement local économique. En 1988 l’intercommunalité met en œuvre une charte communale dans laquelle prend pleinement place le paysage.

« Ne pas accepter les friches comme une évolution inéluctable, produire des paysages de qualité qui expriment la réconciliation des gens du pays avec leur terroir, ne pas vouloir plagier les paysages traditionnels de cartes postales » Espaces naturels, n32, 10/2010, p 31

Cinq enjeux sont développés pour une reconquête paysagère : le cadre de vie, l’enjeu économique, l’enjeu touristique, l’enjeu identitaire et l’enjeu environnemental.

1 – Volonté de sauvegarde des paysages ruraux agricoles

Afin de porter ces développements, une première association foncière pastorale (AFP) est créée en 1986 sur la commune de Colroy-la-Roche. Vingt-deux autres suivront pour réunir un foncier agricole important permettant une démarche paysagère sur le thème de la réouverture de la vallée. L’AFP est l’un des outils développés par la Communauté de communes de la Vallée de la Bruche afin de traduire concrètement la politique paysagère intercommunale.

Elle répond aux 5 objectifs majeurs de cette politique :

(Extrait Document : Communauté de communes de la Vallée de la Bruche)

La démarche de l’AFP permet également de redonner une valeur et un sens aux espaces non bâtis. En offrant une vocation au fond de vallée, les parcelles ne sont plus « vides », elles participent à un projet global. Il est donc plus facile de maîtriser l’urbanisation. Cette démarche facilite le zonage du PLU, qui n’est plus administratif, mais porteur de projet. L’AFP est un outil de maîtrise urbaine.

« Il ne s’agit pas de berner les gens, mais d’être sincère avec eux et de leur faire comprendre l’intérêt d’un projet avec un choix paysager élaboré ensemble. » Pierre Grandadam, élu et président de la Communauté de commune de la Vallée de la Bruche.

Un ensemble de mesures de soutien à l’agriculture de montagne est également mis en place : indemnité spéciale montagne (ISM), dotation aux jeunes agriculteurs, aide à la rénovation pastorale, etc. La Communauté de communes de la Vallée de la Bruche participe activement à ce mouvement.

Cette politique permet de doubler le nombre d’agriculteurs dans la vallée entre 1980 et 2019, en partie locataires des terres des AFP. La vallée a regagné 1 000 ha de prairies et 48 heures annuelles de soleil de plus, en 30 ans.

(Sources : Conseil général de l’environnement et du développement durable. Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux n° 012342-01n° 18085)

2 – Démarche paysagère par un Plan de paysage

En 1991 débute une étude paysagère par un chargé de mission paysage recruté à temps-plein, Jean-Baptiste Laumond et l’urbaniste-paysagiste, François Tacquard. Cette étude mène au premier plan de paysage de la vallée. Elle présente un diagnostic de paysage et découpe le territoire en quatre unités paysagères. Elle propose des objectifs de qualité paysagère sur lesquels reposent 21 actions principalement axées sur la remise en état des pâturages communaux, la réouverture des fonds de vallée humides et le défrichement à proximité des villages.

La commune de Saâles, au cœur d’un paysage de plateau en évolution

L’élaboration en cours du PCAET s’inscrit dans une dynamique globale et peut déjà se saisir d’expériences locales concrètes initiées par des communes et des entreprises privées. Trois expériences peuvent être citées et permettent de comprendre les enjeux locaux autour de la production d’énergie biomasse, éolienne et hydraulique. La commune de Saâles est située à l’extrémité sud de la Communauté de communes, sur les hauteurs de la vallée, au pied du massif de Belfays qui articule la vallée de la Bruche avec les paysages au sud. Cette position limite fait de Saâles un acteur singulier étroitement lié à des communes extérieures à la Communauté de communes. « Saâles avait le coût énergétique le plus élevé d’Alsace avec des températures variant de 4 à 5° de moins dans les habitations qu’à Strasbourg. Cette précarité énergétique a été l’élément déclencheur d’une volonté de la commune de développer une production durable locale d’énergie avec la création d’une chaudière à bois et d’un parc éolien. » (J. Vogel, ancien maire de Saâles)

La chaufferie

La commune a mené une large concertation pour justifier l’investissement d’une chaudière bois. L’intégration paysagère de la chaufferie et les avantages induits ont permis de lever les quelques réticences. Mise en service en 2005, la chaudière se fond dans le centre bâti. La chaufferie dessert au total 9 bâtiments communaux, 5 maisons et 2 bâtiments d’habitat collectif. La commune souhaite à présent mettre en place une véritable filière locale d’approvisionnement.

Les éoliennes du Plateau de Belfays

Le plateau de Belfays domine le village de Saâles et sépare la vallée de la Bruche de la vallée du Rabodeau. Autour de ce plateau boisé sont implantés les villages des six communes concernées par le projet éolien. Ce projet a été initié par la commune de Saâles et celle de Grande Fosse en 2003. Il s’est étendu ensuite aux communes du Ban-de-Sapt, de Châtas, de Grandrupt et de Saint-Stail. Une politique fusionnelle a été mise en place entre les six communes. Tout au long du projet se déroule une communication systématique dans un souci d’exemplarité en matière de concertation et de prise en compte des enjeux paysagers et environnementaux. 10 éoliennes de 2MgWh ont été installées en forêt, de quoi alimenter en électricité près de 15 000 foyers du territoire.

Les 10 éoliennes ne sont pas toutes visibles du centre des communes. Certaines dépassent de la canopée ponctuellement à une distance qui permet de ne pas perturber le paysage perçu depuis les villages. En s’écartant du plateau et de ses contreforts, le parc prend une autre dimension. Au sud, on le distingue par jour clément à plusieurs dizaines de kilomètres. Au nord, le parc est visible sur les hauteurs de la vallée. Il constitue un repère qui marque la limite de la vallée. Seul parc visible à l’horizon, implanté finement dans les hauteurs des reliefs du plateau boisé, le groupe d’éoliennes constitue un repère du territoire.

Une production d’énergie biomasse régionale pour pérenniser des forêts fragilisées

À l’opposé nord de la vallée, la scierie SIAT, située aux abords de la route départementale D1420, marque l’entrée dans la haute vallée de la Bruche et dans le massif Vosgien. Elle est aujourd’hui un des leaders de la filière bois en France et l’une des scieries de résineux les plus importantes et modernes d’Europe. Elle a su profiter de la logique d’industrialisation de la filière là où les petites scieries vosgiennes historiques n’ont pas survécu. L’entreprise propose de larges gammes de bois de construction et d’aménagement. Elle valorise depuis 2012 une centrale de cogénération qui produit de l’électricité à partir des écorces de la scierie. L’intégralité des sciures issues du sciage du bois est également valorisée pour produire des granulés destinés à alimenter des chaudières. Le groupe SIAT est donc un acteur incontournable du territoire, notamment en termes de transition énergétique. Ses chiffres de production d’énergie sont intégrés par le PETR et augmentent de manière considérable la part de la production d’« énergie renouvelable » de la Vallée de la Bruche.

Cependant, ils sont à nuancer. La scierie a un rayonnement d’alimentation en bois qui s’étend du sud du Jura aux Ardennes belges. Une production d’énergie qui dépasse donc largement les limites de la vallée. Outre cette aire d’influence extra locale, la valorisation de bois en biomasse énergie met en jeu la gestion durable de la ressource. Les forêts Vosgiennes ne sont pas épargnées par le réchauffement climatique, qui questionne les capacités qu’ont les milieux à se régénérer.

Waldersbach, une commune à énergie hydraulique positive

Le village de Waldersbach est situé dans un vallon étroit où coule la Schirgoutte. Une installation hydro-électrique privée injecte dans le réseau une énergie qui produit assez pour alimenter un village de 130 habitants. La centrale produit 500 000 kWh par an, une production légèrement supérieure à la consommation électrique du village. La centrale est implantée dans une ancienne usine textile, conservée et modernisée. Cet exemple de production est plutôt secondaire à l’échelle de la vallée de la Bruche, mais non négligeable plus localement à l’échelle des nombreux vallons existants. Selon Mr Raymann, maire du village et spécialiste de l’hydro-électricité, un certain nombre de centrales peuvent-être remise en état dans la vallée. Néanmoins, seules de petites installations pourraient être installées variant entre 50 et 250 kWh. Des freins importants se dressent face à ces possibilités : les installations sont très coûteuses et les retours sur investissement sont longs les turbines demandent une attention quotidienne : « un travail de passionné » des contraintes écologiques importantes doivent être prises en compte.

Ces freins conduisent aujourd’hui à la diminution du nombre d’installations. Toutes ces petites installations ne peuvent pas être gérées par les collectivités en dessous de 500 MWh.

« Il n’y a pas de problème d’intégration dans le paysage parce qu’ici, c’est le paysage qui impose sa règle au village et non le contraire. » M.Reymann, propriétaire et gestionnaire de la micro centrale.

1 – Politique paysagère : économie, tourisme et patrimoine paysager

Aujourd’hui, l’intercommunalité joue un rôle de chef de file. Elle a su développer des outils financiers et d’aménagement pour mettre en place cette politique paysagère dont elle assure l’animation depuis plus de 20 ans. En termes de méthode, la politique menée repose sur :

En termes d’objectifs, les axes de développement actuels de la Haute-Bruche définie dans le diagnostic territorial d’une part et les réflexions menées au sein des groupes de travail thématiques d’autre part permettent de proposer cinq axes prioritaires de développement :

1. Conforter l’économie locale dynamique et créatrice d’emplois par une stratégie d’accueil, de promotion et d’animation économique adaptée, tout en précisant le pacte financier communes/communauté de communes.

2. Favoriser une bonne cohésion sociale et renforcer l’attractivité du territoire par un développement des services modernes à la population.

3. Amplifier les politiques de gestion de l’espace rural dans l’objectif de préserver un patrimoine de qualité et d’offrir un cadre de vie agréable.

4. Poursuivre une politique de diversification touristique valorisante de la Haute Bruche.

5. Renforcer la structure technique, politique et financière de la Communauté de communes, afin de l’adapter aux enjeux du territoire.

2 – À l’heure de la transition écologique et énergétique : plan climat et plan de paysage

Les grands axes de développement de l’intercommunalité sont liés aux enjeux climatiques et de la transition énergétique actuelle. Pour approfondir ces questions, l’intercommunalité s’appuie sur le Pôle d’Equilibre Territorial et Rural (PETR) Bruche Mossig qui a pour vocation d’élaborer et de conduire une stratégie de développement territorial pour les trois communautés de communes qui la composent : Mossig et Vignoble, Vallée de la Bruche, et région de Molsheim- Mutzig. Le PETR intègre depuis 2009 la question de la transition énergétique dans ses travaux. En février 2020, un grand laboratoire d’idées a été mis en place. Les élus des territoires ont été invités à participer à un atelier de consolidation de la stratégie Plan Climat Air Énergie Territoire (PCAET) et à réfléchir aux actions à engager dans chaque secteur. Ces actions s’inscrivent dans trois grands axes stratégiques :

1. Vers un modèle territorial de sobriété énergétique

2. L’autonomie énergétique comme levier de développement durable

3. Le maintien d’un cadre de vie durable et désirable.

À présent, les instances du PETR Bruche-Mossig et les élus de chaque commune ont à s’entendre sur la stratégie globale du Plan climat air énergie. Une synthèse de tous les travaux réalisés en partenariat avec la société civile a été effectuée. La validation définitive revient aux nouveaux élus qui devront mettre le PCAET en application. Un temps important qui demande à la Communauté de communes de la Vallée de la Bruche de mettre en cohérence ses actions et de les intégrer à une démarche paysagère qui s’inscrit dans la continuité des politiques menées.

3 – Echelles de lien des paysages : de la Communauté de communes aux acteurs locaux

La volonté politique de préservation des paysages introduite dans les années 1970 a amené à mettre le paysage au cœur des projets communautaires et à responsabiliser les habitants et les associations. Une entrée bénéfique pour concrétiser les actions du Plan Climat. Thierry Stieffer, maire réélu de la commune de Ranrupt, témoigne lors d’une présentation de la chaufferie bois communale, de l’importance de mener des actions durables dans la continuité de la valorisation des paysages. Il évoque « une conscience de faire les choses ensemble » et a activement participé à l’élaboration du PCAET.

4 – Cartographier les objectifs du PCAET à l’échelle de la vallée

De la même manière que ce qui avait été fait pour préserver les paysages agricoles de la vallée de la Bruche, la Communauté de communes doit à présent réaliser un plan de paysage qui intègre les installations existantes et les futurs projets de production d’énergie renouvelable. Le PCAET fixe des objectifs chiffrés, mais aucun document actuellement ne permet de les matérialiser. Cartographier les lieux ciblés, comprendre les dynamiques en cours des paysages, accompagner les projets d’aménagement collectivement avec les élus, les associations et les habitants, permettra d’assurer la prise en compte du paysage et une intégration souhaitée des ouvrages énergétiques.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402

En savoir plus