Villes, métropolisation et risques. Nouveaux défis, nouveaux enjeux politiques.

Magali Reghezza-Zitt, 2014

Monde pluriel

Cet article présente les grands défis actuels de la gouvernance métropolitaine des risques, à l’échelle globale. Les transformations générées puis subies par les processus de métropolisation, à l’échelle de la planète, ont induit de nouveaux enjeux en termes de gestion et de mitigation des risques. L’interdépendance des échelles, des réseaux, des acteurs et des activités entraîne inexorablement une augmentation du potentiel d’endommagement des territoires à risques et, partant, la production de nouvelles structures spatiales vulnérables que les déficits de gouvernance métropolitaine ne permettent pas encore de réduire.

En ce début de XXIe siècle, la permanence de catastrophes urbaines aussi meurtrières que coûteuses constitue un défi majeur pour la puissance publique. La communauté internationale s’est emparée du problème. Depuis la conférence de Yokohama en 1994, la réduction de vulnérabilité urbaine a été érigée en objectif prioritaire, sans parvenir pourtant à des résultats probants.

À cette époque, dans un contexte d’urbanisation généralisée, la ville était considérée comme productrice de risques. L’urbanisation conduit effectivement à l’artificialisation des milieux biophysiques ce qui aggrave, voire crée, des aléas. Elle entraîne également la concentration des populations sur des espaces restreints, ce qui augmente mécaniquement l’exposition. Faute de surfaces disponibles, les néo-urbains s’installent de façon plus ou moins légale et informelle dans des espaces menacés, jusque-là non occupés. Les constructions avec des matériaux peu résistants et qui ne répondent pas aux normes de sécurité, sont fragiles. Les populations ont peu conscience des dangers et sont mal préparées à faire face à une crise. Tout cela accroît la vulnérabilité.

Si ces dynamiques d’urbanisation expliquent relativement bien l’augmentation des dommages, notamment dans les megacities, les attentats du 11 septembre 2001, les ouragans Irène en 2011 et Sandy en 2012 ou le rapport de l’OCDE paru en 2014 sur le risque lié à une crue centennale en région parisienne, montrent les limites de cette analyse. Car, alors qu’on ne sait toujours pas éradiquer ni même maîtriser les risques dans les espaces urbains, d’autres dangers sont apparus qui ne rentrent pas dans les schémas classiques d’appréhension des risques.

Ces menaces ne découlent pas d’aléas nouveaux : ce sont les conséquences d’événements bien connus (aléas naturels, attaques terroristes, épidémies, pannes, etc.) qui sont nouvelles. À aléa constant, les dommages matériels augmentent bien plus vite que la croissance de ces villes. Ensuite et surtout, des perturbations fonctionnelles inédites viennent d’ajouter à l’endommagement matériel. La mise hors service des réseaux techniques peut ainsi paralyser la vie quotidienne et les activités économiques, suscitant des pertes différées dans le temps, qui peuvent être bien plus importantes que les pertes directes. Cet endommagement fonctionnel n’est même pas directement lié aux destructions matérielles : certains réseaux peuvent être interrompus par mesure de sécurité tout en restant intacts.

On assiste donc, sans en avoir toujours conscience, à une transformation quantitative et qualitative du risque. Aux dommages « classiques », essentiellement cantonnés dans la zone directement touchée, viennent s’ajouter des dommages indirects, qui mêlent destructions matérielles et symboliques à des perturbations fonctionnelles qui peuvent se diffuser rapidement sur de vastes surfaces.

Ces nouvelles formes d’endommagement ont une triple caractéristique :

  1. Les aléas de départ provoquent des chaînes d’endommagement extrêmement complexes, de sorte qu’ils placent les gestionnaires dans une situation d’incertitude : impossible de prévoir ce qu’il va se passer, où et quand ;

  2. Les effets de l’impact initial sont à la fois multiscalaires et transcalaires : du fait de la diffusion rapide de la perturbation, les conséquences sont décalées dans le temps et l’espace. Les échelles se télescopent : les perturbations locales ont par exemple des impacts globaux, les changements globaux des conséquences locales;

  3. Les perturbations sont ubiquistes : le sinistre a des conséquences au même moment en plusieurs lieux, sans que ces lieux ne soient forcément proches dans l’espace. Le territoire du risque n’est donc plus continu mais réticulaire.

On observe donc de nouvelles dynamiques de risque, que nous avons analysé, en dernier ressort, comme le résultat d’une mutation profonde de certains espaces urbains, à savoir la métropolisation, traduction locale de la mondialisation.

La métropolisation se traduit d’abord par la concentration des hommes, des capitaux et des richesses qui explique partiellement l’augmentation quantitative des dommages. Mais elle transforme plus largement la matérialité, l’organisation et les fonctions de l’espace urbain, ce qui modifie qualitativement le risque et lui confère une singularité irréductible à ce que l’on connaissait jusque-là. Ainsi, la métropolisation appelle de nouvelles formes architecturales, avec par exemple le développement de la verticalité et de l’urbanisme souterrain. Si les matériaux utilisés sont souvent plus résistants, ce qui diminue la vulnérabilité des constructions, ces nouvelles formes sollicitent de nouvelles technologies qui rendent les bâtiments très dépendants aux réseaux techniques et produisent donc de nouvelles formes de vulnérabilité. La métropolisation modifie aussi l’organisation spatiale à l’échelle infra- et supra-urbaine. Des structures polynucléaires viennent se superposer aux logiques de continuité territoriale. Les lieux de résidence, de travail, de loisir et de consommation sont de plus en plus distincts du fait de la spécialisation des espaces, conduisant à l’intensification des mobilités. Les réseaux de transports et de communication deviennent alors stratégiques. Peu importe que le service soit interrompu par une inondation, un attentat ou une grève, la congestion qui en résulte entraîne des pertes considérables. Elle empêche l’action des secours tout en ayant des impacts massifs sur la vie quotidienne à l’échelle locale et sur les activités économiques à l’échelle de la région métropolitaine et bien au-delà. Le processus de concentration/spécialisation de certains territoires s’accompagne en effet de leur mise en réseau, qui explique les processus de contagion par effet domino : l’échelle d’impact dépend alors du potentiel de polarisation de la métropole.

Au final, les espaces métropolitains se présentent comme des systèmes complexes, qui articulent de multiples composantes matérielles et fonctionnelles. Ils impliquent d’innombrables enjeux humains, économiques, environnementaux. Cette complexité est un facteur d’incertitude qui rend la gestion très compliquée. Le risque métropolitain vient se surimposer au risque urbain classique, à la manière d’un palimpseste. Il constitue une menace majeure qui dépasse l’échelle locale et appelle des solutions originales, d’autant plus difficiles à inventer que d’une part, les pouvoirs publics n’ont pas forcément conscience de cette transformation du risque, d’autre part que les territoires métropolitains souffrent d’un déficit de gouvernance qui vient s’ajouter à l’organigramme déjà tarabiscoté de la gestion des risques et des crises.

Face à ces mutations, l’injonction à la résilience semble alors devenir l’alpha et l’oméga des dispositifs de gestion. Au-delà du caractère marketing et rhétorique de ce qui s’affirme comme un nouveau référentiel de bonnes pratiques, la résilience constitue certainement une opportunité pour renouveler les paradigmes. Être résilient, c’est en effet être capable de faire face à des menaces et des chocs, aussi imprévisibles qu’incertains, du fait de sa capacité à d’adapter en toutes circonstances. C’est être capable de dépasser la crise, de se relever, de se reconstruire, de tirer les leçons de la crise. Tout le problème réside dans l’interprétation de l’adaptation. La résilience permet certes d’inventer de nouvelles solutions. Elle sert également à parer d’habits neufs des solutions anciennes, qui ont montré leur efficacité tout comme leur limite. Mais elle est aussi le vecteur de logiques néo-libérales qui permettent de transférer vers les individus et la société civiles les responsabilités et les coûts qui incombaient jusque-là à l’État, la puissance publique et la collectivité. Cette utilisation de la résilience, qui permet au passage de minimiser le rôle inégalités sociales et économiques dans la compréhension des vulnérabilités, pose problème car elle ne s’accompagne d’aucun débat public.

Or, si l’importance des risques métropolitains est avérée, elle appelle des qui ne sont pas neutres idéologiquement et éthiquement. Dans la mesure où ces risques recoupent les problèmes de sécurité, de qualité de vie et d’environnement urbain, de vivre ensemble et de solidarité, où leur existence représente un défi pour la stabilité et la pérennité des systèmes urbains, leur politisation devient un enjeu majeur pour les sociétés urbaines.

Referencias

Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°8

Para ir más allá

Pour consulter le rapport de la conférence de Yokohama (EN)

Les attentats du 11 septembre 2001 et leur traitement médiatique à travers les archives de l’INA

Pour en savoir plus sur l’ouragan Irene de 2011

Pour en savoir plus sur l’ouragan Sandy de 2012

Pour consulter le résumé du rapport de l’OCDE