La dissociation du terrain et du bâti

Une voie pour produire des logements intermédiaires ?

mai 2015

La Revue Foncière / Association Fonciers en débat

La situation du logement continue à faire parler d’elle, avec des prix de l’immobilier très élevés, déconnectés de l’évolution des revenus, tandis que le coût élevé des politiques publiques conduit à remettre en cause leur efficacité. On en vient à les suspecter d’avoir elles-mêmes de possibles effets inflationnistes et de créer des situations d’aubaine pour les propriétaires 1.

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La dissociation du terrain et du bâti : une voie pour produire des logements intermédiaires ?

Comment concevoir une action publique capable de produire une offre de logements abordables en zones tendues, comme alternative crédible aux politiques d’aide à l’accession à la propriété d’une maison individuelle (voir figure 1).

Depuis le début des années 2000, les collectivités locales se sont progressivement investies dans des politiques de logement en accession à prix maîtrisés. Cela est nouveau pour elles, car leur champ d’intervention dans le logement se limitait jusque-là au logement social (Dupuy, 2011) 2. Dupuy montre que ces politiques passent par un ensemble de pratiques fondées ou non en droit, de réglementation et de négociation avec les acteurs privés du territoire. Elles articulent des pratiques locales (subvention du foncier, subvention aux ménages, accompagnement aux projets…) avec des dispositifs nationaux (prêts à taux zéro (PTZ) et « Pass foncier » notamment).

Toutefois, dans un contexte où les éléments ne sont pas toujours réunis pour assurer le caractère pérenne du logement à prix maîtrisé construit, ces politiques renvoient à une réponse de court terme et non à une démarche de moyen et long termes. En effet, si des clauses anti-spéculatives permettent d’éviter les effets d’aubaine à court terme en cas de revente par les ménages, elles ne permettent pas de s’inscrire dans la durée (Chomel, 2011) 3. Dans dix ans peut-être, les logements seront revendus aux prix de marché et la dimension abordable disparaîtra. En l’état, l’investissement de la collectivité ne conduit pas à une maîtrise pérenne des prix immobiliers, et n’apporte aucune solution en termes de maîtrise publique des marchés. Et l’on peut dire la même chose de nombreux leviers apparaissant dans le schéma : ils agissent sur la 1ère vente mais ne permettent pas d’agir durablement dans le sens d’une maîtrise des marchés. Dans ces conditions, comment les politiques foncières, et notamment les dispositifs de dissociation sol/bâti, pourraient participer à une plus grande efficacité publique ? Sous quelles conditions ? Quelles sont les obstacles et les limites à leur utilisation ? Cette question est bien sûr loin d’être nouvelle, mais nous chercherons à l’analyser à l’aune du contexte actuel. Cherchons tout d’abord à clarifier les termes.

Logement « abordable » ou « intermédiaire » : de quoi parle-t-on ?

Les vocables diffèrent suivant les acteurs : les acteurs de la production urbaine et les collectivités parlent de logement à prix maîtrisé, de logement abordable ou de logementrégulé ; l’État parle de logement intermédiaire dans le cadre de son ordonnance. Et derrière ces appellations se trouvent des pratiques et des définitions diverses et variées. Mais nous retenons comme définition commune une offre de logement, en dehors de la production sociale, profitant d’un soutien public afin d’obtenir un prix inférieur à celui du marché pour des populations à revenus modestes ou moyens, en location ou en accession 4. Nous nous concentrons ici sur l’accession, car c’est là que les outils de dissociation pour maîtriser dans la durée l’investissement public prennent tout leur sens. Généralement, la collectivité fait un effort sur le foncier dans le cadre d’un travail commun et d’une négociation avec les opérateurs privés afin de s’assurer d’un prix de sortie minoré 5. Plus généralement, l’idée est d’identifier avec le promoteur les conditions permettant de respecter le plafonnement des prix de sortie. Si la collectivité a une bonne expertise et la capacité à négocier avec les promoteurs et que ceux-ci y ont intérêt du fait de l’importance des opérations publiques sur le territoire, les asymétries d’informations peuvent être considérablement réduites. Les ménages respectant certains plafonds de revenu peuvent ensuite accéder à ces logements, parfois avec une subvention directe de la collectivité (le Grand Lyon ou Nantes Métropoles accordent par exemple 3 000 ou 4 000 euros). La figure 2 résume la situation.

Le besoin d’une offre de logement à prix intermédiaire provient de l’écart croissant entre le coût de se loger dans un logement social et le coût de se loger sur le marché libre, comme le reflètent les chiffres de l’Insee 6. Ces chiffres montrent de plus une polarisation croissante entre locataires et accédants par le niveau de revenu. Ainsi, certains ménages qui ne peuvent accéder ni au logement social (pour des raisons de manque d’offre ou parce qu’ils dépassent les plafonds de revenu) ni à l’accession sur le territoire de leur choix 7 iront poursuivre ailleurs leur projet résidentiel, notamment en périphérie, ou bien devront consentir à un taux d’effort élevé pour louer sur le marché privé ou à un logement en deçà de leurs attentes. Ce diagnostic se retrouve dans le ciblage des dispositifs du type PTZ et PSLA (cf. figure 3).

Les collectivités parlent souvent de chaînon manquant dans l’offre de logement. L’analyse du Grand Lyon, sur ce point semblable à d’autres collectivités, est claire : consécutivement à la forte hausse des prix du neuf, « l’allongement de la durée des prêts et le faible niveau des taux d’intérêts ne suffisent plus sur le territoire communautaire à solvabiliser les clientèles à revenus proches des plafonds PLUS » (PLH, 2011) 8. À Rennes, le nouveau PLH le présente de cette manière : le logement régulé « concernera les besoins des ménages intermédiaires n’ayant pas accès au logement aidé » 9. Il s’agit ici de poser quelques éléments fixant les idées. En France, les logements sociaux représentent environ 19 % du parc de logement, le locatif privé et la propriété occupante représentant 25 % et 56 % (CAS, 2011)10. Dans le même temps, les 2/3 des ménages français seraient éligibles au logement social sur le critère des revenus (CAS, 2011) : il y a donc un décalage entre l’offre et la demande potentielle. De ce décalage, qui varie selon les situations locales du logement, provient en partie le besoin d’assurer une offre intermédiaire de logement. Notons que ce décalage est en partie soutenu par les péréquations internes aux ZAC, qui reportent sur le logement en marché libre une partie du coût du logement social, tendant à accroître le fossé. Il peut ainsi y avoir une contradiction entre les deux politiques publiques : logement social et logement intermédiaire. La figure 3 permet de rappeler les différents plafonds régissant le droit à avoir accès à un logement ou à un financement (PTZ). Cela permet de voir à la fois la largeur du spectre des logements sociaux, dont la borne haute est proche du logement intermédiaire et de fixer les niveaux pour le logement intermédiaire. Nous avons utilisé les niveaux de revenu des ménages de Lyon (Insee, 2010) 11 pour situer notre ménage type dans la distribution. En termes de financement de nouveaux logements en 2012 et 2013, le PLUS représentait la majeure partie (58 % du volume), le reste allant au PLAI et PLS (respectivement 22 % et 10 % 12).

Quels revenus ?

Rappelons que les notions de classe moyenne, de revenu moyen ou modeste, souvent utilisées, sont rarement caractérisées et fluctuent selon les contextes, ce qui participe au flou général. Dans certaines collectivités, les dispositifs de logement abordable s’appuient sur les plafonds PTZ, situés sensiblement au-dessus du niveau PLUS ou PSLA en termes de revenu, d’autres ont des plafonds inférieurs. Il y a de fait une variété des situations locales dans un contexte de politiques en maturation. Il est intéressant de noter sur le schéma le niveau élevé du plafond du logement intermédiaire, qu’il soit locatif ou accession. Le législateur semble ainsi considérer que le besoin se ressent à des niveaux de déciles élevés dans les zones tendues, mais un tel niveau interroge en termes de justification de la dépense publique.

Quel écart de prix ?

Les résultats sont bien sûr variés suivant les cas mais les collectivités comme l’ordonnance du gouvernement se situent autour de 20 % en dessous du prix de marché 13. Il faut toutefois faire attention à la référence prise, les pouvoirs publics ayant intérêt à majorer cette baisse. Il n’existe pas encore d’études quantitatives sur le sujet.

Le « bail réel immobilier » : quel montage, pour quoi faire ?

L’ordonnance sur le logement intermédiaire de février 2014 a introduit un dispositif de dissociation du sol et du bâti (bail réel immobilier) qui permettrait d’assurer le caractère pérenne du logement intermédiaire. Ce dispositif s’accompagne de clauses anti-spéculatives sur toute la durée du bail, et permet de mettre en place des clauses d’affectation qui portent sur l’occupant (plafond de revenu fixé par les pouvoirs publics), également difficiles à mettre en oeuvre en pleine propriété. En effet, le droit de propriété en France ne permet pas d’imposer des clauses anti-spéculatives au-delà d’une période comprise entre 10 et 15 ans (Chomel, 2011). Il donne donc les moyens à la collectivité de préserver la logique d’investissement public dans du logement intermédiaire sur la durée en régulant les prix de vente et de revente, et l’affectation. L’entrée en vigueur du nouveau dispositif est subordonnée à la publication de cinq décrets relatifs aux paramètres financiers (plafonds du prix d’acquisition, plafonds de loyers, plafonds de ressources) et aux modalités d’application du BRI (modalités de contrôle de l’affectation des logements, sanctions liées au non-respect de cette affectation, méthode de calcul de la valeur des droits réels afférents aux logements).

Un nouveau bail pour quel besoin ?

La production de logements en accession à prix maîtrisés nécessite généralement un investissement financier de la part des collectivités locales qui compense l’obligation faite aux promoteurs de pratiquer des prix de sortie plafond par une baisse, toutes choses égales par ailleurs, de la charge foncière et parfois par une subvention de quelques milliers d’euros aux ménages. Ainsi, les premiers acquéreurs bénéficient de logements à prix inférieurs au marché, d’où le constat d’effets d’aubaine, lorsque ceux-ci revendent leur bien avec une forte plus-value. De plus, le caractère abordable de l’offre disparaît. Le BRI doit permettre de surmonter ces limites, en préservant la logique d’investissement public dans du logement intermédiaire sur la durée. C’est également un moyen de neutraliser la charge foncière à l’achat du logement : la collectivité reste propriétaire et fixe ensuite un loyer. Cela peut avoir un effet considérable sur le prix d’achat (de 20 à 50 % selon les contextes). Il faut toutefois reconnaître que l’intérêt financier global est faible, l’ingénierie financière mobilisée n’apportant pas de gains miracles, mais reportant simplement les coûts de la charge foncière sur la collectivité (Vorms, 2012) 14. Trois types de contrats permettent d’organiser une propriété temporaire : le bail emphytéotique du code rural (BE), le bail à construction (BàC), et le bail emphytéotique administratif (BEA). Ces trois outils sont toutefois insuffisants pour répondre au défi posé : soit ce ne sont pas des outils de droit privé, soit ils ne permettent pas de mettre en oeuvre des clauses anti-spéculatives, d’où la nécessité de créer un nouvel outil 15.

La méthode pour calculer le prix de revente est bien sûr fondamentale. Cette formule est l’objet des décrets en préparation. Selon toute vraisemblance, la formule intégrera l’évolution du prix moyen du logement et reposera également sur la capitalisation des loyers restants. En effet, afin de prendre en compte la fin du bail et la limite dans le temps de possession du logement avant qu’il ne revienne au propriétaire du foncier,la revente devra se faire à un prix plus faible que lors de l’achat initial (toutes choses égales par ailleurs), le bien perd de la valeur progressivement. En cas de revente, le bail se poursuit, on ne « recharge » pas sa durée. De plus l’ordonnance stipule que le logement doit être rendu au propriétaire du foncier en bon état et que le BRI ne peut être contracté qu’avec une obligation de construction ou de réhabilitation, il n’y a donc pas de marges de négociation pour contracter un nouveau bail avec une durée rechargée, comme cela peut être le cas entre des villes et des bailleurs sociaux dans le cadre de baux emphytéotiques. Très concrètement la valeur du bien, régulée, devrait donc suivre les évolutions du marché, en restant en dessous (objectif du logement intermédiaire) et avec un infléchissement progressif tendant vers 0 à la fin de bail. Cette situation représentera à l’évidence un point difficile à comprendre et accepter pour les ménages prétendants. Notons qu’en soi la notion de « rechargeabilité » est nouvelle en droit français – le BRI ne fait pas exception –, or c’est une condition indispensable pour le fonctionnement des organismes fonciers solidaires introduit par la loi Alur. Un amendement gouvernemental dans la loi Macron a récemment ouvert la possibilité d’une ordonnance pour définir ce nouveau bail. Il y a donc aujourd’hui un processus intéressant d’évolution du droit, qui touche au principe du droit de propriété. Sur le papier, et malgré ces difficultés, le BRI semble apporter des réponses aux problèmes liés au logement intermédiaire. Mais, dans la pratique, comment les acteurs du domaine le perçoivent-t-il ? Est-il adapté aux besoins et capacité des collectivités locales ?

Une vingtaine d’entretiens

Une vingtaine d’entretiens a été réalisée à ce stade avec une diversité d’acteurs 16. L’objectif n’est donc pas de donner un résultat définitif mais de rendre compte de la vision des acteurs et de susciter du débat. Le premier enseignement est que les positions des différents acteurs sont très contrastées. Pour certains, cet outil présente un réel intérêt : il rend possible la pérennité dans le temps d’une politique de logement intermédiaire grâce aux clauses anti-spéculatives et d’affectation du logement et répondrait ainsi à un réel besoin identifié des collectivités locales ; il peut également réintroduire du temps long dans les politiques foncières ; il participe enfin à une évolution de la perception de la propriété du sol. Pour d’autres, ces gains restent théoriques car la pratique montre que l’on ne sait pas gérer le dispositif dans la durée du bail (notamment la fin de bail) ; il y a une importante complexité juridique et administrative de mise en oeuvre et de gestion, et les gains économiques de l’ingénierie financière sous-tendant le BRI sont très limités par rapport à des aides plus classiques (PTZ, subventions…) à partir du moment où la perspective de récupérer le foncier enfin de bail n’est pas jugée réaliste et que les conditions ne sont pas propices (faible différentiel de taux d’intérêt entre collectivité et ménage). Pour certains acteurs, il y a un risque que le BRI serve à camoufler des montages complexes qui n’iraient pas forcément dans l’intérêt public (subvention cachée) car il y aurait un délitement progressif de la logique du bail. Cela viendrait contredire l’idée même de patrimonialisation du bail et pourrait alors coûter cher à la collectivité ; cette possibilité a été observée dans différents cas pour d’autres baux. Concernant spécifiquement la fin de bail, la majorité des acteurs interviewés considèrent qu’elle est particulièrement difficile à gérer (acceptabilité politique face à la contestation des habitants) et qu’il serait important de pouvoir établir un nouveau bail avant son terme dans le cadre d’une revente ou d’une négociation. Mais pour le BRI, le fait est qu’il n’y aura rien à négocier. Éviter la fin de bail, c’est également éviter une situation comme celle des hospices civils de Lyon où des quartiers entiers devaient revenir aux hospices aux dépends des habitants. Cette situation de crise avait conduit aux accords Sudreau-Pradel, qui font que les baux sont rechargés dans la pratique, mais sans une obligation juridique réelle, créant ainsi une insécurité juridique. Le BRI innove en introduisant l’idée de propriété temporaire, mais il apparaît pour les acteurs que cette notion est porteuse de risques.

Paris comme terrain privilégié

Un consensus existe sur le fait qu’aujourd’hui les zones très tendues comme Paris, où les alternatives pour les ménages sont faibles et où les prix fonciers sont très élevés, sont le principal terrain propice au BRI. D’une part les ménages seraient prêts à ce statut de propriété car il n’y a pas d’alternatives en termes de logement, comme cela peut être le cas dans des agglomérations de province. D’autre part, dans un contexte de rareté foncière très important, la mairie raisonne en termes de patrimonialisation. Elle souhaite conserver un moyen de contrôle sur ces parcelles. Le calcul montre toutefois que le BRI ne pourra pas correspondre au coeur de la classe moyenne mais plutôt aux déciles supérieurs dans ce type de cas (revenu entre le 8e et le 9e décile), et pose alors une question de justification de l’utilisation de l’argent public (Vorms, 2012). En termes d’acteurs du logement, un acteur comme la SNI, filiale de la Caisse des Dépôts et acteur institutionnel majeur du logement intermédiaire, ne prévoit pas d’utiliser le BRI pour son important programme de logement intermédiaire, mais un schéma locatif reposant sur des incitations fiscales (TVA 10 %, exonération taxe foncière). Les promoteurs ne sont pas contre à partir du moment où ils peuvent construire et élargir leur offre, dans le cadre d’un montage qui peut avoir une pertinence économique (même faible). Pour les bailleurs sociaux, le BRI pour réaliser du logement intermédiaire, notamment en location, peut permettre d’apporter de la mixité dans leurs opérations et de diversifier leurs activités.

Un outil ne fait pas une politique foncière

L’enseignement général est que si le BRI est perçu et mis en place comme un outil spécifique, auto-suffisant en quelque sorte, alors l’intérêt sera très faible de même que la faisabilité. Tout simplement, le BRI est un outil technique au croisement entre une ingénierie financière et une ingénierie juridique, mais il ne peut seul contribuer à créer le cadre plus général de politique foncière dont son succès est dépendant. En d’autres termes, le législateur a introduit une complexité supplémentaire qui peut être utile, mais n’a réglé en rien les problématiques foncières. En effet, le BRI pose la question de la « mère porteuse », c’est-à-dire de l’acteur institutionnel ayant un horizon aussi long que le bail et qui serait capable de donner un sens à la politique foncière de la collectivité de contracter ce type de baux. Cela peut-il être directement la collectivité ? N’y a-t-il pas un risque avec les variations du pouvoir politique au détriment de la politique de long terme ? Faudrait-il un cadre national pour la gestion de ces baux ? Faut-il avant tout favoriser la prise d’expérience des collectivités sur ce sujet ? Cela ne peut se faire que si le nombre de baux géré est significatif. Il faut souligner la difficulté pour gérer ce type de baux, non pas uniquement avec quelques bailleurs sociaux, mais avec une multitude de ménages : cela paraît très complexe pour les collectivités, et elles ne sont probablement pas outillées pour le faire. D’où l’intérêt de la piste des organismes fonciers solidaires, sur laquelle nous reviendrons en conclusion.

Le BRI déterminé par les politiques de logement intermédiaire

Pour bien comprendre la place du BRI, il faut repartir de l’objectif de produire du logement abordable. L’objectif général est d’assurer une continuité de la production de logements et des parcours résidentiels via différents leviers tout en limitant le coût public, les impacts sur les prix et les formes urbaines, les effets d’aubaines pour les acteurs privés et les ménages. Le point essentiel est que sans politique foncière associée, on ne peut pas pérenniser le logement intermédiaire (retour au prix de marché à moyen terme), et l’on risque un effet sur les prix et les formes urbaines. La question est donc la suivante : les acteurs souhaitent-ils pérenniser le parc de logement intermédiaire ? Ou conçoit-on cette politique comme un coup de pouce de départ dans le parcours résidentiel, comme une étape vers le marché libre (segment perpétuellement à reconstruire) ? Pour le moment, la deuxième possibilité s’impose. Pour trois raisons : nous sommes au début de cette politique et il est probablement prématuré de vouloir la pérenniser sans avoir plus de recul ; la priorité politique reste dans bien des cas le segment du logement social ; il est très complexe d’assurer cette pérennité. Dans ce schéma, l’intérêt des politiques de logement intermédiaire, par rapport à la simple utilisation de PTZ pour l’accession sur le libre, est donc, en complément des plafonds déjà prévus par le PTZ, d’éviter les possibles effets de cette subvention aux ménages : hausses de prix sur le marché et effets d’aubaines pour les acteurs privés.

Elles incitent à la maîtrise foncière afin de gérer toute la chaîne de production. Les politiques de logement intermédiaire sont un moyen de retrouver du contrôle sur la production de logement et le financement public.

De fortes différences de contexte

Il y a une grande diversité de modèles locaux et de niveau d’avancement sur ces politiques. Le niveau de politique foncière est également très différent : la métropole rennaise peut assurer des prix du foncier relativement bas, ce que ne peuvent faire d’autres collectivités. La contrainte en termes de disponibilité foncière est également très différente, avec comme extrême Paris, qui de fait raisonne sur le long terme en termes de patrimonialisation.

Dualité sur l’effet d’aubaine pour les ménages

On peut relever une coexistence de plusieurs discours, souvent chez le même interlocuteur. D’un côté, c’est bien sûr inacceptable qu’un ménage engrange une plus-value sur la base d’un investissement public initial ;de l’autre, c’est très compliqué de mettre en oeuvre des dispositifs évitant cela, avec un potentiel dissuasif. De plus cela peut paraître inéquitable car cela revient à nier la capacité de ces ménages à profiter, comme les propriétaires sur le marché libre, d’une hausse des prix immobilier, d’autant plus que cela leur sera indispensable pour assurer leur parcours résidentiel dans le parc libre.

Sortir de cette ambiguïté est indispensable pour affirmer les politiques de logement intermédiaire, dans un sens ou dans l’autre.

Au final il n’est pas sûr que le BRI soit bien adapté aux collectivités qui ne sont pas dans un marché très tendu (notamment Paris). Il est significatif que des collectivités en pointe comme Lyon et Rennes n’aient pour le moment pas de projet d’utilisation du BRI. La gestion de long terme nécessite une expérience locale et des objectifs politiques affirmés. Nous sommes au début de la dynamique, le BRI arrive peut être un peu tôt par rapport aux savoir-faire des collectivités. L’étape importante aujourd’hui est d’institutionnaliser les politiques de logement intermédiaire dans les PLH et de tirer des leçons des expériences en cours. Ensuite le rôle que l’on conçoit pour le logement intermédiaire, segment pérenne comme le logement social, ou offre à court-terme pour satisfaire les besoins, conditionne l’intérêt de l’outil BRI. Il semble que la pérennité du logement intermédiaire devient une question lorsque la rareté foncière s’exprime fortement, comme à Paris. Cela est probablement plus prospectif pour les autres agglomérations.

Aujourd’hui, dans la plupart des cas, la collectivité propose à une partie de la population une offre de logement adaptée afin de rester attractive : cela ne se fait donc pas en pure perte, mais rentre dans le modèle économique globale de la ville. Il est important d’observer que les politiques de logement intermédiaire montrent que les collectivités peuvent passer du pouvoir de dire « non » (usage des sols) au pouvoir de dire « oui » et de construire des choses (Dupuy, 2011) : montage pour le logement intermédiaire et travail public-privé lorsque le public a l’expertise et une force de négociation ; arrangement local pour éviter les effets de hausses de prix sur le marché et les possibles effets d’aubaines pour les acteurs privés lorsqu’il n’y a qu’un dispositif national du type PTZ. On peut identifier une tension entre l’aspiration à la propriété qui s’accompagne d’une vision en termes de patrimonialisation et de sécurité face aux incertitudes futures, et la propriété temporaire induite par le BRI, ce qui laisse présager d’une acceptabilité faible des ménages, au-delà des zones très tendues.

En définitive, les élus peuvent disposer, avec le BRI d’un outil pour répondre à une vraie problématique, qui est le logement des classes moyennes et leur capacité à devenir propriétaires dans des zones tendues. Mais ce montage, qui peut paraître astucieux, ne représente que peu de gains, à partir du moment où l’on doute de la capacité de la collectivité à mettre en oeuvre une réelle politique de maîtrise foncière autour du BRI. La réalité est probablement qu’il n’y a pas de solution équitable et efficace à cette problématique. C’est un problème de file d’attente : comment gérer la rareté que représentent des logements en zones tendues ? Les réponses publiques seront toujours en deçà des besoins. Cela conduit à se demander s’il faut chercher à tout prix des montages pour favoriser l’accession ? En faisant cela, est-ce que l’on ne conduit pas à pérenniser et renforcer cette aspiration ? Ne faut-il pas mettre l’accent sur le logement intermédiaire locatif ?

Enfin, parallèlement au BRI a été introduit par la loi Alur un autre dispositif foncier, l’organisme foncier solidaire, objet institutionnel devant pérenniser dans le temps une offre de logement abordable par le biais d’un bail, qui suscite l’intérêt de différentes collectivités locales. Il sera important de suivre les expériences qui devraient émerger pour en analyser les apports potentiels.

1 Ces effets peuvent être uniquement suspectés ou mis en évidence par des études économétriques. Sont considérés ici, et dans l’ordre des citations, les APL, le PTZ, les aides à la pierre et le dispositif Scellier. Insee (2014), « L’impact des aides au logement sur le locatif privé », Insee analyse n° 19 ; Bernard Vorms, « Quelles priorités pour les aides à l’accession à la propriété ? », Métropolitiques, 20 février 2012. www.metropolitiques.eu/quelles-priorites-pour-les-aides-a.html ; Trannoy et Wasmer (2013), « Comment modérer les prix de l’immobilier ? », Note du Conseil d’analyse économique n° 2, février 2013 ; Bono et Trannoy (2012), « Évaluation de l’impact du dispositif Scellier sur les prix fonciers », Working Paper AMSE.

2 Dupuy, G. (2011) Le maire, l’accession sociale et le promoteur,ANIL.

3 Il existe trois grandes formes de clauses, qui peuvent se combiner (Chomel, 2011) : « Clauses limitatives du droit de disposer et en particulier interdisant la revente du bien dans un délai limité ou instituant une faculté de préemption ou de rachat par le vendeur ou lui conférant un droit de préférence lors de la cession du bien par l’acquéreur ; clauses ayant pour objet de limiter la libre affectation de l’usage du bien par l’acquéreur (obligation d’occuper à titre de résidence principale de l’acquéreur et interdiction de louer) ; clauses tendant à exiger le remboursement de la fraction des aides accordées par la collectivité territoriale en cas de revente ou de non-respect d’un engagement pris par l’acquéreur bénéficiaire ». Chomel, A. (2011) Clauses et dispositifs anti-spéculatifs dans l’accession aidée à la propriété, ANIL.

4 Suivant en cela l’ordonnance sur le logement intermédiaire, qui le définit au croisement entre des zones géographiques dites tendues, une aide par la collectivité publique (État, collectivités locales…) et des caractéristiques pour les ménages qui louent ou achètent ces logements (plafonds de ressources).

5 On peut avoir des subventions de la collectivité ou simplement une minoration de la charge foncière.

6 Accardo J., Bugeja F. (2009). « Le poids des dépenses de logement depuis vingt ans », Insee Références Cinquante ans de consommation en France, édition 2009, septembre 2009. Arnault S., Crusson L. (2012). « La part du logement dans le budget des ménages en 2010 », Insee Première n° 1395, mars 2012, division Logement, Insee.

7 En tout cas pas dans ces zones tendues. Comme l’observe (Coloos, 2012), et contrairement à ce qui est parfois dit, il n’y a pas de crise d’accession, le niveau de primoaccédant étant élevé. En revanche, ce projet résidentiel se traduit souvent par une délocalisation du ménage. Coloos, B. (2012), « Quelques faits sur la “crise” du logement », Esprit.

8 Grand Lyon, 2011, Plan local de l’habitat, Programme d’action.

9 metropole.rennes.fr/politiques-publiques/transports-urbanisme-amenagement/l-habitat/le-programme-local-de-l-habitat/

10 Houard, N. (2011). « Le logement social pour qui ? », Conseil d’analyse stratégique, juillet 2011 n°230.

11 Données Insee de revenu par unité de consommation par commune.

12 LIENS MORTS

13 Pour fixer les idées, le décret fixe à 3 077 euros/m2 hors taxes en zone B1, dans son programme Lyon parle de 2 800 euros/m2 ou de 20 % en dessous du prix de marché avec un plafond à 3 600 euros/m2.

14 Vorms, B. (2012), « Le recours à l’emphytéose pour l’accession à la propriété », Études foncières.

15 LIEN MORT Voir www.cheuvreux-notaires.fr/duflot_reforme/actualites/nju_20140701_brilo.pdf pour les détails juridiques.

16 Une seconde étape va consister à partir des expériences de plusieurs agglomérations dans les politiques de logement intermédiaire via le réseau des agences de la FNAU.

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