L’entre-ville

Eric Charmes, octobre 2015

Le concept d’entre-ville, ou zwischenstadt, a été élaboré par Thomas Sieverts, avec un livre publié en 1997 intitulé : Zwischenstadt, zwischen Ort und Welt, Raum und Zeit, Stadt und Land. Dans un entretien accordé plus récemment à Métropolitiques, l’architecte et urbaniste allemand revenait sur ses réflexions d’alors : « J’avais à l’époque donné au terme « Zwischenstadt » plusieurs dimensions, comme l’indique le sous-titre : une dimension spatiale au sens d’une interpénétration de l’espace bâti et du paysage ouvert, une dimension économique au sens de la coexistence d’une économie agissant localement et d’une économie opérant sur le plan mondial, et une dimension historique au sens où ce territoire urbain encore si jeune, qui existe seulement depuis quelques décennies et se trouve dans un état transitoire, évolue vers une nouvelle forme urbaine que nous ne pouvons pas encore connaître. »

On retrouve donc dans ce concept une idée centrale dans de nombreux autres concepts ou notions mobilisés pour appréhender les périphéries métropolitaines et les campagnes urbaines : l’interpénétration du rural et de l’urbain. Thomas Sieverts insiste également sur l’économie : comme la ville diffuse, l’entre-ville est un espace où des activités économiques de toutes natures se développent. L’apport le plus notable du concept réside sans doute dans sa dimension prospective. Contrairement à l’image des périphéries comme des embryons de ville, où les lotissements et les zones d’activités sont les avant-postes d’une urbanisation qui ne fait que commencer, Thomas Sieverts voit l’entre-ville comme un espace où s’élaborent de nouvelles formes urbaines et de nouvelles modalités de vie urbaine. De ce point de vue, le concept d’entre-ville rejoint celui de ville émergente (voir La ville émergente).

La conception de l’entre-ville proposée par Thomas Sieverts est très influencée par le contexte dans lequel il a travaillé. Il a notamment été directeur scientifique entre 1989 et 1994 de l’exposition internationale d’architecture (IBA) de l’Emscher Park dans la Ruhr. Or ce territoire présentait toutes les caractéristiques de ce que Thomas Sieverts allait appeler l’entre-ville. La Ruhr est une vaste région rassemblant une trentaine de millions d’habitants, organisée autour de nombreux pôles urbains (Duisburg, Dortmund, Oberhausen, Essen, etc.). Dans cet ensemble, aucun pôle ne domine véritablement, centres et périphéries s’entremêlent. En même temps, ce territoire était durement frappé par la désindustrialisation. La transformation des filières sidérurgiques avait laissé de vastes friches industrielles entre les villes. Ces friches au lieu d’être rasées ont été recyclées pour devenir les éléments d’un vaste parc métropolitain, l’Emscher Park, où entre autres choses un gazomètre a été transformé en centre de plongée, une usine en musée du design et où des terrils ont été intégrés dans des œuvres de land art. Au fil de ce processus, les territoires d’entre-ville sont devenus les composantes d’un vaste parc paysager (Landschaft Park, voir aussi Masboungi, 2000). Et au-delà, ils sont devenus le liant entre les différents pôles urbains de la Ruhr, le lieu de l’identité partagée et du retournement du stigmate qui était venu frapper les terres de la sidérurgie.

Le Landschaft Park de la Ruhr
© Thomas Berns, 2009 www.landschaftspark.de

Références

MASBOUNGI Ariella (dir.), 2000, « L’IBA Emscher Park. Un anti-modèle », Projet Urbain, n° 21, ministère de l’Equipement.

SIEVERTS Thomas, 2004, Entre-ville : une lecture de la Zwischenstadt. Éditions Parenthèses

SIEVERTS Thomas, 2011, « Entre ville et campagne, l’avenir de nos métropoles », entretien avec Stéphane BONZANI et Stéphane FUZESSERY, Métropolitiques, en ligne

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Le site du Landschaft Park