Le sprawl

Eric Charmes, octobre 2015

Le sprawl est au cœur des débats qui agitent le monde de l’urbanisme et de l’aménagement aux États-Unis. Le terme n’a pas de définition officielle. Dans le langage courant, sprawl renvoie à une forme de relâchement. On parle par exemple de « sprawling body » pour signifier que la personne est affalée. Appliqué aux villes, ce terme désigne les extensions peu denses, avec une domination de l’habitat individuel, des grandes voies routières, des zones d’activités et des centres commerciaux.

Cas de San José en Californie
Image du sprawl proposée par l’article de l’encyclopédie Wikipedia consacré au sujet (article consulté en juillet 2014)

Le terme sprawl n’est pas seulement descriptif, il a aussi une connotation morale que rend bien la traduction possible par le qualificatif affalé. De fait, l’expression « urban sprawl » apparaît autant pour désigner des formes urbaines émergentes que pour les critiquer. Le premier usage significatif du terme, celui en tout cas auquel il est encore régulièrement fait référence, a été le fait de William Whyte dans un livre qu’il a dirigé, intitulé The Exploding Metropolis et publié en 1958. William Whyte n’est pas un anonyme dans le monde des sciences sociales, il est l’auteur de l’un des livres de sociologie les plus influents dans le débat public des années 1950, L’Homme d’organisation. Ce livre est une charge contre les grandes organisations qui poussent les individus au conformisme et freinent la créativité. Une partie du livre est consacré à l’espace de l’homme d’organisation, que William Whyte considère être la banlieue pavillonnaire. Celle-ci, avec ses habitations anonymes et toutes identiques, alignées le long de rues sans âme, apparaît homologue aux nouvelles formes d’organisation du travail administratif, avec ses alignements de postes de travail dans de vastes salles. William Whyte est aussi celui qui a lancé la carrière de Jane Jacobs, auteure de l’un des ouvrages les plus influents de l’histoire de l’urbanisme, Déclin et survie des grandes villes américaines. Ce livre est une défense vigoureuse, et l’une des plus charpentées qu’il soit donné de lire, de la ville traditionnelle, et notamment du quartier new-yorkais de Greenwich village ou vivait Jane Jacobs.

Dans The Exploding Metropolis, l’expression urban sprawl est utilisée pour stigmatiser les vastes ensembles pavillonnaires qui proliféraient alors à la périphérie des grandes métropoles des États-Unis. Une bonne part des critiques aujourd’hui faites au sprawl sont déjà présentes dans l’ouvrage. Elles n’ont fait que se raffiner et se préciser depuis. Ainsi, politiquement et sociologiquement, le sprawl apparaît consubstantiel à l’individualisme consumérisme, à l’égoïsme et au repli sur soi. Le sprawl est également considéré comme très coûteux avec des investissements en infrastructures, notamment routières, très élevés. Le sprawl menace également les espaces ruraux et naturels en les artificialisant et en mettant en péril des équilibres écologiques locaux. Il induit enfin la dépendance automobile avec toutes les conséquences environnementales et sociales que cette dépendance implique.

Références

JACOBS Jane, 1961, The death and life of great American cities, Random House LLC.

WHYTE William (dir.), 1958, The Exploding Metropolis, Doubleday