L’Alliance pour un Parlement ouvert au Mexique

L’exercice d’un contrôle citoyen de l’action parlementaire

Ana Joaquina Ruiz Guerra, Résumée et traduite en français par Claire Launay-Gama., 2015

Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG)

« L’Alliance pour un Parlement ouvert » illustre la construction d’une coalition de citoyens pour influencer et peser sur la transparence parlementaire et en particulier la prise de décision et l’utilisation des ressources par les Parlementaires. L’Alliance exerce ainsi un contrôle général de l’institution mais également de l’information publique accessible aux citoyens.

Cette fiche a été rédigée à partir de l’étude « Le contrôle citoyen de l’activité parlementaire au Méxique ».

Introduction

Au Mexique, à la fin des années 1990, lors de la transition démocratique, le Parlement plus communément appelé « Congrès » acquiert une certaine indépendance face au pouvoir exécutif. Il réunit la Chambre des députés et le Sénat. La Chambre des députés est composée de 500 députés élus tous les trois ans. 300 sont élus à la majorité simple au scrutin uninominal et 200 sont élus au scrutin proportionnel1. Ce mode d’élection a été choisi pour éviter la sur-représentation d’un même parti au sein de l’Assemblée, ce qui fut le cas pendant longtemps au Mexique avec l’hégémonie du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). Le Sénat quant à lui est composé de 128 membres élus pour 6 ans.

Cette récente indépendance du Pouvoir législatif mexicain oblige d’une certaine façon l’institution à rendre des comptes et à agir dans le respect de la Transparence. D’autre part, elle doit aussi gérer les demandes citoyennes en particulier la revendication des droits civils et politiques.

Selon Mariana Niembro « le Congrès est l’institution la plus démocratique, plurielle et à l’intérieur de laquelle on peut débattre ». Il est donc fondamental pour la démocratie mexicaine de savoir comment l’institution fonctionne. Par ailleurs les citoyens s’intéressent de plus en plus aux procédures de prise de décision, à l’utilisation des ressources publiques, à la forme des élections des députés et à la professionnalisation du Congrès en tant que tel.

C’est dans ce contexte que naît, en 2014, l’Alliance pour un Parlement ouvert. Elle regroupe différentes organisations de la société civile qui travaillent pour la transparence législative et l’ouverture du Parlement aux citoyens. La présente étude de cas décrit l’expérience de cette Alliance et illustre une pratique réussie et durable de contrôle citoyen de l’action parlementaire.

1. Transparence du pouvoir législatif

Dans les deux chambres, les décisions parlementaires se prennent au sein des commissions législatives et du Conseil de coordination politique : elles sont votées et ratifiées en plénière. Néanmoins, ces décisions se prennent de façon assez opaque. En effet, elles prennent d’abord en compte la façon dont les Parlementaires ont été élus et leur avancement et ne répondent pas nécessairement aux électeurs (Hernández, 1997). Par ailleurs, le cadre légal (c’est-à-dire l’obligation de transparence imposée par la Loi de transparence et d’accès à l’information publique mexicaine) est peu clair. Comme le signale Melissa Ortiz Massó2, coordinatrice de l’Alliance pour un Parlement ouvert: « les décisions qui se prennent à la Chambre des députés ne sont pas transparentes. Quand on cherche à obtenir des informations, ils te montrent le document, t’expliquent comment va la négociation mais on ne voit jamais le document publié officiellement ».

S’il est vrai que les décisions importantes sont soumises à des mécanismes de participation citoyenne (forum, analyses et études d’opinion…), les décisions finales dépendent de facteurs cachés : (intérêts des groupes politiques, le poids du pouvoir exécutif, le peu de temps,…).

A cette sensation de l’opacité des décisions parlementaires, la presse nationale critique durement le Parlement en propageant l’image de « députés qui ne travaillent pas »3. Enfin ajoute Melissa Ortiz Massó:

« (…) Je me rends compte que mes collègues qui observent le pouvoir législatif me demandent comment chercher l’information. Or, chercher l’information ne devrait pas demander des compétences spécialisées: n’importe qui devrait pouvoir avoir accès à cette information. »

2. L’engagement citoyen dans les affaires du Parlement

Alors que le Parlement au Mexique gagne en indépendance, de nombreuses organisations de la société civile commencent à s’intéresser aux affaires législatives. Elles exigent d’une part, transparence et reddition des comptes de la part de l’institution et d’autre part, une publication officielle des décisions.

Une des organisations pionnières sur le sujet fut « Consorcio » – consortium pour l’équité du genre et le dialogue parlementaire. Elle est fondée en 1998 pour « contribuer à créer des ponts entre les organisations de femmes et les Congressistes de Mexico ». Elle est rejointe ensuite en 2004 par l’initiative « Impacto Legislativo » qui dépendait d’une ligne de recherche du CIDE (Centre de Recherche et d’Enseignement économique). C’est ensuite devenu un projet citoyen qui observait le travail des parlementaires et la transparence à partir d’indicateurs nationaux, sub-nationaux et internationaux. Par ailleurs, d’autres OSC comme Fundar 4 se spécialisent dans le suivi budgétaire du Parlement.

Les liens se renforcent donc entre la société civile et le pouvoir législatif et des espaces dédiés à la reddition des comptes ou à la transparence en affaires publiques sont créés : collectif pour la transparence ; réseau pour la reddition des comptes.

En 2009 et 2010, une autre vague d’organisations spécialisées apparaît Visión Legislativa y Borde Político. Elles utilisent notamment beaucoup les nouvelles technologies de l’information. (pages web avec les débats des Parlementaires, twitter pour interagir avec les parlementaires, etc).

3. Le mouvement de l’Open data

Le mouvement de l’open data a été lancé aux USA avec la création en 2011, par le Président Obama, de l’Alliance pour un Gouvernement Ouvert (OGP). Elle invite les gouvernements à la reddition des comptes, la technologie et l’innovation, la participation citoyenne et la transparence.

Parallèlement se développe un comité de programmeurs (hackers sociaux), graphistes et scientifiques qui créent des programmes spécifiques pour le suivi et monitoring citoyen des entités publiques mais aussi pour les gouvernements eux-mêmes. Cet « activisme » électronique ou digital s’est largement développé avec la création de plateformes spécifiques sur le travail législatif.

Notons enfin que le Mexique est membre de l’OGP depuis 2011 et qu’il est actuellement Président du groupe.

4. L’Alliance pour un Parlement ouvert : militantisme digital et contrôle citoyen

L’existence d’un réseau d’OSC mexicaines qui dialogue avec le Pouvoir législatif et le mouvement plus global d’open data ainsi que l’ouverture d’une nouvelle période législative en 2012 ont largement favorisé la création d’une Alliance pour faire pression sur le Parlement. Néanmoins, le Congrès refusait d’approuver la nouvelle Loi Générale de Transparence. Pourtant le Sénat décide de s’ouvrir à la Société civile. Les deux organisations Fundar et Transparencia Mexicana décident alors de s’allier avec le Sénat dans l’objectif de monter une action commune. Notons que ces deux organisations souhaitent coordonner cette alliance pour des raisons et légitimités diverses. D’une part Fundar avait réalisé un travail au niveau latino-américain en matière de transparence législative et d’autre part, Transparencia était membre de l’Alliance pour un gouvernement ouvert. Elles ont alors invité d’autres organisations à s’unir, d’abord celles qui appartenaient à l’Alliance pour un gouvernement ouvert puis Fundar décide d’associer des organisations qui travaillaient sur des thèmes législatifs spécifiques. En 2013, l’Alliance pour un Parlement ouvert est alors constituée des organisations suivantes :

Parmi ces organisations, Fundar, IMCO, Gesoc, Consorcio et Sonora Ciudadana entreprennent un travail d’incidence directe auprès du Parlement: formation des parlementaires et des équipes de travail, contact direct, réalisation de fiches techniques etc. D’autres organisations comme Visión Legislativa et Impacto Legislativo réalisent un suivi qui est plus académique. Tandis qu’Arena Ciudadana et Borde Político se spécialisent dans la mise en place de plateformes digitales avec l’aide d’entreprises sociales comme TIC et OPI qui travaillent sur les données ouvertes. Le travail est alors varié (incidence, suivi et militantisme sur le web) et complémentaire.

Aussi, l’intérêt et l’engagement de la sénatrice du PRI, Présidente du Comité de Garantie de l’accès et de la transparence de l’information du Sénat ont permis la signature de l’Alliance pour un Parlement ouvert, le 22 septembre 2014. Cet accord a été signé après un long processus de divulgation, d’information et de formation auprès des sénateurs.

Notons néanmoins que la création de l’Alliance n’est pas un succès total. En effet, d’une part le Sénat n’a pas encore modifié ses standards de transparence. D’autre part, la Chambre des députés ne s’est pas encore impliquée. De plus, la Loi Générale sur la Transparence est encore bloquée. Les citoyens ne voient donc pas encore les effets directs de cette alliance sur la transparence en général et sur l’amélioration des pratiques législatives qui influent les lois et les politiques publiques associées.

Pourtant, l’Alliance a permis un dialogue et un certain consensus entre organisations diverses de la société civile qui avaient des objectifs et méthodes différents. Il faut maintenant voir si ce dialogue débouchera sur une vraie transparence du Parlement dans le travail et la prise de décisions.

Conclusion

Les citoyens n’ont pas encore perçu les bénéfices directs de l’Alliance pour un Parlement ouvert. Néanmoins cette dernière a eu des répercussions nettes en matière de Transparence, reddition des comptes, participation citoyenne ainsi que sur l’usage des nouvelles technologies. En ce sens, elle a eu un impact sur la forme, les procédures, la qualité administrative et l’utilisation et la gestion des ressources financières du Parlement.

Par ailleurs, avec l’usage des nouvelles technologies de l’information, les organisations de l’Alliance ont inventé des formes modernes de pression pour que les Parlementaires rendent des comptes et expliquent leurs décisions en temps réel.

La transparence devient alors une action quotidienne. Chaque citoyen informé peut, à n’importe quel moment, entrer en contact avec le Parlement. Cela réduit donc la distance entre le citoyen et ses représentants et questionne également les formes traditionnelles de reddition des comptes.

Il faudrait maintenant analyser et évaluer si cette interaction en temps réel provoque des meilleures décisions de la part des parlementaires et si ces derniers sont réellement influencés par l’usage des réseaux sociaux. En tous cas, il est sûr que les nouvelles technologies de l’information ouvrent une grande possibilité de veille du citoyen dans l’exigence de ses droits.

1Les députés proviennent de 5 circonscriptions électorales. Dans chacune d’entre elles, les partis proposent une liste et selon la quantité de votes obtenus on décide du nombre de députés par liste qui sera élu.

2Entretien réalisé le 6 novembre 2014.

3 Entretien avec Mariana Niembro 7/11/2014

4 Fundar est une organisation de la Société civile spécialisée dans la Transparence, contrôle citoyen et analyse de budgets publics et Droits de l’Homme. Elle est très reconnue au Mexique et en Amérique latine.

5 C’est le (chapitre Mexicain de Transparency International)

6 Gesoc et Fundar AC sont des centres de recherche spécialisés dans la connaissance et les méthodes de valorisation des valeurs publiques et des programmes de développement social.

7Sonora Ciudadana est une organisation de la société civile qui a réalisé un suivi monitoring au niveau local. Elle appartient également à la Communauté de Transparence dans le cadre du Collectif pour la Transparence.

8 Open Intelligence est une entreprise de développement technologique pour l’usage de données publiques et ouvertes.

Références

Hernández R., 1997, “El presidencialismo en México. Una obligada transformación”, in Bizberg I., Meyer L. (Eds.), 1997, Cambio y resistencia: treinta años de política en México, COLMEX.

En savoir plus

Acteurs participant à l’alliance: