Les pratiques de la métropole

Eric Charmes, octobre 2015

Une erreur courante, notamment dans la littérature critique, est de réduire l’analyse des rapports au territoire des périurbains au lieu de résidence. Trop souvent, l’ensemble pavillonnaire semble constituer l’essentiel de l’espace de la vie quotidienne. Ainsi, dans la littérature sur les gated communities, tout semble se passer comme si leurs habitants passaient l’intégralité de leurs journées derrière des murs. C’est au prix de ce rétrécissement de la focale que l’on peut aussi facilement parler de repli sur l’entre-soi lorsqu’on observe l’homogénéité sociale des quartiers pavillonnaires. Cette homogénéité est réelle, mais le lieu de résidence est rarement le lieu où se déroule l’essentiel de la vie éveillée. Seuls les enfants et les personnes âgées ont parfois une vie quotidienne limitée pour l’essentiel à leur quartier de résidence. Pour appréhender la vie périurbaine, il faut élargir la focale et observer à l’échelle de la métropole. Comme le souligne le préfixe « péri- », la relation à une métropole est consubstantielle au périurbain (voir Séparation morphologique et dépendance fonctionnelle et La clubbisation n’est pas la sécession).

Les pratiques de la métropole sont très variées. Cette variété est en large part le reflet de la diversité sociologique du peuplement des territoires périurbains (voir La spécialisation socio-spatiale). Elle est également assurée par la diversité des espaces périurbains, ce qui offre à des projets de vie très variés la possibilité de s’y réaliser. Dernièrement, une équipe de géographes a proposé une typologie des modes d’habiter dans le périurbain, le terme « habiter » devant ici être compris au sens non pas de résidence mais de pratiques régulières d’un territoire (Dodier, 2012). Trois grandes figures ont été identifiées à partir d’une enquête menée dans une ville moyenne, Le Mans. On distingue ainsi la figure de la souffrance, qui regroupe un quart des ménages enquêtés, dans laquelle on peut inclure une partie des accédants à la propriété les plus modestes, éloignés des centres pour pouvoir acquérir une maison à un coût adapté à leurs revenus. Une autre grande figure de l’habiter est qualifiée d’équilibrée, parce que c’est celle qui correspond le mieux à l’image commune de la vie périurbaine, avec la fréquentation régulière du centre-ville, une sociabilité locale significative et des déplacements vers d’autres pôles périurbains. Cette figure de l’habiter rassemble près de la moitié (44 %) des ménages enquêtés. La troisième et dernière figure de l’habiter est qualifiée de métapolitaine, en référence aux travaux de François Ascher (1995). Dans ce cas, la mobilité occupe une place très importante dans la vie quotidienne, au détriment notamment de l’ancrage local. La chose peut être vécue positivement, mais elle peut aussi être vécue comme une contrainte pesante. Cette figure métapolitaine réunit près d’un tiers des ménages enquêtés (31 %).

Contre un certain spatialisme très présent en géographie, il faut souligner que la variété des modes d’habiter n’est que très modérément déterminée par les caractéristiques des lieux. Si l’on peut mettre en évidence un effet propre de la localisation du lieu de résidence pour expliquer les modes d’habiter, cet effet reste modeste et les variables explicatives sont d’abord à rechercher du côté de la position socio-économique, du parcours résidentiel et de l’avancée dans le cycle de vie. Les différences repérables au sein des territoires périurbains sont principalement le reflet des inégalités d’accès au logement et des variations des prix immobiliers selon l’environnement social et la position métropolitaine du lieu.

Quoi qu’il en soit, comme on le voit, la relation avec le centre et plus particulièrement la ville centre reste forte, notamment pour l’emploi. De ce point de vue, le périurbain mérite bien son préfixe. Il s’agit toujours d’un territoire sous dépendance. Ceci étant, comme cela a été souligné dans la fiche La ville émergente, le périurbain n’est pas un espace totalement dépendant du centre, et ceci même dans des villes moyennes. Les déplacements liés aux loisirs et aux achats, en particulier, dessinent des polarités périphériques, dont celles formées par les centres commerciaux. Comme Yves Chalas (2000) l’a montré, les habitants des périphéries des métropoles tendent à choisir « à la carte » les espaces de leur vie quotidienne, notamment pour les achats et les loisirs.

Références

ASCHER François, 1995, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob

CHALAS Yves, 2000, L’Invention de la ville, Anthropos

DODIER Rodolphe (avec la collaboration de Laurent CAILLY, Arnaud GASNIER et François MADORE), 2012, Habiter les espaces périurbains, Presses universitaires de Rennes